Las Vegas parano

Je me souviens, c'était un dimanche après-midi du mois d'août, en 1998 précisément. Je tâtonnais laborieusement un certain temps dans la pénombre, espérant arriver sans encombres dans un des fauteuils aux accoudoirs élimés de la salle obscure d'un multiplex qui projetait pour la première fois le déjanté Las Vegas Parano de Terry Gilliam. Il faut dire que, deux heures auparavant, j'avais eu la bonne idée de mélanger une quantité non négligeable d'une substance psycho-active, à base de plantes médicinales, dans une proportion toute relative de dessert lacté. La conjonction inopinée des premiers effets du stupéfiant et de l'apparition tel un délire hallucinatoire sur le grand écran, en gros plan, de l'immense visage de Johnny Depp, affublé d'un bob, d'une paire de Ray-Ban Aviator aux montures dorées et d'un porte-cigarette, avait eu pour effet immédiat de me scotcher définitivement au velours sur lequel mon postérieur avait fini par céder à la force d'attraction terrestre. Pourtant, je décollais littéralement. Et pour cause. Les pérégrinations psychédéliques en CinémaScope du journaliste Raoul Duke & de son avocat le docteur Gonzo étaient en parfaite adéquation avec la lente digestion de mon psychotrope aux ferments lactiques. Je tripais en même temps que les personnages de ce road-movie sous acides. Ce n'est qu'après plusieurs visionnages, et cette fois-ci à jeun, que j'ai compris qu'il s'agissait d'une critique acerbe du rêve américain, perçu dans le film comme un cauchemar éveillé, et non une apologie de la défonce. En fait, l'auteur du livre dont est inspiré le scénario du film, très fidèle d'ailleurs, n'est autre que le reporter américain considéré comme le fondateur du journalisme Gonzo, art qui consiste à s'immerger dans son objet d'étude tout en revendiquant une grande subjectivité, le grand Hunter S.Thompson. Il avait l'immense talent de transformer les fiascos de ses reportages en littérature. C'était un véritable mythe vivant. Lisez-le, vous ne serez pas déçu du voyage !!!!

Las Végas, au début des années 70. La capitale du jeu sert de décor à ce roman à clé dans lequel l'auteur et son avocat, camés jusqu'aux yeux, partent à la recherche de l'American Dream.

D'abord venus pour couvrir une compétition mécanique se déroulant aux portes de la ville, ce voyage est l'occasion pour les deux protagonistes d'user et d'abuser d'une quantité phénoménale de drogues en tous genres. Hallucinants et hallucinés, voilà que les deux compères se retrouvent au beau milieu de la conférence annuelle des procureurs contre la drogue.

Un récit culte qui ne laisse pas indemne.

Ce livre a tout simplement changé ma vie.

Après sa lecture, j'ai vu les choses différemment, je me suis intéressé à de nouvelles choses, j'ai lu de nouveaux auteurs que je ne connaissais pas.
J'ai découvert une autre Amérique. Celle des fêlés, des hommes qui vivent à fond quitte à en crever.

J'ai ensuite lu tout le reste de Thompson, même ses articles sur la politique américaine. Puis sa biographie. Et aujourd'hui je considère cet auteur quasiment comme un ami. Quand ça va pas trop je me dit qu'il est là, du moins ses écrits car il est mort. Mais c'est pareil, il est là.

Quand je veux rire un bon coup je relis une fois encore quelques unes de ces lettres dans Gonzo Highway. Quand je voyage j'emporte bien souvent ce Las Vegas Parano dans mon sac. Parfois je le laisse à un amis croisé sur la route.

Bref Thompson n'a pas fini de m'accompagner. Merci mec.

Un récit déjanté à lire absolument. Un film en a été réalisé avec Johnny Depp et Benicio del Toro. Désopilant.

Martinez iz ma lawyer

En amoureux de Jack Kerouac, Hunter S. Thompson explore une Amérique noyée dans les paradis artificiels, et retranscrit brillamment le terrifiant paradoxe de Las Vegas : des milliers de kilomètres de rien, et puis d'un coup, trop. Trop de fous, trop d'argent, trop de misère. "Il faut se retenir." Ces mots éclatent aussi fort que leur face opposée, faisant du récit un trip narcotique intense et enflammant.
C'est enfin dans le contexte enlisant d'une guerre de Vietnam interminable que deux personnages, enfermés dans leur condition et leur addiction, tentent d'épouser le portrait de ceux qu'ils ne seront jamais, comme pour caresser l'utopie d'un Rêve Américain délavé.

Je pense que beaucoup d'entre vous sont déjà familiers avec l'histoire, car si vous avez vu le film, sachez que c'est stricto-sensus la même chose.

En 1972, Thompson, journaliste et amateur de drogues de son état, est envoyé à Vegas pour couvrir une course automobile puis un colloque policier anti-drogue.
Accompagné de son avocat, tout aussi amateur de perceptions modifiées, il va, parallèlement, partir à la recherche du rêve américain.
Il finira par écrire ce qu'on tient entre nos mains, c'est-à-dire dire un article publié dans rolling stone magazine et non un roman.

C'est complètement taré, brut de décoffrage et sans compromis.
Ou comment vivre une expérience hallucinée par procuration et à 200km/h!