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Citations sur La Vie commune : Essai d'anthropologie générale (9)

9. Excipit : « Deux personnages de Romain Gary échangent, dans le noir, ce dialogue :
"- Aline. - Oui ? - De quoi on a tous peur ? - Que ça ne dure pas."
À peine entrevu, l'équilibre instable de la reconnaissance par tour de rôle est rompu ; à peine atteint, l'accomplissement de soi nous demande de recommencer sa conquête. Un sentier bien étroit conduit au bonheur, qui sépare des abîmes vertigineux ; et on ne peut jamais avoir la certitude de s'y être engagé pour de bon. Que faire alors ? S'enfermer dans une solitude fière, comme le préconisent les stoïciens, pour s'épargner des déceptions futures ? Se détacher des biens terrestres, comme le recommande saint Augustin, pour n'aimer infiniment que le seul être infini, Dieu ? Ou bien accepter sa condition, comme nous y incite Rousseau, sans espoir de vie éternelle ni d'âme immortelle, sans la consolation d'une survie par la communauté, par la descendance ou par les œuvres, ces substituts de l'immortalité ? La vie commune ne garantit jamais, et dans le meilleur des cas, qu'un frêle bonheur. »
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3. « Si le récit d'origine de l'espèce a été systématiquement préféré à celui de l'origine de l'individu, la phylogenèse à l'ontogenèse, c'est sans doute, au moins en partie, parce que les auteurs de ces récits sont des hommes, non des femmes, alors que l'origine de l'individu, c'est-à-dire la naissance et la petite enfance, a appartenu exclusivement, pendant des siècles, à l'univers des femmes. Le récit concernant l'espèce est une pure spéculation, celui sur l'individu relève de l'observation – mais les narrateurs attitrés n'y avaient accès ou ne s'y intéressaient pas, et les observatrices étaient interdites de récit. On peut même se demander s'il n'y a pas eu un désir de compensation inconscient chez les hommes qui, ne pouvant pas gérer la procréation, se consolent en se racontant la naissance du monde. » (p. 66)
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8. « Lorsque je lis un livre que j'admire, d'un philosophe ou d'un savant, d'un poète ou d'un romancier, je me sens pris dans une relation qui me permet de m'accomplir, par le contact même dans lequel j'entre avec une pensée puissante ou une image inépuisable : mon existence me semble littéralement s'élargir.
[…]
Je lis un livre qui me plaît, bien au chaud chez moi, en écoutant de la musique : c'est le bonheur ! Plusieurs formes de reconnaissance participent déjà de ce sentiment de bien-être. Je suis satisfait de l'image que je me donne à moi-même : l'autosanction fonctionne. Si quelqu'un entre dans la pièce, il pourrait m'admirer ou m'envier : je goûte des plaisirs distingués. Je lis un auteur de qualité, je suis flatté à l'idée d'appartenir au club (restreint) de ses admirateurs. Mais ces plaisirs sociologiquement prévisibles ne sont encore que les plus superficiels. À côté d'eux, j'en éprouve un autre, plus durable : l'auteur que je lis parvient à formuler en mots ce que je ressentais mais ne savais dire, ma pensée, mon sentiment, ma sensation ; par là, il élargit mon univers mental, il lui donne plus de sens et de beauté. […] Mais je peux aussi goûter le plaisir de la lecture intransitivement, sans passer par aucune médiation, même pas celle de mon propre jugement : me livrer à cette activité me donne alors le sentiment immédiat de m'accomplir, donc aussi d'exister. Sans parler de ce que lire relève pour moi de l'habitude et donc de la répétition : c'est aussi une façon de persister dans mon être. (pp. 181, 184)
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7. « En ce sens, le poète a bien raison : je est un autre. La pluralité intérieure de chaque être est le corrélat de la pluralité des personnes qui l'entourent, la multiplicité de rôles que chacune d'elles assume ; c'est là une caractéristique distinctive de l'espèce humaine. En même temps, aussitôt nées, ces images – qui, il va de soi, ne sont nullement des reproductions fidèles des êtres autour de nous – seront projetées au-dehors, sur leurs prototypes ou sur d'autres personnes, déterminant ainsi, dans un deuxième temps, notre perception du monde extérieur. Le soi est le produit des autres qu'il produit à son tour. Ce constat ne signifie pas que le sujet humain n'aura jamais accès à ce que les philosophes appellent l'autonomie. Le droit et la morale ont raison de vouloir fixer les limites de chaque sujet pour pouvoir établir ses responsabilités ; mais la psychologie, elle, les brouille et les confond. » (p. 160)
