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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Bon… pour parler de ce grand livre, il va d'abord falloir évoquer, avec la motivation d'un agent de la fonction territoriale, les genres littéraires… ici les « mauvais » que sont la S-F et le policier.
Car ce livre, sorti chez Folio policier, n'a pas grand chose à faire dans cette catégorie. Pas dans un jugement qualitatif (il y en a de très bon.. etc, etc, etc…), mais purement formel. Ceci est bien un roman historique, au plus près de cette période dont les frères Vaïner en ont tirés leurs oeuvres les plus sérieuses, la fin du règne de Staline, et la généralisation d'un antisémitisme féroce menant aux grands Pogroms ( l'autre livre étant « La corde et la pierre » ).
Le reste de leur oeuvre donnant dans le Roman Noir, les éditeurs n'ont pas fait de détails… ce qui fait oublier l'importance et la qualité de ce roman, qui aurait sans doute été mieux « traité » chez un éditeur davantage spécialisé (Verdier, Syrtes, etc.), malgré un tirage beaucoup plus maigre…
Tout ceci, vous l'aurez compris, n'ayant pas pour but de hiérarchiser les genres littéraires, mais bien de les faire sortir de leur ghetto (bof). Ces mauvais genres ont en tout cas le don de me faire tourner en rond, merveilles de thèses et d'antithèses…

Bref, on parle ici d'un roman ultra-percutant, en forme de confession, écrit en 79 et gardé secret jusqu'à l'effondrement de l'URSS (combien de textes perdus… ?), d'un ex-agent de la police secrète, si implacablement ignoble qu'il en devient sympathique (euh… enfin presque quoi…), et de sa haine des juifs qui ferrait passer le CRIJF pour une organisation pro-palestinienne (bon, on la garde, mais cette phrase ne veut pas dire grand chose…). Ce personnage inspiré d'une effroyable réalité évolue au milieu d'autres, bien réels, dont les premières pages du livres nous résument maladroitement les biographies (voilà le genre de travail d'éditeur/traducteur qui font la différence) avec de longues notes de bas de page, canardés sans élégance, à l'image de l'appareil d'état soviétique de 1953. Après ce démarrage un peu laborieux, une dizaine de pages tout au plus, le livre dépote plein-gaz jusqu'à son dénouement…

Très jolie prouesse des auteurs, que de nous faire entrer à ce point dans la tête de cet exécutant exceptionnel, résumant à lui seul toutes ces contradictions et les horreurs qui en découlent, rappelant chacun à ses responsabilités…
Construit en plusieurs couches temporelles entrelacées, ce roman reste aisé à suivre. Particulièrement malaisant, tant notre « héros » en parait presque agréable… en sous-main, une belle critique du pouvoir en général…

Facile, rapide à lire… au point d'être considéré comme un roman policier ? Et voilà, j'ai chuté… désolé…
Haaa.. les joies de l'écriture à 4 mains…
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Pour ceux qui recherchent du policier, passez votre chemin mais pour tous les autres passionnés de récits classés historiques et ceux qui préfèrent découvrir la vie des russes en ex URSS et enfin ceux que les descriptions de la cruauté ne rebutent pas alors ouvrez ce roman et vous ne regretterez pas ce geste car L'évangile du bourreau est prenant, captivant, obsédant même.
On fait connaissance avec Pavel Egorovitch Khvatkine, ancien tchekiste qui se complaît dans l'oubli mais peut-on tout balancer aux oubliettes ? Il faut dire que la vodka aide beaucoup mais les souvenirs et l'histoire de déroulent en deux temps : l'avant et l'après.
Les deux frères Vainer nous font découvrir un personnage capable du pire et machiavélique. Ils nous plongent dans les rouages de la "Boutique". Ses longs couloirs et les cris qui y résonnent, les bureaux avec des tapis tâchés de sang et de cervelle, des agents qui accomplissent leur devoir avec dévotion.
Tout au long des 771 pages, Khvatkine ne confesse rien au machiniste mais à nous les lecteurs, ils raconte tout, il vide son sac par des histoires de diable et d'ogres. Son passé revient le hanter et ses mots ou plutôt ses pensées vomissent les souvenirs. Les bourreaux sont nombreux dans ce roman.
Les dernières phrases sonnent comme une vérité "Et si tout cela n'était qu'un rêve ? Et si tout cela n'avait pas eu lieu ? Et si cette confession n'était que mensonge ? Et si j'avais tout inventé ? Bien sûr, j'ai tout inventé. Sauf ce qui arrivera réellement.
Un roman à découvrir !
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Evanguelie ot Palatcha
Traduction : Pierre Léon

