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Le roman de Maryna Uzun m'a fait repenser aux « Silences d'Isis » du même auteur. Isis était une jeune peintre, femme fragile, vivant une longue pérégrination amoureuse à Paris.
Pauline est devenue une danseuse arrivant d'Ukraine pour suivre des cours de danse et conquérir Paris. Se marier avec un Français va lui permettre de pouvoir rester dans notre pays. Cela ne tarde pas, car elle apprécie les beaux garçons et ne compte pas suivre les avertissements de son père avant son départ : « Les garçons, c'est toujours pareil : ils t'embrassent d'abord la main et si tu laisses faire, ils montent de plus en plus haut chaque nouvelle fois. ».
Dès la première rencontre, le beau Tom lui tombe dans les bras et dans son lit. Et c'est le grand amour dans la petite mansarde sous les toits. Tom l'appelle « ma cerise », plutôt que « ma chérie ». Est-ce pour mieux la croquer ? Mariée rapidement, Pauline reste en France avec son nouveau mari, artiste de talent, passionné de théâtre. Ils ont des projets de spectacles ensemble.
De nombreux lecteurs de cet excellent roman l'ayant très bien fait, je ne vais pas conter la suite de ce voyage impaisible de Pauline, ponctuée d'incidents malheureux et heureux qui vont bouleverser son existence, sa quiétude de jeune couple et l'entraineront dans des voyages en France, en Autriche et chez ses parents en Ukraine.
J'ai noté dans le livre, une phrase de Pauline : elle avait appris la langue dans une anthologie de la poésie et mémorisait les jolis mots pour le plaisir, ou, parfois, les mots rares comme « gargouille ». Elle en inventait aussi et « distribuait trop facilement des « je t'aime », jusqu'à le dire à quelqu'un qui lui offrait un napolitain ».
J'ai le sentiment que cette phrase doit correspondre à une réalité. Ce qui m'intéresse lorsque je lis un roman ou un recueil de poèmes de Maryna Uzun, c'est moins l'intrigue que la tournure originale du langage qu'elle utilise. le moins que l'on puisse dire est que notre langue française est sérieusement bousculée avec cette petite Ukrainienne qui débarqua à Paris dans les années 90. Les mots sont maniés sans ménagement, disloqués pour devenir des phrases qui ne ressemblent à aucunes autres. Certaines expressions fleuries composées d'aphorismes, mots primesautiers, fantasques et souvent drôles, pourraient parfois, à la façon de notre populaire argot, entrer dans le langage courant.
Je vais donc m'attarder sur ce style si réjouissant qui mérite d'être mis en exergue.
L'humour et constamment présent chez l'auteure et amène le sourire, voir le rire.
Elle se promène dans Paris : « La vue de Pauline s'arrêta sur deux bouteilles nageant dans la seine, la gorge vers le haut, comme deux témoins. ». À la campagne : « C'est surtout l'odeur qui m'arrête ! On dirait de la bouse de vache sur du pain de seigle ! ». Un maire l'accueille : « lorsque monsieur le maire serrait la main de quelqu'un, quelque chose dans ses articulations semblait se déboîter et se remettre aussitôt, en faisant gling-glong. On avait l'impression de repartir avec son poignet. ». Un diplomate avoue lui avoir apporté de l'aide par pur hasard : « il était sorti du bureau juste pour aller aux toilettes ! Aux yeux de Pauline, ce détail « scatologique » marqua un rapprochement complet entre eux. ». Elle décrit sa mère : « Anna avait une coiffure du XIXe siècle. Ses cheveux étaient rangés comme un gigantesque béret, avec un chignon en guise de pompon. » Pour Pauline une monture de lunettes non entourée : « C'étaient les verres en liberté ! ». Elle a une vraiment curieuse conception de la musique : « Pour moi, ce prélude de Bach est futuriste… parce que ça avance comme un TGV que les vaches et les coquelicots regardent, ahuris ! »
L'auteure décrit l'amour, le sexe, avec une sorte de naïveté enfantine naturelle, crue parfois, sans une once de vulgarité. C'est plaisant et drôle.
« En embrassant Tom, sur la pointe des pieds, Pauline entendait juste mille moineaux pépier en même temps. ». « Leur plaisir ondulait dans un champ où ils étaient cachés, dans de hauts épis. ». J'ai ri bruyamment : Pauline s'interroge sur une prostituée écolo, peut-être bio, en évoquant un « préservatif en fécule de pomme de terre ». le dernier amour de Pauline à la fin du livre se souvenait de ses yeux : « Aucune autre femme ne le dévisageait de cette façon… à la fois divinisant et déshabillant. » ; « Cet « au revoir » à la nuque, c'est ce qu'il y avait de plus érotique entre eux. » ; « Avec elle, Augustin redevenait puceau ! » ; « Quand il clignait des yeux, ses longs cils la caressaient doucement. Elle trouvait cela très excitant. »
L'amour de Pauline pour sa fille Léna est touchant : « Elle cherchait un moyen de se faire aimer. le toucher lui paraissait le moyen le plus authentique et gratifiant de ressentir et faire ressentir l'amour. Elle asseyait Léna sur ses genoux et laissait agir le langage des câlins. » ; « Léna avait, comme Tom, une petite veine sur le front qui, parfois, gonflait un peu. » ; « Pauline revit enfin sa fille. Les pointes de ses épingles à cheveux, dépassant légèrement de son chignon, avaient l'air de deux antennes d'escargot. Elle eut envie de serrer Léna contre sa poitrine. »
Je termine par cette belle phrase sur la création. À conseiller : « Pour moi, la création, c'est jeter tout dans l'eau, dans le désordre, puis observer comment les courants internes tirent les pensées, les déplacent et les regroupent naturellement ; je ne connais que ce processus-là. À l'intérieur, il y a quelques idées qui ont la force attractive des aimants. C'est tout. »
Je repense à un des livres de Maryna Uzun que j'ai eu le plaisir de critiquer : « Souviens-toi de ton Odessa suivi d'autres poèmes ». J'avais remarqué la qualité littéraire de cette Ukrainienne, née à Odessa, arrivée en France en 1997. Elle avait appris le français en autodidacte et par amour. Je reste admiratif, car peu de Français sont capables de parler notre langue avec ce talent : « Comment changer de ton sans même faire un bond ? Je change de démon : je pense à Odessa ! Et j'entends des accords : l'alpha et l'oméga. Parce qu'avec ma terre, avec mon Odessa, j'ai coupé le contact sans couper le cordon. Je change de cantor, je change de temps fort, je comble des temps morts, je vais jusqu'aux transports. Je pense à mes mentors, les mouettes du vieux port, même au conservatoire, oui, qui m'a fait tant croire. Car avec le recul, l'amour ne fait qu'accroître… »
Merci Maryna.
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