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6. « On peut rapprocher de l'autisme certaines attitudes moins pathologiques. On peut se demander, par exemple, si l'usage répandu des drogues, "dures" ou "douces", chez les adolescents (ou de l'alcool plus tard) ne correspond pas à un refus d'avoir à chercher la reconnaissance des autres. Quand on "plane", on a le sentiment de plénitude, d'autosuffisance, qui permet de ne plus se soucier des réactions de ceux qui nous entourent. Dans le même groupe d'âge, un rôle comparable est joué par la musique – que j'écoute de préférence très fort, ou avec un casque sur les oreilles : elle aussi sert de couche isolante entre le monde extérieur et moi, m'enveloppe comme un cocon et me dispense d'aller quémander une reconnaissance. » (p. 132)
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5. « […] L'agent de la reconnaissance directe reçoit, par le fait même de jouer son rôle, les bénéfices d'une reconnaissance indirecte. Se sentir nécessaire aux autres (pour leur accorder une reconnaissance) fait qu'on se sent soi-même reconnu. L'intensité de cette reconnaissance indirecte est, en règle générale, supérieure à celle de la reconnaissance directe. Dans le ghetto de Varsovie, raconte un survivant, Marck Edelman, la plus sûre manière de survivre était de se dévouer à un autre être : "Il fallait avoir quelqu'un sur qui centrer sa vie, quelqu'un pour qui se dépenser." […]
De plus la reconnaissance indirecte échappe à la censure de notre morale, toujours prompte à condamner celui qui aspire trop ouvertement aux louanges. Être fort, soutenir, encourager les autres revient en même temps à se gratifier soi-même ; appeler à l'aide implique qu'on admette sa vulnérabilité et sa faiblesse ; c'est un geste plus difficile quand on n'est pas un enfant ou un vieillard, un malade ou un prisonnier. » (p. 114)
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4. « Victor Hugo disait : "Les animaux vivent, l'homme existe", et on pourrait, en reprenant ces termes, appeler le premier niveau d'organisation celui du "vivre", le second, celui de "l'exister".
Partis de la distinction freudienne entre pulsions de vie et pulsions de mort, nous aboutissons ainsi à une tripartition – entre être, vivre et exister. La pulsion d'être, nous la partageons avec toute matière ; la pulsion de vivre, avec tous les êtres vivants ; mais la pulsion d'exister, elle, est spécifiquement humaine. » (p. 75)
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2. « C'est justement ce qu'il [Adam Smith in : Théorie des sentiments moraux, 1759] reproche à La Rochefoucauld et à Mandeville : ils effacent dans un premier temps toute différence entre les regards sollicités, pour pouvoir affirmer ensuite que seul l'intérêt nous gouverne. Mandeville "traite de vanité tout ce qui a rapport à ce que sont ou à ce que doivent être les sentiments des autres". Or le désir de gloire ne se confond pas avec la vanité, le désir d'être bon avec le plaisir de recevoir des compliments. » (p. 35)
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1. « On peut observer chez La Rochefoucauld (ou avant lui chez Hobbes) la mise en place d'un dispositif d'argumentation qui se maintiendra à peu près intact pendant des siècles. Dans un premier temps, on fait comme si tous les rapports sociaux se ramenaient aux qualités louables, à la générosité, à l'amour d'autrui ; autrement dit, on interprète l'opposition entre solitude et socialité comme équivalente à celle entre égoïsme et altruisme, ce qui est évidemment abusif. C'est alors que, dans un deuxième temps, on procède à un travail de désillusionnement, on arrache le masque de vertu. Ce geste est d'autant plus convaincant à nos yeux qu'il ne semble avoir rien de flatteur (or, nous disons-nous inconsciemment, on n'affirmerait pas une chose désagréable à moins qu'elle ne soit vraie). Du coup, ayant rejeté une vision trop bienveillante de l'homme, on reste avec l'idée d'un être solitaire et égoïste. La socialité est vertueuse, or la vertu est trompeuse ; donc la vérité est asociale. » (pp. 18-19)
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