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sur 182 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Profondément marqué par le suicide de son frère, Jérôme, Camille de Toledo, Alexis Mital pour l'état-civil, écrit sous le nom de famille de sa grand-mère paternelle : de Toledo.

« Espagnols, puis Ottomans,
reconnus comme Français, dénoncés comme Juifs
emportés tout au long de ce vingtième siècle désastreux
dont nous sommes les descendants »

Ces quelques mots résument à eux seuls une destinée familiale. Thésée, nom choisi pour le narrateur parce que cherchant à se libérer d'un labyrinthe encombré de destins tragiques, se débat dans beaucoup de souvenirs, retrouve des documents, des lettres, des photos dont certaines sont jointes au texte. Tout cela à partir de la mort tragique de ce frère qui s'est pendu le premier mars 2005.
Ensuite, c'est leur mère qui est retrouvée morte dans un bus, au terminus, puis leur père qui décède après une longue maladie. C'est alors que Thésée décide de partir pour Berlin qu'il nomme « la ville de l'Est » avec ses enfants et trois cartons contenant tous ces souvenirs qu'il devra explorer.
Ainsi, il remonte dans l'histoire familiale avec ces deux frères, Nissim et Talmaï, qui ont quitté Andrinople (Edirne aujourd'hui), en Turquie, pour devenir Français. Nissim se bat pour la France sur le front de la Première guerre mondiale et ses longues lettres adressées à son plus jeune frère, Talmaï, sont d'une lecture impressionnante et terriblement émouvantes. Nissim est tué par une bombe allemande le 16 juillet 1918.
Talmaï perd son fils, Oved, à l'âge de onze ans. Désespéré, ce père se tire une balle dans la tête le 30 novembre 1939.
La Seconde guerre mondiale apporte les dénonciations, la déportation, cette haine anti-juive qui ne semble jamais s'éteindre. Reste Nathaniel, autre fils de Talmaï, devenu « patron de gauche », qui marie sa fille, Esther, à celui que l'on surnomme Gatsby, en 1969, futurs parents de Jérôme et Thésée. Si l'auteur parle des Trente Glorieuses dont ses parents disent avoir bien profité, il faut quand même préciser que tous les Français ne vivaient pas dans un milieu aussi privilégié.
Ainsi, Thésée, sa vie nouvelle pourrait sembler être une saga familiale. Pas du tout. Dans ce livre hors normes, sans majuscule, sans point, avec une mise en page originale réussie par les éditions Verdier, de Lagrasse, merveilleux village de l'Aude, Camille de Toledo se livre à une introspection très poussée sur la mort, le suicide, l'histoire familiale et notre lien avec la matière.
Son écriture très originale m'a surpris au début puis je m'y suis fait rapidement, aimant lire ces références historiques, souffrant avec lui lorsque, à Berlin, il est marqué, dans son corps, par toutes les questions qu'il se pose. Parlant de Thésée à la troisième personne, cela ne l'empêche pas de s'exprimer régulièrement en utilisant le « je ». J'ai aussi été très impressionné par son dialogue avec son frère lorsqu'il vient s'asseoir près de sa tombe.
Thésée, sa vie nouvelle, Camille de Toledo nous l'avait présenté aux Correspondances de Manosque 2020 et voici ce que j'écrivais sur http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/ :
Place Marcel Pagnol, nous découvrons un auditoire impressionnant pour écouter un Camille de Toledo captivant. Si son vrai nom est Alexis Mital, il publie sous ce nom de plume aux consonances ibériques : Camille de Toledo.
Yann Nicol le questionne à propos de Thésée, sa vie nouvelle et il suffit de lancer Camille de Toledo pour être subjugué. Un homme, son narrateur, se rend en train à Berlin avec un carton d'archives. Faut-il l'ouvrir ou pas ? Ainsi la question est posée : Quelle histoire de l'avenir écrivons-nous au nom du passé ? L'auteur veut qu'à la fin de notre lecture, nous nous demandions : qu'ai-je appris en allant au bout de cette histoire ? Qu'est-ce que j'ai partagé ?
Il y a d'un côté, les promesses non tenues du passé. Qu'en faire ? Mais aussi qu'avons-nous fait ? C'est la question de ce début de siècle et nous sommes en plein mythe de Thésée avec une dette à payer à un monstre. Nous devons nettoyer les eaux mortes du temps pour nos enfants, savoir exactement ce qui s'est passé à propos des colonies, de l'esclavage, de cette économie mise en place et pour cette écologie qui tarde à s'imposer.
Toutes ces questions sont essentielles et nous avons vraiment été impressionnés par cet auteur que nous avons découvert en cette fin d'après-midi, à Manosque.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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C'est sous la forme d'une mélopée, d'un long poème lyrique, soutenue par une sublime musique des mots que Camille de Toledo se penche sur l'histoire d'une lignée, pour tenter d'écarter avec ferveur le poids d'une malédiction qui a conduit les hommes de cette famille à se donner la mort tandis que les survivants sont lestés de peurs ancestrales, de celles qui attaquent les corps autant que les âmes.


