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Le vocable « Kannjawou » signifie, dans la culture populaire d'Haïti , le partage, la fête, à l'occasion de réjouissances .
Dans le roman de Lyonel Trouillot intitulé ainsi, ce dernier met en scène cinq jeunes gens, qui à la veille de leur entrée dans l'âge adulte, osent encore rêver de leurs avenirs :ils se nomment Sophonie, jeune serveuse au Kannjawou, non d'un bar du quartier de l'Enterrement à Port-au-Prince ,Wodné, Joëlle, Popol .Leur soutien quotidien, c'est man Jeanne, mère de substitution un brin protectrice, qui tente de sauvegarder des règles d'humanité et prodigue des conseils à ces cinq adolescents, peut-être déjà en danger de perdition .Un autre personnage, le « petit professeur », tente grâce a sa vaste bibliothèque de leur inculquer des bribes de connaissances, de l'éducation .

Mais comment cela est-il réalisable dans ce pays, Haïti, dont l'auteur nous rappelle, très opportunément, qu'il a été occupé une première fois par les Américains, de 1915 à 1934, et qu'il est occupé une seconde fois par les ONG, les organisations non gouvernementales, depuis le récent tremblement de terre de 2010 .Ce que met en relief Lyonel Trouillot, c'est le décalage entre les bonne intentions de ces occupants, et la réalité haïtienne : « On entend même dix ans trop tard des voix qui dénoncent l'occupant .Tout le monde parle.(…) ça s'appelle la démocratie. Tu mens et tout le monde t'écoute. Tu dis la vérité et plus personne n'écoute. Et on te répond par la voix très douce d'une jolie porte-parole au teint hâlé que c'est bien que tu t'exprimes. Mais les fusils restent. Et les chars Et le malheur. » Pourtant, ces adolescents tentent à maintes occasions, de barrer la route au malheur et à la fatalité :ils s'entraident, tentent de créer un centre pour gamins, une source éducative pour enfants en mal de repères , souvent dénués de parents ou d'attaches affective solides .Le constat est terrible :l'un des membres de la bande des cinq se résigne à l'échec, à l'impossibilité de s'en sortir vraiment : « Les quatre autres, nous devenons au fil des jours, sans trop vouloir le reconnaître, les plus riches parmi les pauvres, ou les pauvres les mieux lotis .Il leur manque les mots, les connexions. Ou, s'ils bougent, c'est sur un bateau dont ils ignorent la vraie destination. »
Prégnance du malheur, victoire de ce dernier ? En tout état de cause, Lyonel Trouillot pour sa part donne une réponse par la bouche de l'un des ses personnages : « Et notre absence ne changera rien au vaste cours des choses. le tout est de meubler ce presque cherchant la juste mesure .Aujourd'hui, pour meubler ce rien je ne pardonne pas au malheur. »
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Rue de l' Enterrement, il y a la maison de Man Jeanne, qui, comme celle de Brassens, accueille tous les chats perdus, et sait utiliser leur pisse pour chasser le mal et les méchants. Il y a aussi le cordonnier, le vieux relieur, Anselme et ses deux filles , Wodné , Popol et le narrateur. Au bout, on trouve le vieux cimetière où la bande à Halefort détrousse les morts. Il faut bien survivre quand on fait partie de « ceux d'en-bas ». Et on y voit souvent aussi le « petit professeur », un presque riche, blanc, qui vient faire la lecture aux enfants du Centre, débattre à l'infini avec le narrateur de roman et de la vie, et qui se meurt d'amour (au sens propre) pour Joëlle, la plus jeune fille d' Anselme. La bande des 5, ce sont les deux filles, Sophonie et Joëlle, Popol , frère ainé du narrateur qui vit avec Sophonie, Wodné qui a conquis Joëlle ; elle aimerait bien s'en détacher mais n'y parvient pas. le narrateur, lui, a 24 ans, étudie la littérature, voudrait bien écrire un roman sur le vieux cimetière, la rue, la ville, les gens.
Mais c'est la deuxième Occupation ; celle d'après le tremblement de terre en Haïti probablement. Car parmi ceux d'en haut, on trouve des soldats, des membres d'ONG, des hauts fonctionnaires de l'Occupation. Ce sont eux qui vont au Kannjawou, ce bar où ne vont pas ceux d'en bas, sauf Sophonie qui y travaille le mercredi pour nourrir sa famille. Mais la bande des cinq est en train de se désagréger : Wodné veut rester pur et dur, sans compromis avec quiconque n'est pas d'en bas, même le petit professeur qui vient aider ; sans doute a t-il compris qu'il pourrait lui enlever Joëlle….

