Journal de nage

Les mouvements successifs d’ouverture et fermeture de mes bras, comme d’un éventail, produisent au fur et à mesure de ma progression, un arrondi plissé, d’un bleu très doux, aussi léger qu’une tunique d’Issey Miyake.

Plus tard, en voyage, dès qu'il [Kafka] arrive quelque part, il commence par demander où aller nager. Il est convaincu que ce n'est que par la nage que l'on prend vraiment possession d'un paysage, que ce n'est qu'en se baignant dans ses eaux que l'on entre en contact avec un lieu.

Une des rares vertus de ces temps de racornissement est de nous rappeler, ou de nous faire découvrir, combien lire sauve, combien toutes les conduites de distance et séparation tombent par magie à la lecture de textes qui nous emportent ailleurs, selon un dépaysement géographique ou au gré d'une expérience spirituelle.

Ces plages...pour la plupart défigurées. L'horreur des cars de tourisme, l(obscénité des congés payés et des campings, et la débauche de vulgarité qui s'ensuit gâchent ce qui pourrait être un délicieux voyage hors temps, d'un plongeon à une pêche au air de lune.

Il y a la fraction de seconde, où, de froide et rébarbative, l'eau, quand vous avez commencé à nager, vous accueille et vous murmure à sa manière insinuante "continue".

L’énergie communiquée par cette eau qui bouge si fort est tenace. Une dame courtoise, une voisine de serviette, au sortir de cette exaltation hors contrôle, a envie de me parler de sérénité. Ce n’est pas pour moi le thème du jour. Elle se tourne vers quelqu’un d’autre. Un homme tout habillé, à plat ventre sur les galets. « On dirait la plainte d’un dinosaure », énonce-t-il à propos du bruit produit par la douche publique. À son tour, elle ne répond rien. La sérénité sera son lot. Un milieu entre la plainte du dinosaure et ma joie irraisonnée. Et si la mystique nous indiquait la Voie ? La voie de la joie sans raison.

Après le sida qui frappait surtout les jeunes, acharnés à trop jouir, le Covid-19 s’attaque d’abord aux vieux, acharnés à trop durer. Ce qui entraîne la question : Que faire d’eux ?

Veille du 15 août, jour de la fête de la Vierge Marie, nimbée de toutes les grâces, protectrice des marins, éternelle destinataire de litanies et des ultimes sanglots d'humains en détresse.

Cette chaleur : le sommet de l'été. Un épanouissement outré.

La mer n'a pas d'âge, le nageur non plus.