Évidemment. Mais cette manière de relativiser en permanence m'a toujours rendu fou. Comme si, sous prétexte qu'on mourrait du virus Ebola en Afrique, et qu'il y avait eu plus de 220 000 morts en Syrie en cinq ans, je n'avais pas le droit d'être triste. Comme si tout avait à voir avec tout. Comme si les atrocités pouvaient alléger les soucis, les horreurs annuler les chagrins, comme si tout se compensait de l'intérieur, les poids sur les épaules de chacun additionnés puis divisés par leur nombre pour totaliser une espèce de moyenne mondialement acceptable. Sauf que non. À l'intérieur de moi, ça ne se passait pas du tout comme ça. Et puis, pour être honnête, je crois que j'aimais bien ça, le cafard. Ça me faisait me sentir vivant. Un peu comme un héros de roman.
Certains jours, au réveil, il m'arrive encore de douter de la mort de Yann, pour finir par enfoncer ma tête de longues secondes dans l'oreiller. Et moi qui n'ai jamais pris un seul cours de catéchisme au sérieux, moi qui menaçais ma mère de fuguer si elle m'obligeait à faire ma communion, ma confirmation et tout le bazar, moi qui lui ai reproché mille fois de m'avoir fait baptiser sans me demander mon avis, soudain j'aimerais croire en Dieu, et qu'on me certifie qu'il existe quelque chose derrière un pare-brise explosé.
Chaque fois que tu t'habilles, souviens-toi : si tu meurs, c'est ta tenue de fantôme pour toujours. ( traduction )
Dans les yeux de Lisette, on avait toujours lu la fierté d'avoir un fils pas comme les autres, tellement brillant, et qui se dirigeait dans l'existence avec une détermination hors du commun. Yann, c'était un phénomène...
Ce que je veux faire plus tard? Ce qui m'intéresse dans la vie? Disons que grandir, ce n'est pas exactement ce qui me fait vibrer. Devenir adulte, encore moins...
On t'a enterré le 20 août dernier dans le cimetière de Digne-les-bains, à côté de ton père, dans le caveau de famille. Et depuis, moi, je fais du sur-place. J'ai porté ton cercueil sur mes propres épaules, avec mon père et tes frères. Mais c'est comme si je n'avais toujours pas compris. C'est comme si j'attendais de me réveiller. Comme si tu allais ressusciter. Est-ce que tu entends ce que je te dis? Est-ce que tu sais à quel point c'est dur de vivre sans toi? A quel point tu n'avais pas le droit de me faire ça?
Le chagrin et la colère sont des sentiments parfois très proches l'un de l'autre, tu sais, et à certains moments ils peuvent même se confondre.
Ça devait faire environ mille ans que je n'étais pas entré dans une bibliothèque. Dans des cas extrêmes comme l'absence d'un prof un jour de fermeture du café d'en face, ou si j'étais trop fauché pour un expresso, il m'arrivait d'aller tuer une heure ou deux au CDI du lycée, qui était beaucoup mieux chauffé que la salle de permanence. Mais de là à regarder les livres.. sans même parler d'en emprunter un !
Ma tante, c'est la personne la plus forte du monde. Elle est comme les héros des jeux vidéo, qui se relèvent toujours de tout, du moment qu'une barre de vie s'affiche encore en haut de l'écran.
Aimer quelqu'un, c'est le laisser libre.