Thésée a cru que la rédemption viendrait de l'exode, vers un autre pays, là où personne ne sait les malheurs qui l'ont précédé, mais la fuite n'est pas la solution : autant enterrer une taupe, qui n'en creusera pas moins de multiples galeries qui fragiliseront le sous-sol.

Alors c'est de regarder l'histoire en face, sans esquive, en parcourant les traces que les ancêtres ont laissées dans l'histoire, sous forme de lettres, de photos, qui guidera l'homme atteint dans son corps, que toutes les médecines du monde ne parviendront pas à soulager. Comprendre pour effacer le poids du silence, pour balayer les peurs tapies dans l'environnement chimique de notre héritage génique.

C'et ainsi que Thésée questionne les avancées scientifiques qui font de l'épigénétique une des voies d'explication du mal-être qui accompagne certains d'entre nous. Et la charge est si lourde dans cette famille, et tant d'autre, minée par les guerres, les déportations, les suicides, toutes causes qui s'intriquent et trois générations plus tard continuent de blesser ou de tuer.

On ne redira pas assez l‘élégance la forme, sublime, d'une musicalité émouvante, avec ces phrases qui ponctuent comme autant de refrains le récit. Mais l'esthétique n'est pas la seule force : la dissection minutieuse des processus impliqués dans les ravages des secrets de famille aboutit à une hypothèse scientifique vertigineuse.


Un texte sublime, indispensable.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Thésée, sa vie nouvelle est un livre qui a de la force. Ce ne sont pas les êtres qui l'expriment bien que le « Faire face » est largement retranscrit mais l'aspect psychologique de celui qui reste debout après que l'autre ait disparu. Camille de Toledo s'exprime à travers les mots dans une langue qui dépasse l'appartenance identitaire. On peut quitter sa ville, fuir son pays sans qu'il soit systématiquement coupés, tous les ponts et tous les liens avec les siens. de même qu'il se passe un affrontement entre le corps et l'esprit quand le désir d'oubli se substitue par un trouble somatique. Alors, sommes-nous maîtres de nos destinées ? La croyance n'a-t-elle pas ses limites quand nous sommes construits par l'histoire générationnelle ? Sommes-nous permutables à souhait sans qu'il soit fait outrage à notre construction héréditaire ? En parcourant ce labyrinthe j'ai trouvé bien des sorties même si je ne détiens que ma propre vérité. J'ai trouvé ce développement très chaleureux et plein d'intelligence.
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Une belle découverte. Porté par une écriture tout en rythmes et sonorités qui se répondent comme dans les rimes d'un poème, Camille de Toledo mêle dialogues et dialogues intérieurs, photographies et papiers de famille pour partir à la recherche des traces  laissées par la famille de Thésée.

