Le chagrin ne s’allège pas d’être toujours partagé. La tristesse, c’est aussi quelque chose d’intime que l’on peut vouloir garder pour soi. Il faut simplement accepter de la traverser. Ne pas lutter. Attendre que le courant nous redépose sur le rivage. Attendre que passe le nuage d’orage.
... rien à voir avec ces touristes qui consomment le monde au lieu de le découvrir, prenant en photo ce qu'il n'ont pas regardé.
Quatorze kilomètres, c'est peu et beaucoup à la fois. C'est peu si tu as l'argent pour prendre le ferry. C'est beaucoup quand tu dois ramer la nuit dans les eaux noires du détroit de Gibraltar, à bord d'un rafiot bourré de clandestins, et pas un pour savoir nager. Les eaux y sont tellement brassées par le passage continuel des navires que traverser revient à zigzaguer dans un champ de mines. Une collision, et c'est la catastrophe : les corps qui coulent à pic sans laisser de trace à la surface.
Kenza adore cette manière poétique d'envisager le monde. Et puis, chez les Berbères, la femme est l'égale de l'homme, et elle n'est ni soumise à son père, ni à son mari, ni à son frère !
Bientôt, ce ne sont plus que des points minuscules piquant le ciel. Dans un instant, ils atteindront le détroit de Gibraltar, mince bras de mer, qu'ils franchiront en quelques battements d'ailes, et l'Europe sera là, déjà. Combien d'hommes et de femmes désespérées empruntent chaque jour ce même trajet au péril de leur vie, à bord de rafiots misérables, toutes leurs économies englouties dans la poche des passeurs ?
Et elle devine les souffrances, les fractures familiales et les maltraitances que les garçons ont certainement endurées pour en arriver là.
On demeure à jamais étranger là où on n'est pas né.
Éric s'est usé à essayer de lui expliquer qu'islam ne rime pas avec terrorisme, que le fanatisme d'une minorité n'est pas révélateur, et que la plupart des gens se contentent de vivre leur foi et aspirent à la paix.
- C'est l'amour, ça. Ça fait faire des trucs de fou ! lui répond Mehdi en souriant, les yeux brillants de larmes qui ne demandent qu'à jaillir.
Resté au bord de la rivière, Malik regarde la formation en "V" des oiseaux qui vont et viennent, sans besoin de visa, libres, affranchis de toute frontière.