L'écriture est poétique mais facile , l'auteur donne une leçon de gentillesse sans que ce soit une leçon de morale. Pas de misérabilisme, mais affleure partout la situation d'extrême pauvreté de Haïti. C'est aussi un livre sur l' amour de la littérature et le pouvoir des mots.
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Entre le reste du monde et le cimetière de Port-au-Prince, il y a le trottoir de 'man Jeanne' où se rencontrent les écorchés de pays, les laissés-pour-compte, ceux dont les rêves ne risquent pas de se réaliser. Les "presque" révolutionnaires, les étudiants à perpétuité, les pilleurs de tombe (parlez-leur de zombies pour voir !), les gamins affamés et quelques vieux désenchantés échangent idées et désillusions, parlent amour et littérature dans un monde qu'ils ne comprennent plus.
J'ai aimé la prose de Lyonel Trouillot, j'ai aimé cette drôle d'histoire de fête qui n'existera jamais autour d'un bar fréquenté surtout par les bénévoles des ONG mais je n'y ai pas trouvé de grand souffle romanesque et je me suis presque ennuyée par moments tant il m'a semblé que manquait toute la violence d'Haïti, sa folie caribéenne.
Man (maman) Jeanne aurait mérité un roman pour elle toute seule, avec son pissat de chat et ses proverbes, avec sans doute une sorte de folklore attendu (pas de vaudou à l'horizon ?). le narrateur a éveillé ma curiosité avec ses carnets intimes mais il m'a semblé qu'il restait trop détaché de l'histoire, simple spectateur...
C'est toutefois un roman agréable à lire et qui m'a donné envie de découvrir d'autres romans de Lyonel Trouillot.
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Un magnifique roman qui nous entraîne dans la rue de l'Enterrement et dans Port-au-Prince.
le narrateur fait partie d'un groupe de 5 amis chacun suivant une voie différente dans Haïti. Le narrateur nous fait le portrait d'une rue, de ses habitants et de leurs difficultés quotidiennes ; entre ONG et politiciens véreux. Une ode à la liberté et à l'amour, écrite dans un style à la fois poétique et empathique.
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Roman d'initiation narrant les heurs et malheurs d'un jeune haïtien d'un quartier pauvre de Port-au-Prince, et de son "club des cinq".
Très beau portrait d'une île où se croisent sans se reconnaître pauvres des quartiers mal famés, richissimes familles et expatriés des organisations non gouvernementales, Kannjawou nous emporte, tant par les aventures de ces jeunes adolescents que par leurs rêves, leurs espoirs et les illusions auxquels ils s'accrochent, quitte à se blesser les uns les autres. On s'immerge dans la rue de l'enterrement et l'on se surprend à prendre parti pour l'un ou l'autre des protagonistes, sur fond historique de mainmise de pays plus puissants sur l'exsangue Haïti, pourtant toujours dramatiquement humaine, et vivante.
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Trouillot excelle à rendre compte de la vie misérable des Haïtiens et de leur impuissance face aux puissances d'occupation malgré leurs désirs de réussite.
5 jeunes gens encore pleins d'espoir observent les envoyés des ONG, riches et arrogants, qui fréquentent le café le Kannjawou auquel ils n'ont pas accès. 2 mondes : celui du haut, celui du bas.
L'écriture de Trouillot est toujours aussi efficace et ses personnages sont très attachants.
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Après avoir lu Danse les ombres de Laurent Gaudé voici de nouveau Haiti
dans son identité
d'un coté le pouvoir -la communauté internationale et de l'autre le peuple d'Haiti
qui veut trouver sa place ,qui veut s'éduquer tout en restant fidèle au vaudou.
c'est un livre bruyant et bouillant comme l'âme d'Haiti
On n'entre pas facilement dans ce livre mais une fois que le bar Kannjawou est ouvert l'écriture de Lyonel Trouillot emporte tout
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Et il rêvait, Anselme, d'une grande fête sur ses terres natales, un kannjawou digne de ce nom, comme au bon vieux temps, pour montrer cela à ses filles, elles qui n'avaient connu que l'Occupant. Sophonie et Jöelle, les plus belles de Port au Prince, l'une travaillant dans le bar fréquenté des européens venus jouer les Superman pour mieux se sentir dans leurs vies, l'autre oeuvrant sans désillusion à une révolution auquelle elle-même ne croit pas.