Bon, je n'irai pas par quatre chemins : si les USA ont Ellroy, la Russie, elle, possède les frères Vaïner. Et croyez-moi, j'assume pleinement ce que j'écris.

Tout d'abord, un narrateur qu'on n'est pas près d'oublier tant il symbolise toute l'horreur - et toute l'ambiguïté - du Mal : Pavel Egorovitch Khvatkine. En toile de fond, l'URSS de Staline et une analyse politique et morale qui trouve le moyen de tenir le lecteur en haleine pendant sept-cent-soixante-dix pages en Folio Poche. Et par là-dessus, ingrédient suprême, ce souffle, cette ampleur,cette folie qui n'appartiennent qu'à la littérature russe.

Au début, je redoutais un peu que, en raison de leurs origines juives, les frères Vaïner ne suivissent la mode universelle actuelle : à savoir se poser en juges d'un peuple et culpabiliser celui-ci à outrance. Mea maxima culpa : pas plus qu'ils ne veulent renoncer à leur judéité, les deux romanciers n'entendent renier leur héritage russe. Les frères Vaïner sont juifs ET russes ou russes ET juifs, l'ordre importe peu : le "ET" par contre est essentiel.

Certes, ils ont choisi de démonter l'affaire des Blouses blanches, à laquelle seule mit fin la mort (l'assassinat ?) de Staline. Ils le font d'ailleurs avec une virtuosité, une maîtrise ! ... L'autre jour, à propos de "L'Historienne et Drakula", j'évoquais la difficulté, pour un auteur, de dominer la pratique du "retour en arrière" et du récit parallèle. J'ajouterai que Mme Kostova pourrait demander des leçons aux frères Vaïner : ce qu'ils font, c'est du grand, du très grand art !

Pour vous aider à vous repérer (un peu) dans cette épopée noircissime, en voici la trame centrale :

Devenu un honnête professeur de Droit rangé des voitures sous Brejnev, l'ancien lieutenant-colonel du MGB, Pavel Egorovitch Khvatine, qui fut la "tête pensante" du montage de l'affaire des Blouses blanches, se voit, un soir de beuverie, rattrapé par son passé. Un individu démoniaque - il m'a fait penser au "Maître et Marguerite" de Boulgakov - l'interpelle en lui disant qu'il est "le Machiniste, le gardien des fourneaux de l'Enfer" et qu'il vient lui réclamer des comptes.

Forcément, notre Pavel Egorovitch, qui est pourtant doté d'une nature tout à fait exceptionnelle de professionnel de l'assassinat, est un peu ébranlé. Et, entre deux bouteilles de vodka, les souvenirs reviennent : la Loubianka et ses bureaux, le knout, les tortures, les huiles du parti, le doute et la suspicion incessants, même et d'abord chez les bourreaux, l'ombre éternellement planante du Saint-Patron, l'amour de Pavel pour Rimma, la fille d'un scientifique juif arrêté pour complot, la naissance de leur fille, Maïka, la haine que celle-ci a développée envers son père - il aime tant à être haï, Pavel Egorovitch ... - et maintenant ce Magnus Truc-Machin-Chouette, ce Juif-Allemand de l'Ouest qui veut épouser Maïka et qui vient aussi réclamer des comptes pour un obscur rabbin jadis assassiné à la Loubianka - "comme tant d'autres", fait remarquer Pavel Egorovitch qui a, au début, bien du mal, à se rappeler cette silhouette-là ...

