Faut-il conseiller ce livre à de jeunes yeux encore pleins des illusions de leur âge ? Ne serait-ce pas leur faire voir la fin du film avant le reste que de leur livrer ce tragique
Premier amour, renfermant un douloureux et hypnotique romantisme ?
Je ne sais…
Vladimir Petrovitch écrit donc son
premier amour pour le restituer ensuite à ses amis. Un amour de seize ans, dont l'objet est la princesse Zinaïda, son aînée, et dont la mère sans gêne et peu ragoutante se trouve dans le dénuement.
Subjugué par cette beauté hors norme, mêlée à une grâce et une autorité fortes, le jeune garçon sombre dans le charme impossible de cette jeune femme qui tantôt le malmène tantôt le couvre de tendresse ; mais elle se maintient toujours à une distance qu'un jeune coeur, en proie à ses premiers émois – forcément violents et débordants d'une imagination inquiète – ne saurait admettre. La jeunesse veut le galop en amour, pas le trot !
Tout cela se passe souvent au milieu d'une cour improvisée de prétendants oisifs de la bonne société, tous sous l'emprise de cette jeune femme au visage « comme inondé de lumière ».
Ainsi, il en n'est est pas de l'amour comme de la raison, et cette déraison est précisément la trame de ce récit, où plane par ailleurs – comme dans nombre d'oeuvres russes du XIXe siècle – l'ombre de la France, notamment en clairsemant le récit de phrases de notre langue, tant aimée alors…
Premier amour est une terrible initiation amoureuse, mais une initiation tout de même, un passage à l'âge adulte : « Mon état d'âme était un peu, je m'en souviens, comme celui d'un homme qui vient de prendre un emploi : j'avais cessé d'être un jeune garçon. J'étais amoureux. »
Le texte de
Tourgueniev – à caractère autobiographique – pose aussi la question de l'illusion amoureuse, celle qui prend ses désirs pour des réalités et qui, une fois le voile de ladite illusion tombé, laisse place à la rage, l'abattement quand la vérité est pire que ce qu'un jeune homme peut imaginer, puis la résignation. Mais jamais l'amour ne se perd, particulièrement lorsqu'il n'a pas été consommé : « Croyez, Zinadaïa Alexandrovna, que, quoi que vous ayez fait, quelque tourment que vous ayez pu me faire subir, je vous aimerai et je vous adorerai jusqu'à la fin de mes jours. »
Et bien qu'il s'agisse là d'une traduction, le style déploie une élégance telle qu'on dirait une valse triste…
Enfin, l'amour est-il bon ou mauvais, capable de nous élever ou nous asservir ? s'interroge-t-on après cette lecture. Pour ma part, je me félicite d'avoir eu un
premier amour heureux afin de m'en souvenir plus confortablement que le narrateur…
(PS : l'édition dans laquelle j'ai lu la nouvelle de
Tourgueniev n'est pas celle présentée plus haut. Mais comme je ne l'ai pas trouvée j'ai déposé ma critique ici)