Il manquait sûrement dans les textes de la Bible des petites précisions sur les circonstances qui ont amené
les Rois mages au pied de l'Enfant Jésus à Bethléem.
Michel Tournier vient ici combler cette lacune en laissant libre cours à son imagination pour tracer trois historiettes où les trois Rois mages connus des saintes écritures croisent à leur retour de Bethléem le Prince Taor dont les péripéties passées et à venir occupent la plus grande partie de ce conte aux accents aventureux et philosophiques.
Il était une fois un roi nommé Gaspard et qui ignorait complètement que sa peau était sombre comme la nuit. le royaume sur lequel s'étendait sa souveraineté s'appelait Méroé, un territoire traversé par le Nil au sud de l'Égypte. Gaspard, curieux d'animaux de toutes sortes, avait son propre parc zoologique où, depuis une visite à un marché d'esclaves, il avait demandé d'y rajouter, avec les singes, deux nouveaux spécimens : une jeune femme et un adolescent à « la peau claire comme du lait, les yeux verts comme de l'eau […] un flot de cheveux d'or. »
Après une première impression de laideur, comparé aux beautés noires de son harem, l'attirance de Gaspard envers la femme blanche va le plonger dans les affres d'un amour impossible, provocant une honte de sa propre peau si noire.
Un soir, avec son astrologue, il distingue une comète qui, d'après ce dernier, a la particularité d'avoir des cheveux dorés. La suivre, en direction du Nord, pourrait peut-être le guérir de son chagrin d'amour.
Gaspard m'a tiré un joli sourire lorsqu'il parle de la mer grise et froide du Nord vu que pour lui c'est la Méditerranée ! Sa poursuite de la comète se doublera d'une quête d'acceptation de soi. Pourquoi avoir honte de sa couleur de peau ?
Ensuite, le lecteur retourne dans « il était une fois » mais avec Balthazar, ce roi grand amateur d'art en proie au fanatisme religieux d'un vicaire qui détruira ses biens les plus précieux. Vieillissant, découragé par la vie, il décide aussi de suivre la comète, voyant en elle un heureux présage. En chemin, son cortège se mêlera à celui de Gaspard en prenant au passage Melchior, un prince déchu de son trône usurpé par son oncle. La plus grande richesse réside-t-elle dans les biens matériels ?
Pour le Prince Taor, pure invention de notre auteur, la recherche initiale sera celle de renouveler, pour son palais sucré, les plaisirs d'une gourmandise ramenée d'Occident, le rahat-loukoum à la pistache. La confiserie étant son unique passion terrestre, son périple le mènera en plein paroxysme en le confrontant aux douleurs salées des abords de la mer Morte et fera résonner les paroles de Jésus trouvées dans la Bible. Son sacrifice répondra à celui du crucifié et clôturera la moralité de ces différentes quêtes humaines. Parti de façon plutôt humoristique du péché de gourmandise, ce conte sombrera dans de tragiques épreuves pour notre pauvre Taor.
D'une écriture classique, ravissante et intemporelle surgissent des traversées d'anciens pays aux frontières modifiées depuis ce temps fort lointain. Elles se feront à dos de chameaux et, pour remonter la mer Rouge, sur des barcasses ou des navires chargés de confiseries et d'éléphants.
Bien sûr, rois et princes s'arrêtèrent à Jérusalem, fief du terrible roi Hérode, tyran sanguinaire refusant d'être détrôné par Jésus. Hérode est l'image même de la cupidité et du pouvoir absolu.
Cette interprétation de la légende des Rois mages peut sembler scintiller comme un conte des Mille et Une Nuits mais les richesses se perdent au fil du voyage et c'est l'éveil à de nouvelles considérations, bien loin des frivolités caractérisant au départ nos personnages, qui triomphe ici.