Depuis Ellroy, je le répète, je n'avais pas vu, dans le genre polar socio-politique, une telle réussite. C'est noir, mais d'un noir somptueux, l'intrigue est encore complexifiée par les retours en arrière mais c'est si bien construit que le lecteur ne s'y perd pas un seul instant, la leçon d'Histoire est superbe et sa conclusion, d'une humanité et d'un cynisme qui suffiraient à prouver, s'il en était encore besoin, l'intelligence aiguë de ses créateurs, l'humour est cruel, noirissime, russe, la chute, on n'en voudrait pas d'autre ... Quant à Pavel Egorovitch ...

... Il entre de plein pied au Panthéon des Affreux du Polar - et de la Littérature. Beau et en même temps répugnant, implacable et pourtant capable - une seule fois mais tout de même - d'un geste qui aurait pu lui coûter sa carrière et sa vie (un geste qu'il n'explique pas d'ailleurs et dont il ne parlera jamais à la principale intéressée dans l'affaire), ange déchu et serpent, Pavel Egorovitch charme et épouvante le lecteur.

Est-il le Mal absolu ? Laissons lui les (presque) derniers mots de l'histoire :

Citation:
"[...] ... Avant même que les cartes fussent distribuées, j'avais déjà tous les atouts en main. Parce que je serai toujours utile à quelqu'un. Aux communistes, aux capitalistes, aux antisémites, aux sionistes. Au KGB, à la CIA, aux Etats-Unis, à l'URSS, hier comme demain."

Un grand roman, je vous dis ! ;o)
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Un polar écrits par un auteur de polars reconnu par le régime soviétique, mais jamais publié du vivant de l'URSS. le narrateur, un notable jouisseur, terriblement cynique, opportuniste et alcoolique, nous emmène dans les dédales de la bureaucratie soviétique, sous Brejnev et sous Staline via de longs et terrifiants flashbacks. Une peinture terrifiante et réaliste d'un quotidien heureusement révolu. Quoique...
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Un aller simple pour l'enfer. Pour le retour, il faudra demander à notre guide, Pavel Egorovitch Khvatkine, mais il n'est pas sûr que nous en ayons besoin. La destination nous est indiquée par un jeune homme en bleu de travail, machiniste de son état, qui travaille dans les sous-sols de l'enfer. Voici les salles sombres de la Loubianka où toute vérité, toute dignité, sont abolis, où le temps remonte à contre-courant. de cette obscurité, pourtant, jaillit un récit aux apparences de vérité. C'est un aveu ; mieux, un évangile, l'annonce d'une vérité qui n'est pas celle d'un sauveur, mais celle d'un bourreau. Khvatkine fut l'homme des basses oeuvres, au coeur de l'un des épisodes les plus tragiques de l'Histoire. Cerveau du complot des blouses blanches, qui conduisit à l'arrestation et à l'exécution de plusieurs médecins de confession juive, son parcours est un témoignage du fonctionnement de la police politique soviétique, pilier de la terreur stalinienne. Confession de l'un de ces hommes de la terreur, L'Évangile du bourreau fait incarner le destin d'un système dans celui d'un homme et soulève la question de la responsabilité individuelle dans l'établissement du totalitarisme.

