Nous étions ce petit personnel condamné à rester devant la porte de la chambre, attendant d’être autorisé à entrer. Ne pas déranger, ne pas faire de bruit, ne pas répondre à l’invective, ne pas susciter de conflits, ne pas se faire remarquer, ne pas se donner en spectacle, ne pas hausser le ton, un devoir de réserve et de discrétion qu’ils s’imposaient ...
On enfermait des hommes, des femmes, on les retenait "physiquement" au seul motif qu'ils ne justifiaient pas de leur identité. (p.19)
Et l'histoire de ces hommes, le récit de Yuri m'avaient touchée parce qu'ils évoquaient ces mondes perdus que je cherchais en vain dans les livres et les yeux enténébrés des miens.
Pourtant, rien ne me terrifiait plus que la vision de policiers en uniforme. On eût dit que je cachais un cadavre dans mon sac à dos alors que tout ce que je dissimulais sous le masque de la citoyenne tranquille, c’était ma peur.
Ah, les devoirs qui pesaient sur nous ! Les fils et filles d’immigrés ont une obligation de réussite. Premiers ou rien. Et nous y arrivions, marche ou crève, il fallait apprendre, travailler et au bout la menace : la révélation de l’imposture.
La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
C’est un dur métier que l’exil.
Il y a un moment, dans toute histoire d’amour, où l’on sent confusément que nos résistances tombent. J’avais lutté, refréné mes pulsions et je lâchais prise.
Les codes tombaient. Le manque d’argent, la peur de manquer, les privations, les comptes séparés – je découvrais. La difficulté d’être un étranger, de ne pas parler la langue, de ne pas contrôler son accent, d’être d’ici et de là-bas, l’isolement, l’éloignement des siens, je découvrais, les filles sans père, les hommes sans femme, ce qui peut être dit et ce qui ne le peut pas.
Il y en a trop, ils viennent de partout, ils abhorrent la démocratie, ils sont dangereux, fous, obscurantistes, nos frontières sont des passoires.