Depuis Andrinople dans l'Empire ottoman où Talmaï et Nissim ont fréquenté une des écoles de l'Alliance Israélite Universelle, jusqu'à la France et Berlin, nous traversons plus d'un siècle d'histoire (la Grande Guerre, puis la seconde guerre mondiale, les Trente Glorieuses et jusqu'en 2019) avec Thésée et les siens. A rebours, par courts chapitres et va-et-vient entre passé-présent-futur, par des dialogues réels et imaginaires entre les vivants et les morts, nous cherchons avec lui le fil qui lui permettra de sortir du labyrinthe dans lequel les siens se sont perdus, ont perdu leur identité juive et le  rapport à la prière, ont perdu la vie (se sont donnés la mort) et lui, Thésée a perdu sa santé. Camille de Toledo retisse le lien entre les générations, interroge la question de la transmission mais aussi questionne notre société et l'histoire tourmentée du XXe siècle dans ce qui est certes un récit d'une profonde tristesse mais aussi une ode à la vie et à la réconciliation. le post-scriptum reprend la question de la transmission et du lien entre les générations et propose une réflexion nouvelle sur le suicide.

(p. 214)
et peut-être, finalement, est-ce cela que je cherche
en plus de relancer la vie
plonger dans le passé pour mobiliser les morts

pour qu'ils exigent que nous écrivions, en leur nom, une autre histoire à venir

p. 241
l'idée juste, profonde, qu'il y a un vaste lien des vies avec les vies, des morts avec celles et ceux qui naîtront, des ancêtres avec l'avenir, de la douleur avec la joie.
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Petits arrangements avec les morts.

Avant d'être happée, je ne sais rien de ce livre et je n'ai jamais lu l'auteur. L'appel du Minotaure, le découpage et les photos qui émaillent le texte m'interpellent. Et ce titre qui dans un même élan, concilie et oppose antiquité et modernité. Je me suis lancée et rien n'a pu m'arrêter.

Thésée est celui qui reste, après le suicide de son frère, les morts successives de sa mère et de son père. Il décide de fuir pour s'inventer une vie nouvelle, chargé de trois cartons d'archives. Un pour chacun des morts.

Faites taire vos ouvenirs sous le vernis d'une vie nouvelle, une langue nouvelle, c'est le corps qui finira par crier. Celui de Thésée part en vrac, aucun examen médical ne peut l'expliquer. Il est temps de s'asseoir au milieu du contenu de ces cartons, pour comprendre le geste de son frère et réparer la douleur. Thésée initie sa quête à partir de cette question « Qui commet le meurtre d'un homme qui se tue. », il interroge photographies, journaux et lettres du passé, deroule la bobine, tente de démêler l'écheveau, entre histoires et légendes qu'on se raconte, secrets et dissimulations, fantômes et règlements de comptes.

Dans ce récit où il tire le fil de sa blessure personnelle et généalogique, c'est finalement le récit plus vaste d'un siècle qui se déroule en deux guerres et Trente Glorieuses.

Tuer le monstre, sortir du labyrinthe, ne plus payer le tribut, en finir avec la malédiction qui met en vrac son corps-mémoire.
« Que sait ce corps qu'il ne sait pas? »

Thésée. Seul. Bouleversant.
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La couverture de ce roman ( dans la dernière sélection des Goncourt) se présente masqué. Un peu d'Espagne, un peu de mythologie et un enfant boxeur... du romanesque en perspective se dit-on en ouvrant le livre ... qui surprend tout de suite par un texte à la mise en page inhabituelle. de la poésie ? Un peu... Peut être... même si plus loin, le texte semble se ranger selon les codes habituels....sauf que dans les paragraphes où l'auteur parle, il n'y a jamais de majuscule pour démarrer, ni de points. Est-ce important ? Sans doute, mais le lecteur lambda s'affranchira très vite de cette particularité, car au-delà de cette forme particulière, "Thèsée, sa vie nouvelle" va l'emporter dans un voyage passionnant, intime et exigeant.
Evacuons d'abord quelques faits biographiques qui pourraient injustement ranger ce texte (magnifique) dans les lamentations d'un pauvre fils de riches ( ici, lever les yeux au ciel pour dire qu'ils nous gonflent ces nantis avec leurs misères non essentielles). Oui, Camille de Toledo ( un pseudo) est fils et petit fils de grands industriels français. Oui, sa mère fut une grande journaliste économique et rédactrice en chef de revues faisant l'opinion. Mais, Camille de Toledo est surtout un remarquable écrivain qui nous livre, se livre dans un livre d'une rare intensité littéraire et intellectuelle.

