L’histoire d’un individu, quel qu’il soit, n’est pas linéaire et unidimensionnelle. Elle s’inscrit dans un faisceau de signifiants qui ne sauraient être réduits à une simple biographie. Pour Paul, il est tout aussi important d’être informé de ce que sa vie aura été jusqu’à l’accident que de voir se succéder des visages différents présentant des historiettes variées sur leur passé commun ou découvrir dans les journaux et magazines, à la télévision ou sur internet l’écho de son accident. L’ensemble de ces flashs, nécessairement brefs, lui permettront de constituer une parenthèse de faux éléments de mémoire qui le moment venu pourront aisément se transformer en vrais pans de sa personnalité.
Ils ergotent, commentent, jasent et balbutient leurs petites politesses sans saveur auprès d’un corps qui est celui de Paul, leur ami, pour autant que ce mot veuillent dire quelque chose, mais d’une âme qui n’est pas la sienne, d’un esprit d’enfant ébloui par ce qu’il découvre sans savoir si cela lui appartient ou non.
Alors que pour tout autre individu le présent est un instantané indescriptible, un point de tangente entre le passé et ce qui bientôt sera passé, le présent pour lui est une zone franche sans réelle définition, un espace ample et démesuré hanté d’ombres qui passent et repassent, s’imposent et fuient, inaccessibles.
Il ne se rappelle de rien. Il ré-émerge doucement dans un monde qui ne signifie que peu de choses pour lui. Tout est une redécouverte, y compris et surtout lui-même. Il discerne des éléments mais parvient avec difficultés à les associer avec un identifiant. Il redécouvre les sensations les plus élémentaires.
Le passé, son passé, n’est qu’une morne plaine, son présent prend corps avec lenteur et commence à fleurir une steppe aride, mais en lieu et place de paysages d’adultes, complexes et sinueux, presque à l’infini, lui ne dispose que d’un minuscule jardinet, sans importance ni conséquence, et ce jardinet c’est elle, la jeune Nora, qui lui montre comment le planter et l’entretenir.