Citations sur Le petit frère (27)
J'ai le sentiment que le deuil d'un enfant ne peut se partager qu'avec quelqu'un ayant vécu le même drame. On peut se projeter, imaginer et faire preuve de toute l'empathie de la terre, mais l'expérience de cette épouvantable douleur, la douleur de la perte contre-nature, l'amputation violente de la chair de sa chair... non, on ne peut pas savoir.
« J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends »
Guillaume Apollinaire
Moi qui pensais la plaie refermée depuis longtemps et même la cicatrice presque effacée… Pendant toutes ces années, j’avais bien vécu. J’avais beaucoup aimé, beaucoup baisé, beaucoup ri, et beaucoup dessiné. J’avais peint et sculpté aussi, et fait de beaux voyages. Je ne m’étais économisé et j’étais heureux comme ça. Mais ce jour-là, j’ai compris que tout ça, je l’avais fait avec sur le cœur, le tatouage invisible de mon frère perdu.
Décédé... Mort... Qu'est-ce qu'elle raconte ? On ne meurt pas à 11 ans.
À ce stade, je ne pensais pas que mon frère allait mourir. Je pensais – on pensait tous – qu'il n'était « que » gravement blessé... le terme consacré, c'est « grièvement blessé », mais quand on dit « grièvement », on sait que la mort n'est pas loin, qu'elle est possible et même probable, et cette idée ne m'avait pas effleuré. Non. On allait l'opérer, le soigner. On ne meurt pas en pleines vacances d'été quand on a 11 ans et demi.
Pour des douleurs pareilles, les mots se dérobent, ils ne veulent pas, ils ne peuvent pas...
On se tait, on se regarde dans la vérité des yeux et on pleure.
Parfois, on est sidéré de constater que la vie – on ne sait comment – a continué. On croyait ne jamais sortir de l'abîme, mais doucement, sans qu'on s'en rende compte, ça change. Puis un jour, on réalise avec surprise qu'il y a longtemps qu'on n'y a pas pensé.
Mort…
On connaît le mot, on sait ce qu’il veut dire.
Mais on ne le comprend pas.
On ne peut pas le comprendre.
Quelque chose en nous s’y refuse.
Puis ce furent les condoléances... les condoléances, c'est le rituel du réconfort qui ne réconforte pas, mais si, quand même un peu.
C'est le moment de ceux qui ne sont pas assez proches pour être venus à domicile et de ceux qui ne se lassent pas de les présenter.
À nos parents, à notre grand-mère ; ils disent ces mots convenus que tout le monde semble trouver justes. Les mots justes sont difficiles à trouver, ils se dérobent. Dans le fond, c'est à ça que sert ce rituel. À remplacer les mots justes.
Je suis parti pour l'autre monde, par le chemin des écoliers. Et quand tu seras consolé, on se console toujours, tu seras content de m'avoir connu.