Après le suicide de son frère ainé, puis la mort de ses parents, Thésée ( l'auteur) fuit la France pour vivre avec femme et enfants en Allemagne. Il embarque avec lui des cartons de photos et de documents récupérés après les décès des siens. Alors que son corps montre des signes de grande faiblesse, il se penche sur le contenu de ces archives. Les vies et les morts de ses ancêtres viennent alors éclairer sa vie d'une lumière nouvelle et terrible.

Le roman, façonné d'une écriture magnifique, rappelle dans sa première partie les mouvements de l'océan à marée montante. Avec une prose se rapprochant un peu du ressassement universitaire, chaque paragraphe, comme une vague de mots terribles, répétés pour mieux les intégrer, s'écrase sur la page tout en laissant apparaître un élément nouveau. Petit à petit, on s'enfonce dans les non-dits d'une famille. le propos, certes intime, se teinte également de sociologie et de politique, mais surtout d'épigénétique ( en gros c'est la modification de l'expression de vos gènes en fonction de traumas passés). La dernière partie du livre, vous serre le coeur et porte cette histoire personnelle vers des interrogations et des impressions qui nous renvoient à notre 21 ème siècle si destabilisé.

Un peu plus sur le blog
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Thésée, perd son frère Jérôme qui se suicide en 2005, puis sa mère, inconsolable de la perte de son fils, puis son père quelques années plus tard. Il décide alors de quitter la ville de l'ouest qu'il habite pour se réfugier dans la ville de l'est pour tenter de faire table rase du passé, en emportant avec lui trois cartons contenant les vies du frère, de la mère et du père. le besoin de comprendre le passé familial le torture, et il le reconstitue grâce aux archives, au prix d'une dégradation physique incompréhensible par toutes les structures soignantes auxquelles il a recours. Ce besoin de comprendre qui l'obsède lui fait découvrir des antécédents familiaux qu'il ignorait et qu'il rend responsables de ce qui advient ensuite. Ce roman est un quête poignante, remarquablement écrite, d'une grande sensibilité, qui ravive le mythe du juif errant et attribue à la chimie de l'eau des corps la possibilité de véhiculer et transmettre des traumatismes sur plusieurs générations. La lecture doit être attentive et vigilante pour que la beauté du texte et sa magie vous emporte !
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Dans le roman de Camille de Toledo, le lecteur se retrouve face à un personnage principal en fuite, hanté par le passé de sa famille, par le manque de son présent. Camille de Toledo aborde la vie de celui qui reste après le suicide et la mort de ses proches. Il y a plusieurs mises en pages, des mots, des phrases et des images. Je suis rentré dans ce livre grâce à son ton, à la profonde empathie qui embrasse l'histoire. le roman est à la troisième personne et parfois à la première personne. On fait ainsi des allers-retours avec les personnages et leur histoire, comme un nageur qui régulièrement reprendrait son souffle au cours de son avancée dans l'eau. J'ai eu l'impression d'être entre la conscience et le subconscient de Thésée, entre ce qu'il constate (surtout son présent) et ce qu'il refuse d'intégrer, ce qu'il tente d'étouffer (son passé donc). À partir de la situation tragique de son personnage, Camille de Toledo remonte l'histoire d'une famille, d'un héritage, d'un territoire et d'un continent. On remonte ainsi aux années 1930 par le récit de l'arrière-grand-père de Thésée, le récit d'une mort, à la veille de la Seconde Guerre mondiale et on revient vers Thésée en passant par la vie des générations qui l'ont précédé. L'auteur parle de l'exil, de cette Histoire qui détruisit des générations, de la Shoah et du poids du passé. Thésée veut