Le prince André accueillait en riant les railleries de son père au sujet des hommes nouveaux et avec une joie visible l’incitait à parler et l’écoutait.
« Tout ce qui est d’autrefois est toujours bon » dit-il
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Bien qu'on le (Pierre) soignât, le saignât, et lui fît prendre des remèdes, il guérit tout de même.
Pierre se rappelait avoir entendu dire que lorsque, à la guerre, les soldats subissent dans leurs retranchements le feu de l'ennemi et sont réduits à l'inaction, ils s'appliquent à quelque occupation pour supporter plus facilement le danger. Et tous les hommes, aux yeux de Pierre, agissaient comme ces soldats ; tous ils essayaient de fuir la vie : qui courrait après les honneurs, qui avait recours au jeu, qui à la rédaction des lois, qui aux femmes, qui aux chevaux, qui à la politique, qui à la chasse, qui au vin, qui aux affaires publiques. "Il n'y a rien d'insignifiant, et il n'y a rien d'important. Tout se vaut pourvu seulement que je puisse échapper à ELLE d'une façon ou d'une autre, pourvu que je ne LA voie pas, cette terrible vie."
Parfois il se consolait en se disant que cette existence n'était que provisoire, qu'il la menait seulement en attendant ; mais ensuite il songeait avec terreur au nombre de gens qui comme lui, en attendant, s'étaient engagés dans cette existence et étaient entrés dans ce Club avec tous leurs cheveux et toutes leur dents pour en sortir sans un cheveu et sans une dent.
Pierre était de ces hommes qui, apparemment faibles de caractère, comme on dit, ne cherchent pas un confident à leur souffrance; seul il la creusait et la surmontait seul.
Et puis, pour raconter tout ce qui s'était passé et uniquement ce qui s'était passé, il fallait faire un effort sur soi-même. Raconter la vérité est très difficile, et les jeunes gens en sont rarement capables.
Au moment d'un départ, d'un changement d'existence, les hommes capables de réfléchir à ce qu'ils font sont généralement hantés par des pensées sérieuses. Dans ces moments on considère son passé, on esquisse des projets d'avenir.
L'un meurt dans son lit, et l'autre, Dieu le protège dans la bataille.
Un peu de flatterie, de louange, est indispensable, même dans les rapports les plus simples, les plus amicaux; comme il est indispensable de graisser les roues pour qu'elles tournent.
L'influence dans le monde est un capital qu'il faut ménager pour qu'il ne s'épuise pas; le prince Basile le savait et ayant compris une fois pour toutes que s'il intervenait en faveur de tous ceux qui l'en priaient, il ne pourrait plus rien demander pour lui-même, il utilisait rarement son crédit.