Nul n’est uniquement la victime des circonstances. Ce qui nous arrive est fonction de ce que nous sommes. Je dois le croire. S’obstiner à voir dans les êtres humains des feuilles emportées par un courant rapide ou des pantins dont un destin capricieux tire les ficelles, serait aussi puéril que décevant. Si nous ne disposons pas d’une volonté, d’un libre arbitre, si nous ne sommes pas le propre capitaine de notre âme, pourquoi sommes-nous venus au monde ? Nous devons pouvoir modeler notre existence, comme le ciseau de Lucius modèle son marbre… Point n’est besoin de lui donner une forme étrange et torturée… même si la mode paraît le réclamer.
J’ai toujours eu le désir d’être aimée… c’est tout ce que je souhaite. Depuis l’heure imprécise et lointaine où, dans ma vie, le sentiment a pris un sens, j’ai éprouvé la nécessité d’aimer et d’être aimée. Sans savoir l’exprimer, je comprenais que la vie était l’amour et que l’amour était la vie. Je le pense maintenant encore plus fermement. L’amour est capable de tuer, mais il est impossible de vivre sans lui.
Il me faut parler de l’amour, parce que rien d’autre ne compte, pour la femme du moins, quoi que puissent prétendre celles dont la carrière est extrêmement brillante.
Offrez-lui une merveilleuse rose, au parfum délicat, aux pétales de velours finement ourlés, il ne sera satisfait qu’après les avoir arrachés un à un, déchiquetés entre ses longs doigts toujours fébriles; lorsqu’il aura finalement dénudé son cœur. Alors, content ou mécontent du résultat de sa dissection, il disséminera les débris sur le tapis du studio… à charge pour moi de les ramasser et de les jeter dans la corbeille à papier. Cet artiste, ce créateur, est extraordinairement destructeur.
Il voulait, avant de partir, me réduire à n’être plus qu’une pauvre petite chose frissonnante et sanglotante. Pourquoi ? Quel plaisir pervers trouvait-il à me démolir ainsi avec des mots ? Est-ce l’effet, chez lui, d’un sadisme naturel ? Ou le désir diabolique de me prouver son pouvoir ? Ou la nécessité de se venger sur moi d’un conflit intérieur qui le mine ?
C’est, entre nous, une guerre silencieuse et qui n’a jamais été déclarée. L’instinct de conservation est plus fort en moi qu’il ne l’imagine, comme l’est aussi ma faculté d’aimer.