seulement se projeter dans l'avenir, tente de ne plus sentir le passé dans lequel est planté son arbre généalogique. On suit un personnage qui étouffe à cause de son propre héritage. Il veut être moderne, ne porter son regard qu'ailleurs. Son esprit, puis son corps rapidement, s'embourbent dans ce passé que nous découvrons au fur et à mesure. Des moments de cette famille, les douleurs devenues secrets, se révèlent et montrent à quel point la parole a été éteinte pour éviter de parler du passé. Il fallait toujours regarder vers l'avenir. Thésée refuse les morts de sa propre histoire avant de se lancer dans le récit familial, de mettre des mots pour construire ce qui lui appartient.
On lit ce texte porté par un certain élan. Il n'y a pas de majuscule, pas de points. La ponctuation existe quand même, le rythme de la narration venant des virgules, des points-virgules. Et il y a ces blancs, ces sauts de lignes, des mots centrés, alignés d'un côté ou de l'autre, ouvrant des respirations, des hésitations, des doutes, des moments d'absence dans le fil de la pensée de Thésée, transformant ainsi le roman en poème. S'ajoutent des photos recadrées, rognées, aperçus plus ou moins là pour illustrer le texte. Ce livre foisonne d'informations, de souvenirs qui éclatent dans la tête de Thésée. Avec ses choix esthétiques, les pages prennent la forme de notes, d'esquisses, de tableaux. le roman a de la texture, les feuilles ont de l'ampleur. On parcourt l'esprit de Thésée comme lui a fait son voyage vers l'Est. le texte, dans une forme hybride et une narration qui donne de l'élan au chaos, montre brillamment la difficulté de construire son passé avec des manques, des absences et le fait de ne pas tout savoir, tout comprendre.
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« Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des enfants en ont été agacées ? »
Livre d'Ézéchiel, chapitre 18. En exergue du récit, cette citation de l'Ancien Testament dit beaucoup de ce qui suit. Elle évoque sans le nommer, tout ce qui au fil du temps, se transmet en silence dans la chaîne des générations. Thésée le frère survivant va ainsi chercher dans les souffrances passées de ses ancêtres, ce qui pourrait donner sens à celles qui ont conduit son frère Jérôme à se donner la mort par pendaison, à trente-trois ans le 1er mars 2005.
« Qui commet le meurtre d'un homme qui se tue ?
Car avec cette question s'ouvre le récit archaïque
Qui coupe entre les âges et ricoche
De vie en vie, du passé vers l'avenir
l'avenir »
Cet avenir, le frère survivant veut y croire, pour ses enfants, pour lui, il décide de quitter le lieu de sa vie pour un nouvel horizon dans une ville de l'est qu'il ne choisit pas par hasard car le hasard n'existe pas pour Thésée, les pas se fondent toujours dans d'autres pas, les vies résonnent d'autres vies. Dans cette ville de l'est, l'avenir se révèle pourtant impossible à construire. La douleur terrasse Thésée, le corps se rebelle et se casse. C'est dans cette souffrance que se trouve le fil d'Ariane. Apprendre à écouter son corps, c'est aussi prendre le temps de se relier aux corps disparus. Les corps ont à transmettre, à l'image de ces vers de terre dont les chercheurs ont révélé leur capacité à faire suivre sur 14 générations, le traumatisme qu'un seul gène a pu subir. L'auteur nous prend donc par la main pour suivre Thésée dans l'abîme de sa souffrance et l'accompagner dans son voyage au pays des morts ; la mort d'Oved, celle de Talmaï, celle de Nissim, celle du frère, du père, de la mère.
Récit poétique beau et fort comme un kaddish, construit dans une scansion douloureuse, où se lit l'infini de ce qui fait mal, l'écriture propose une symbiose poignante à la quête de Thésée qui rétablira le fil des vies passées. le frère mort n'est plus seul.
Un livre superbe.

