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Critique de Antyryia



Le 26 avril 1986, il y a déjà trente ans, l'un des réacteurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl explosait et libérait des éléments radioactifs, irradiant et contaminant l'environnement humain, animal et végétal.

L'association Nord-Pas-de-Calais Tchernobyl et des familles de cette même région ( devenue Hauts-de-France depuis la fusion avec la Picardie ) offrent chaque été à de jeunes enfants ukrainiens la possibilité d'être accueillis et hébergés un mois, pour enfin respirer et pouvoir espérer.

Les treize auteurs de ce recueil Irradié ont donc écrit une nouvelle bénévolement pour aider cette initiative à se poursuivre, à la façon dont 13 à table ! soutient les restaus du coeur. Deux auteurs ( Franck Thilliez et Karine Giébel ) figurent d'ailleurs dans chacun de ces deux projets à vocation humanitaire.

Davantage que mon grand coeur, je dois bien avouer que ce sont leurs deux noms ainsi que ceux de Claire Favan et Barbara Abel qui ont attisé mon intérêt. Douze femmes et un seul homme composent la liste des écrivains de ce recueil.

Tous les textes portent sur le thème de la radiation, à l'exception de celui de Giébel, »L'homme en noir », qui est le récit d'une vengeance malsaine à la chute mémorable. Seule la phrase « La douleur explosa dans son ventre avant d'irradier chacun de ses membres » semble être une pirouette permettant de respecter le sujet proposé.

Je n'ai que peu apprécié la nouvelle de Thilliez - pourtant auteur d'Atom[ka] - inaugurant le recueil, »Mon vrai visage », dans laquelle un quadragénaire part à Pripiat en Ukraine, à dix kilomètres de Tchernobyl, considérée encore aujourd'hui comme une ville fantôme. L'auteur a choisi de développer cette atmosphère surnaturelle en donnant notamment un visage à la radioactivité.

Dans la nouvelle « Les yeux du passé » de Delphine Clapiès ( directrice éditoriale des éditions l'atelier Mosésu ), il est également question d'un voyage en Ukraine. le narrateur y rencontrera la superbe Maryna et son fils. Tous deux le rejoindront en France quelques mois plus tard. C'est une très belle ( et très triste ) histoire d'amour, un texte qui m'a beaucoup touché, dans lequel il sera aussi question d'une naissance.

Les problèmes de santé liés à l'exposition aux retombées radioactives étant souvent héréditaires, l'éventuelle condamnation du foetus avant même sa venue au monde est un sujet qui a beaucoup inspiré les auteurs.
Le narrateur est d'ailleurs un bébé qui parle à sa mère Sophia dans « Pas un jour sans elle » de Sandra Martineau. Toxicomane et prostituée, elle le condamnera à mort sans même le laisser naître. L'irradiation provient cette fois des drogues ingérées pendant sa grossesse.

Dans sa nouvelle que j'aurais souhaité voir plus développée, Marie Vindy nous raconte en parallèle dans « La nausée » l'histoire d'un procès mettant en accusation un pédophile et celle d'une avocate enceinte. Les grands-parents paternels de son futur enfant vivaient à Kiev et ont été victimes des retombées radioactives de Tchernobyl. L'enfant à venir sera-t-il sain ou, deux générations plus tard, déjà condamné ?

Dans l'histoire inspirée d'un fait réel de Laura Sadowski, « Destins irradiés », trois marginaux vivant de rapines finiront par voler un camion.
« Revenez ! Ce que vous volez est dangereux, extrêmement dangereux ! « 
Le chargement radiaoctif les intriguera et les condamnera. Leur brève et douloureuse fin de vie nous sera relatée, avec une petite lueur d'espoir. Adèle, la femme du groupe, a été moins exposée et survivra suffisamment longtemps pour accoucher d'un prématuré.

Dans « Pozoj », Gaëlle Perrin nous entraîne quant à elle dans un hôpital de campagne de la banlieue de Kiev disposant d'une porte bleue que nulle secrétaire médicale n'est autorisée à franchir. le rapport avec les jolis bébés ? Ceui-ci : »Assise sur le carrelage froid, elle ne pouvait détacher les yeux de cette horreur : un foetus difforme aux membres atrophiés ondulait dans le formol, sa petite tête cognait contre le verre du bocal. »

En restant dans le milieu hospitalier cette fois, vous ferez connaissance dans « Atom'hic » de Claire Favan de l'ignoble Jérémie, un garçon élitiste à qui tout réussit et qui est aussi prêt à tout pour être le meilleur quitte à écraser la concurrence. Sa dernière victoire lui permettra de l'emporter contre une victime de la radioactivité ayant besoin d'une greffe de poumons dans des circonstances que je vous laisse découvrir. Aussi géniale que malsaine, aussi atroce que fabuleuse, Claire Favan a concocté une perle d'humour très très noir.

Il est également question de greffe dans « Le nuage rose » de Christelle Mercier. Victimes des radiations de génération en génération, une mère se sacrifiera pour permettre à son enfant de vivre dans cette émouvante nouvelle.

Barbara Abel a concocté « Au bout du monde, au bout de la ligne », une petite histoire dont elle seule a le secret. C'est Fukushima qui l'a inspirée, et sa plus récente catastrophe ( 2011 ). Une famille abîmée, un père diabétique, un quiproquo et hop, un nouveau petit bijou d'humour noir à la chute savoureuse.

Ce sont les essais nucléaires français à Mururoa qui ont inspiré à Elena Piacentini et Marie-Sophie Villard, les titres respectifs « Tureia » et « Silence radio ».
La première décrit un long parcours vengeur condamnant toutes les personnes au courant des conséquences radioactives pour la population polynésienne locale ( et persistant à nier toute responsabilité ), la seconde nous parle d'un ancien militaire atteint d'un lymphome et d'une expérience sociologique : comment réagiraient les gens en huis clos face à l'annonce d'une fausse alerte nucléaire ?

Si je n'ai oublié personne il ne me reste plus qu'à évoquer la nouvelle absurde et décalée de Lucienne Cluytens, « O.R.G.E.» ( cherchez l'anagramme ), une sorte de conte inclassable et néanmoins réussi dans lequel une femme sans diplôme trouve un emploi étrangement bien rémunéré pour servir le café à quatre informaticiens surdoués et effectuer quelques autres tâches ingrates. Et progressivement, elle se demandera ce à quoi elle sert, ce que font ses patrons exactement comme activité professionnelle, et se sentira de plus en plus « ridée de l'intérieur ».

En résumé j'ai lu avec plaisir les inédits d'Abel, Giébel, Favan et j'ai découvert des auteurs comme Cluytens, Perrin ou Martineau que je relirai avec intérêt.
Comme dans la majorité des recueils, les histoires alternent entre le moyen et le très bon. Mais qu'il s'agisse de fables amenant à réfléchir, de textes très noirs, sensibles, émouvants, historiques ou amusants, la qualité domine dans Irradié.
Donc que ce soit pour l'action humanitaire, pour le plaisir de lire des inédits de vos auteurs favoris ou parce que le thème de la radioactivité vous intéresse, ce recueil vous permettra de voyager … sans risque de contamination.


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