Récit d'un dépaysement d'une force incroyable : le retour dans l'Altaï d'un
chaman touva parti visiter le monde...
Ce récit très étonnant, paru en français début 2012, est l'une des dernières contributions autobiographiques en date de la part du phénomène
Galsan Tschinag.
Ce descendant d'une famille de
chamans touva, peuple mongol vivant dans l'Altaï, aux confins de la Russie, du Kazakhstan, de la Mongolie et de la Chine, devenu un germanophone réputé par l'accident des échanges linguistiques scolaires au sein des anciens pays communistes, fait figure aujourd'hui, en tant que romancier voyageur d'envergure internationale (même s'il reste relativement peu connu en France malgré les efforts des éditions Métailié et L'Esprit des Péninsules), d'emblème vivant de son peuple, minorité nomade plutôt mal traitée dans ses différents pays d'accueil, le principal en restant la Mongolie.
"
Chaman", paru en 2008 en Allemagne, narre le retour dans l'Altaï de l'auteur, au soir de sa vie, revenu pour guider et faire bénéficier de son aura son peuple relativement mal en point sous les diverses vexations des pouvoirs nationaux... Deux cent cinquante pages de micro-chocs culturels, entre les traditions du peuple touva, les rituels
chamaniques, les règles tutélaires, les irruptions de modernité bien ou mal venues, l'extraordinaire confiance en soi, quasi-mystique, de l'auteur, et sa faconde teintée de malice et de fausse humilité, face aux subtilités de la navigation entre hier, aujourd'hui, et demain, au milieu des emprises bureaucratiques et corrompues des administrations et des mafias diverses...
Un grand bain, assez détonnant, de spiritualité matoise, qui dépayse totalement. Mais aussi un précieux référentiel, bien au-delà des écrits théoriques de
Mircea Eliade, sur une tradition mystique qui irrigue les écrits les plus réussis du grand
Scott Baker ("
Kyborash" et "
La danse du feu"), et surtout d'
Antoine Volodine lui-même, dont les rituels post-exotiques résonnent souvent de manière fort directe des échos des tambours dans la steppe et la montagne touva...
"Üsej intervient à nouveau :
- Pourrait-on modifier une coutume ?
- C'est difficile, mais parfois nécessaire. Prenons par exemple cette coutume qui consiste à répandre partout quelques gouttes d'eau-de-vie ou de lait, souvent les deux. le lait tache et l'alcool rend dépendant. Tous nos
chamans finissent ivrognes. Pourquoi ? À cause de cette coutume. Celui qui vient demander de l'aide apporte toujours de l'alcool au
chaman. Et le
chaman, après avoir répandu quelques gouttes d'alcool, en boit toujours au moins deux coupes à cause des deux pieds qui le soutiennent. Les jours où ne vient qu'une seule personne sont rares, mais ceux où les visites affluent sont nombreux. Au début, on est contraint de boire. Ensuite, on est capable de boire. Et pour finir, on ne peut plus se passer de boire. Il est de notre devoir de faire changer cette coutume - seul, aucun de nous ne peut y parvenir, mais si nous unissons nos efforts, nous pouvons peut-être y arriver."