Lien : https://weblirelavie.com
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Quelques mots classiques et ramassés d'abord : Thésée quitte, part, s'enfuit vers l'Allemagne, vers le pays de l'Est, à l'opposé de l'Ouest familial et familier, avec ses enfants et des cartons d'archives, photos, textes du passé. Ce passé, il tente de lui échapper : un frère suicidé, et deux parents tour à tour emportés par la mort peu de temps après. En croyant choisir la vie, loin de ces deuils et des absences pesantes, il est rattrapé par le corps, lequel se paralyse, s'endolorit jusqu'à l'immobiliser au point cruel d'une tristesse infinie et mortifère. Les cartons à fouiller vont lui permettre d'interroger autrement l'histoire familiale pour se sortir de ce labyrinthe inconscient, entre vivants et morts de la lignée.
Bon, à présent ce qui m'a chavirée dans ce livre : les mots. Pas très original me direz-vous ! En effet. Mais ces mots sont venus dire, exprimer, expliquer, raisonner et résonner ce que j'expérimente depuis de nombreuses années, tant professionnellement que personnellement. La répétition, les pièges des destins reliés, les valises des aïeux, la mémoire du corps, la transmission intergénérationnelle, notre ADN inconscient et agissant…cette quête de sens, ou ce constat de non-sens, nos tentatives pour s'élever et être bien, juste être bien.
Enoncés ainsi, j'ai conscience sans doute de ne pas être des plus convaincantes et ces dernières lignes s'inscriraient davantage dans une analyse psycho, un peu loin de la littérature ?
Pourtant la force de ce livre réside dans les mots qui révèlent, des mots affûtés, chercheurs, qui s'obstinent à poser les bonnes questions, celles qui fâchent aussi sans doute, celles qu'on fuit. Plus largement on vient réinterroger là notre place et notre libre arbitre : nos choix, nos rencontres, nos orientations, nos épreuves, nos symptômes…Sommes-nous à ce point déterminés par le maillage dont nous sommes issus, en plus du conditionnement culturel et éducatif ? Quid de notre liberté ? Ce qui passe à travers nous et qui nous entrave, suffit-il à nous limiter dans une répétition morbide ? Ou appelle à notre singularité, à notre créativité pour s'inventer et se nommer, se re-nommer, malgré les attaches et les dettes, les débusquées, les sublimées ?
J'illustre cette bafouille avec ce tableau, cette vague en symétrie, cette illusion d'optique en miroir qui trouble…car la construction narrative du roman réside en ce retour incessant, ce va et vient pour décrire, symboliser et incarner ce tâtonnement, ce retour sur soi qui repasse, vire et revire, se cherche, se perd, se confond… Il y a redite mais jamais totalement à l'identique. Chaque fois la vague dessine une autre ligne, grapille ou libère un rond de sable, gagne un cran pour l'effacer de retour. Dans cet infiniment petit qui bouge réside la dynamique et la respiration vitale du changement, à peine perceptible parfois mais susceptible de se réaliser, le petit rien, pas de côté qui sauve de la mêmeté qui cristallise et assassine. le brillant du livre est là : les mots pour symboliser et nous faire ressentir avec finesse les tourments, les douleurs et les émois d'une quête quand on vacille dangereusement ; les mots pour dire la matière du corps qui détient tout, mémoire de chair ; les mots pour broder autour des silences qui pèsent : un récit-enquête pour nous embarquer dans ce voyage de longue haleine, laborieux, éreintant, nécessaire. La vague, inconsciente nous meut, nous retient, nous noie parfois, ou nous réveille, nous secoue et nous transporte vers d'autres rives plus clémentes.
Alors il ne s'agit pas là d'une fiction « classique », laquelle au milieu de multiples personnages viendrait à dévoiler un secret caché aux confins d'un arbre généalogique. On est plutôt là dans un exil qui interroge et partage ses réflexions. Pas loin de la psychanalyse peut-être et dans ce sens le roman est-il écorné ? Pour ma part, la poésie a fonctionné pour se jumeler à l'intelligence ciselée de ce qu'il est pourtant si difficile à partager. Les sentences formulées, en reflet d'une fatalité à démonter, incarnent ces instants, ces fugacités où la conscience s'éclaire enfin, s'énonce lisible et limpide. Ce n'est plus l'oracle qui déclame, c'est bien le coeur intérieur, le coeur voilé de ne plus être écouté, qui prend enfin la parole et que s'entende une autre voix, et que s'ouvre une autre voie, la libérée.
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