Teresa
Battaglia et son équipe reviennent pour une seconde enquête, et le moins que l'on puisse dire est que ça envoie du lourd. Bon, en gros, on découvre qu'un tableau a été peint à partir de sang humain et l'enquête va mener l'équipe jusqu'en 1945, dans le Val Resia et ses montagnes, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Objectifs ; découvrir à qui appartient le sang, qui a peint le tableau et qui est la jeune fille sur la peinture. Tout un programme.
Première constatation, le changement de décor et d'ambiance, toujours aussi présents et palpables, mais qui ne se contentent pas d'être empruntés au précédent bouquin (
Sur le toit de l'enfer). C'est un nouvel univers que l'autrice nous propose, avec des personnages aux comportements, valeurs et croyances bien différents, et à l'histoire aussi passionnante que celle des personnages. Car la réalisation du tableau de
la nymphe endormie va embarquer Teresa, Massimo et les nouvelles et anciennes têtes, dans le sombre passé de la Seconde Guerre mondiale et des gens qui l'ont peuplé. du déjà vu pourrait-on penser, et un sens, oui d'accord, c'est facile. La Seconde Guerre mondiale, et très souvent le nazisme, est l'explication à de nombreux maux en littérature et c'est chez elle que bien souvent, on trouve la source d'un mal présent. du roman policier au fantastique en passant par la romance, l'époque est traitée dans tous les sens et souvent, elle retire une belle épine du pieds des auteurs qui trouvent en elle une explication toute faite, mais utilisée n'importe comment.
Oui, mais pas ici. Peut-être la période sert-elle, mais en tout cas elle ne dessert pas. Elle n'a rien de facile, elle n'est pas choisi par dépit. L'Histoire qui entoure le tableau fait partie intégrante de l'intrigue et c'est franchement passionnant. Et puis surtout on ne parle pas de nazisme et très peu de guerre, c'est la période qui est utilisée, la situation, les circonstances. Les explications trouvent leurs sources ailleurs : chez les personnages, leur histoire et les secrets gardés durant des décennies. Alors, que dire de cette enquête ? Qu'elle est magnifiquement orchestrée ? Que je me suis complètement intégrée à l'équipe et qu'avec mes yeux de lectrice, j'ai participé aux investigations ? Il y a beaucoup de ça effectivement. Une enquête parfaitement menée autant dans le présent que dans le passé, doux mélange de suspense et de cadenas débloqués aux bons moments, mais surtout une enquête qui permet, encore une fois, de déborder bien comme il faut.
Sans que cela soit négatif ou dérangeant, la profondeur des personnages écrase parfois l'enquête. En réalité, il y a un admirable travail de jonglage entre l'intrigue déjà emplie de noirceur, et le développement des personnages creusés jusqu'au fin fond de leur âme. Et en première ligne : Teresa
Battaglia.
Dans
Sur le toit de l'enfer, j'avais déjà bien compris que ce personnage fêlé avait des choses à me dire et me raconter. J'avais entrevu ses blessures grâce à la porte laissée entrebâillée par l'autrice qui a su méthodiquement titiller l'intérêt du lecteur vis-à-vis de ses personnages, en leur laissant entendre que, mais en ne balançant que des miettes. Une astuce qui m'a poussée à me procurer la suite, pour savoir, connaître, découvrir. Les révélations au sujet de ce personnage sont à la hauteur du suspense entretenu jusqu'alors, et si certains détails ont été amorcés dans le premier roman, tout n'avait pas encore été dit. Là est tout l'intérêt de cette suite.
Car les séries, disons-le, je n'en suis pas friande. Je trouve facile, surtout dans le policier, de reprendre les mêmes personnages déjà travaillés dans un premier tome (et parfois même, juste effleurés) et de ne les reprendre que parce que ça permet d'éviter de les présenter et de les gratter (ou parce que les lecteurs les aiment bien : promesse de vendre en les réutilisant) ; tout a été fait en amont, il ne reste plus qu'à trouver une nouvelle enquête un tant soit peu originale, et parfois même pas. Quand une suite n'apporte rien aux personnages déjà existants et ne se contente que de recycler, j'ai tendance à laisser tomber rapidement car il ne m'apporte rien à moi non plus. J'ai adoré la trilogie Sandra et Marcus de
Donato Carrisi pour le travail fait sur les personnages, leur utilisation et l'exploitation de leur potentiel dans les trois tomes et pas seulement dans le premier : a contrario, j'ai détesté beaucoup d'autres « séries » pour l'inverse.
Ilaria Tuti, elle, nous fait redécouvrir ses personnages ambivalents en les décortiquant un petit peu plus. Car trop décortiquer les personnalités dans le premier livre aurait été gâché l'enquête, le choix de distiller les informations sur deux livres (et peut-être plus ?) au sujet des personnages est à mon sens le choix le plus judicieux que l'autrice pouvait faire. Car des choses, il y en a à dire, que cela soit sur l'incroyable Teresa
Battaglia, son passé, ses faiblesses, le mal qui la ronge, que sur les autres personnages et notamment Massimo, le collègue de Teresa. C'est la grande surprise de voir ce personnage obtenir un rôle (et quel rôle !) un peu plus important du point de vue personnel que dans le premier roman, un rôle qui permet à l'autrice de révéler et à moi d'en apprendre davantage sur ce personnage lui aussi tiraillé. Et là encore, la tension est maintenue et les informations sont données au compte-gouttes. Chez
Ilaria Tuti, il y a un réel talent pour la construction des personnages et un immense plaisir pour le lecteur de faire la connaissance de chacun, comme on apprendrait à connaître de vraies personnes sur le long terme. Parce qu'il faut du temps avant qu'une personne s'ouvre à une autre, les personnages, eux, prennent le temps pour dévoiler ce qu'ils sont.
Ilaria Tuti est une autrice qui risque de devenir incontournable tant elle manie le policier et la noirceur qui se lit facilement avec brio. Loin des facilités scénaristiques que l'on trouve dans beaucoup trop de romans policiers et les suites notamment,
La nymphe endormie est un condensé d'originalité et de travail minutieux, tant sur le fond que sur la forme. Les mots sont choisis, pesés ; les personnages et l'intrigue sont décortiqués et construits de sorte que le lecteur est toujours sur le qui-vive, et la résolution de l'enquête est passionnante. Non, vraiment, il était très difficile de faire mieux.
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