Jean Teulé est à la littérature ce que La Grande Bouffe est au cinéma. Et maintenant qu'il n'est plus là, je perçois toute le vide créé autour de cet électron libre qu'était
Jean Teulé. Même si je n'ai pas toujours apprécié ses oeuvres, j'en ai perçu toute la portée, toute l'utilité.
Pour ce dernier roman de l'auteur, on aborde une des pires batailles de la France. Les échos de la Bataille des Eperons d'Or (aka Bataille de Courtrai) de 1302 étaient loin, mais si un historien avait pu rappeler aux troupes françaises cette défaite, le cours des événements aurait pu être différent à Azincourt. (N.B. loin de moi l'idée de comparer les deux batailles, il y a quand même de nombreuses différences entre Courtrai et Azincourt, mais un poil d'humilité parmi tant d'humidité n'aurait sans doute pas fait de tort aux Français) On aurait pu aussi citer Crécy ou Poitiers qui ne furent pas de franches réussites pour les troupes françaises.
Les Anglais refluent vers Calais pour embarquer. Atteint de dysentrie, affaiblis, mal armés, avec peu de cavalerie, ils sont arrêtés par des troupes françaises qui barrent la voie vers la côte. Les Français sont en surnombre. le ratio est de l'ordre de 1 pour 5, selon les sources. Une succession d'erreurs tactiques françaises et pas mal de choix judicieux anglais vont transformer une bataille jouée d'avance en défaite magistrale pour les troupes françaises.
Jean Teulé est fort bien documenté. D'ailleurs il cite ses sources en fin d'ouvrage. Il montre les mesquineries françaises, le réalisme anglais. Les Anglais avaient leur roi Henri V avec eux. Les Français étaient, quant à eux, assez indisciplinés et peu enclins à respecter les plans préalables.
C'est clairement la fin de la chevalerie "à la française". D'où ma référence à la Bataille de Courtrai où les fantassins flamands peu au fait des usages de la chevalerie ont achevé les nobles tombés à terre sans demander de rançon (ce qui était l'usage). le personnage de Fleur de Lys (clin d'oeil assez évident), une prostituée, va jouer les candides en questionnant les choix français. Elle apporte sagesse et réflexion, deux qualités qui vont manquer aux seigneurs français.
Le reste est du
Jean Teulé... 100% pure barbaque... Gouaille et mélange de parler médiéval et d'expressions modernes, comme dans pas mal d'autres livres de l'auteur. Cela fleure bon l'irrévérence, le cru et le politiquement incorrect. Il ne mâche pas ses mots pour décrire la boucherie, les exécutions, les membres arrachés, etc. Il y a des pépites d'humour qui remontent à la surface d'un bourbier où s'entremêlent boyaux et cervelles... En clin d'oeil supplémentaire, il nous "explique" pourquoi les Anglais parlent d'Agincourt au lieu
D Azincourt, défaut de prononciation d'Henri V, blessé à la mâchoire. Je m'étonne quand même que
Jean Teulé n'ait pas réussi à placer une expression que
Rabelais prête à Henri V: "Guerre sans feu ne valoit rien non plus qu'andouilles sans moutarde". Cela aurait parfaitement clos la bataille
D Azincourt.
Au-delà de la faillite de la guerre selon le code de la chevalerie, Azincourt marque un tournant sur lequel ne s'apesantit pas
Jean Teulé. Henri V ramène à Londres moult nobles qu'il va monnayer contre espèces sonnantes et trébuchantes. Et parmi ces prisonniers, Charles VII, le fils du roi de France Charles VI le Fou. Henri V signera même le Traité de Troyes le légitimant sur le trône de France. Henri V ne sera pas roi de France car il meurt 2 mois avant Charles VI, et Charles VII renie le Traité de Troyes et engage le combat en lançant
Jeanne d'Arc contre les Anglais. Cela aurait été chouette de lire ce que
Jean Teulé avait à dire sur la Pucelle d'Orléans...
J'ai pris un plaisir assez palpable à la lecture de ce roman historique à la sauce
Teulé. Et pour me consoler, il m'en reste pas mal de l'auteur que je n'ai pas encore lus.