Elles sont les amies de Popol, Wodné et notre héros, amateur de littérature, dont on ne saura jamais le nom, comme si à force de traîner rue de l'Enterrement, devant le cimetière et les pilleurs de tombe, il avait déjà scellé son sort d'anonyme.

A eux cinq, ils forment une bande, bancale mais unie.

Autour d'eux, gravitent des personnages : Man Jeanne, la vieille femme qui verse la pisse de son chat sur les malotrus, le petit professeur qui descend de sa sphère bourgeoise pour faire la lecture aux enfants, encourager la révolution et se régaler des yeux de la beauté de Joëlle, et Régis, le patron du Kannjawou, cette fête haïtienne traditionnelle travestie en cliché exotique pour l'occupant et le personnel civil : « Après avoir garé leur 4x4, les clients se bousculent déjà à l'entrée. Marchent vite. Avides, têtes chercheuses, fauves lâchés. Commencent à danser dehors sur des airs qu'ils n'entendent pas encore. N'arrêtent pas de danser en avançant vers la piste. S'embrassent. S'admirent dans une sorte d'entre-soi. Constituant un monstre compact et cependant à plusieurs têtes, plusieurs jambes, plusieurs bouches, tournant sur lui-même, rapaces contre rapaces, frénésie contre frénésie. Je te mange, tu me manges.. corps pressés de consommer, les corps, l'alcool, quelque chose qu'ils peuvent palper, ingurgiter, malaxer, mâchonner jusqu'à l'overdose dont, après la fermeture les rebuts, vomi, préservatifs s'étaleront dans les toilettes comme la preuve que chacun en avait peu pour son compte. Puis ils partent. »

Lyonel Trouillot n'épargne ni les riches Européens venus goûter à l'exotisme humanitaire, ni les Américains et leur occupation. Il n'épargne pas la jeunesse haïtienne et la vie misérable d'un pays qui n'a plus la maîtrise de rien.

« Les mois ont passé. Les choses et les personnes ont continué à glisser, qui dans le vrai, qui dans le faux. Je reprends ce journal qui ne mène nulle part. Parfois, la vie ne bouge qu'à l'intérieur des mots. Et lorsque tout va mal, il convient de tout consigner. Ecrire est ma manière de me magner le cul ».

Qui du narrateur ou de l'auteur écrit ces mots, je ne sais pas, mais ils résonnent de la rue de l'Enterrement à mon salon bien chauffé, duquel, grâce à Lyonel Trouillot, j'en sais un peu plus sur Haïti et son histoire.

Un dernier roman aussi bon que les précédents, entre colère, amertume, ironie.
Une réalité violente et crue.
Une écriture sincère.
Un écrivain engagé qui écrit avec sa chair.

Voilà ce qu'est Kannjawou. On peut ne pas aimer le style, le monologue, l'histoire, mais on ne peut pas nier le talent de cette chronique noire sur un pays en décomposition.

Lien : https://desruesetdeslivres.w..
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Dans cette chronique à la fois cocasse et dramatique, le narrateur nous parle de la jeunesse d'Haïti; jeunesse très pauvre, sans illusion, en colère contre ceux qu'ils appellent " les occupants ", c'est à dire ceux qui sont là pour reconstruire le pays. Lionel Trouillot dresse un tableau amer des conséquences de cette occupation. Pourtant malgré ce constat d'échec, il laisse entrevoir un certain espoir: ces jeunes si démunis ont pour eux leur culture et le pouvoir des mots.
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