Citations sur La femme dans le miroir (44)
Sans doute les éclats de soleil sur les dômes sertis de lapis-lazuli et le glouglou apaisant des fontaines m'avaient-ils pacifié, toujours est-il que je me sentais comme un bienheureux dans la petite brise qui faisait frémir les voilages.
Ce fut seulement au moment où la lumière se fit rare que je partis de ce lieu enchanteur, à regret, humant, pour la route, une dernière bouffée de jasmin.
C'est ainsi que je retournai à Shiraz, à la recherche de la présence rassurante de Hâfez, qui me parla comme toujours d'amour et de beauté, avec des mots désuets qui résonnaient comme des cailloux Jetés dans un cours d'eau. Assis à l'ombre de la tonnelle où pendaient des festons de vigne, je l'écoutai deviser sur sa vision du monde, lui, le mystique que le charme ondoyant d'une femme ne laissait jamais indifférent.
Ces rouleaux, placés auprès de la momie dans son cercueil, étaient destinés à l'aider à ressusciter dans l'ai-delà. Pour mériter de fouler les champs d'Ialou - l'origine égyptienne des Champs-Elysées -, le défunt devait surmonter plusieurs épreuves, et les rouleaux étaient là pour l'y assister. Ainsi y figuraient des formules magiques permettant au mort de se transformer, une liste des lieux importants dans l'au-delà, de même que les noms des gardiens.
Ce livre s'avérait captivant car il abordait le sujet d'une résurrection dans un autre monde.
Les heures passèrent comme par enchantement, mes oreilles emplies des paroles de Hâfez, tandis que ma bouche se délectait de la saveur d'amandes et d'oranges saupoudrées d'une pointe de cannelle...Les silhouettes aux joues pâles nous frôlaient, ceintes d'or et couvertes de perles. Dans les coupes, le vin renvoyait des lueurs de rubis. Parfois, des noms de villes lointaines glissaient sur la brise : Boukhara et Samarkand, Byzance et Ruknabad...
- Tu te souviens de ce que je t'ai raconté sur les pigments blancs qui permettent de situer un tableau dans le temps ?
- Oui, maîtresse. Il y avait le blanc de plomb, remplacé par le blanc de zinc, lequel fut supplanté par le blanc de titane.
Après tout, nous étions unis dans la même recherche : celle de trouver le mot exact et le ton juste pour faire honneur au travail d'un écrivain, poète ou philosophe, connu ou oublié, quelquefois vivant mais le plus souvent mort. Tout cela en nous effaçant derrière leurs paroles, pour que seul leur esprit à eux parvienne à toucher le lecteur.
Alors, pour anesthésier la douleur sourde de mes espoirs, je me replongeai dans les vers antiques de Hâfez, qui parlaient d'amours d'un autre âge, scellées sous d'autres cieux. Fuyant Paris sous la neige, je m'enfonçai dans les rues d'Ispahan, en quête de beautés orientales, enivré par le parfum de rose et de jasmin, oublieux - le temps d'un après-midi - de la blessure béante que je portais à la place de mon cœur.
Le but était d'identifier le pigment blanc utilisé, car il se trouve que sa nature permet de préciser la date de l'œuvre.
Malheureusement, ce n'était pas Lena, mais un collègue qui souhaitait discuter d'un conte du Jardin de roses, écrit par le poète Saadi. Ce mystique, mort à Shiraz environ un siècle avant Hâfez, avait laissé, lui aussi, des vers superbes, et nous avions l'habitude d'échanger nos impressions de traducteurs sur la pensée soufie de l'époque.
Désappointé, je m'attelai donc à la traduction d'un poème du persan Hâfez, un travail particulièrement épineux, compte-tenu des allégories et des allusions dont était friand ce lettré du XIV° siècle. Ses œuvres lyriques, connues sous le nom de ghazal, louaient les plaisirs de la vie, tout en les nimbant d'une atmosphère mystique. Arpentant mentalement les jardins fleuris de Shiraz, à la recherche du mot approprié pour rendre justice à ses vers gracieux, je n'émergeai que vers midi, le regard un peu perdu.