Le livre et le système qu'il décrit sont les deux parties d'une machine à remonter le temps. Dans les geôles de la Loubianka, nulle trace du progrès social communiste promis par les dirigeants de l'URSS. le temps ne s'y contente pas de s'arrêter pour les prisonniers, il recule, même, remonte à contre-courant vers les siècles les plus ténébreux de l'Histoire. Là, des hommes souffrent car d'autres les torturent. Pas de torture médiévale - pas d'énucléation, pas d'ébouillantement, mais les coups de poings et de knout, la privation de sommeil, l'implacable harcèlement psychologique : savoir que un tel a été battu, qu'il va l'être, qu'il n'y a aucun espoir -, mais un régime de violence qui agit comme le système de valeur de preuve, où ce qui compte n'est pas ce qu'on dit, mais précisément de parler, de signer un aveu, n'importe lequel. Contre le progrès promis, la machine à remonter le temps du NKVD / MGB fait revenir aux temps du désespoir, et toutes les composantes de la société soviétique sont concernées. Bien-sûr, le caractère antisémite de la police politique - et donc de l'État soviétique - saute aux yeux, par l'utilisation répétitive d'un terme péjoratif tel que "youpin", par le complot des blouses blanches et par la déportation envisagée des juifs d'URSS au Birobidjan. Comble de l'ignominie, c'est aux autorités religieuses juives qu'est demandé de faciliter le transfert de ces populations ; c'est ainsi que Khvatkine rencontre Elieser Nannos, le grand-père de son futur gendre et confesseur, l'agent du surnom de Mangouste. C'est au nom de ce grand-père que Mangouste assiège Khvatkine de questions, pour cheminer vers une vérité à laquelle prétend le régime stalinien. En réalité, là aussi le discours est à contre-courant, puisque le mensonge est le seul récompensé. La seule vérité est celle du régime, celle de ses hommes forts, celle de Staline. Un exemple frappant réside dans ce professeur d'université, signalé par ses collègues pour avoir démontré à ses étudiants que les chiens de chevaliers teutoniques, selon Staline, étaient en vérité une union de chevaliers teutoniques selon Marx. La visite de Khvatkine dans les caves du NKVD apparaît comme un voyage dans un pays où le mensonge est vérité, où l'absurde devient le bon sens, où l'on façonne l'innocent en futur coupable. Comme le dit le docteur Kogan, le stalinisme est un fascisme, un totalitarisme qui englobe l'individu et la société dans leur totalité. La Boutique, comme l'appelle Khvatkine, maîtrise le temps et la narration historique. Machine à remonter le temps, le livre l'est par sa structure narrative dont le principal support est le souvenir. Celui-ci, omniprésent, obsède Khvatkine et se réveille à chacun des événements. Un lieu, un visage ou une ambiance le replongent trente ans plus tôt, lui qui est à la retraite de ces services pour la police et qui occupe un emploi de professeur d'université. Khvatkine subit ces retours brusques de sa mémoire. Matérialisée par cet étrange machiniste rencontré au cours d'une soirée très arrosée, la mémoire vient l'assaillir et ne le laisse pas en paix. Ainsi, à force de croire que le passé n'existe pas et que l'oubli est un outil de survie, tant pour les victimes que pour les bourreaux, le retour brutal et imposé de la mémoire affirme, au contraire, le rôle central de l'individu et sa responsabilité. Khvatkine incarne ainsi une époque, et un système.

L'Évangile du bourreau tend clairement à montrer que tout système n'est fait que d'hommes. Khvatkine est l'un de ceux-là, artisan de la peur et petite main de la Loubianka, ce grand navire qui vogue supposément vers le progrès, à moins que ce ne soit vers l'enfer. Khvatkine est certes un personnage de fiction, mais il aurait pu exister. Rien ne prouve son existence puisqu'il a pris le soin de ne jamais rien signer. Cet homme a fait sienne la devise latine : Audi, vide, sile, c'est-à-dire écoute, regarde, tais-toi. Se conformant aux usages de la Boutique, il constitue des dossiers compromettants à l'encontre de ses collègues : untel a détourné d'y butin de guerre, un autre ???. Dans tous les cas, il s'agit de se mettre sous la protection de celui qui saura échapper à la grande purge : après Abakoumov, Khvatkine choisit de parier sur Kroutovanov pour survivre. Se faire bien voir, et être invisible. Inventer le complot des blouses blanches et se satisfaire du grade de colonel quand l'ancien protégé, Minka Rioumine, devient ministre d'État. Khvatkine survit, Rioumine est fusillé. Khvatkine est le cran anonyme de la grande roue mécanique de l'État soviétique, son rouage indispensable et indistinct. Il est le chauffeur de la machinerie infernale, qui nourrit la bête de la peur, des aveux et de la mort de qui descend dans ses cales, y compris ses propres chauffeurs. Il est aussi, pourrait-on dire, pareil à la tumeur qui grossit et menace la survie de son hôte. La destinée de Khvatkine se confond là avec celle de l'État soviétique, puisqu'il est lui-même atteint d'un cancer qui le détruit de l'intérieur. Destruction bien normale, finalement, lorsque l'on constate le processus de brutalisation de la société stalinienne, et de déshumanisation des Soviétiques. Là aussi, Khvatkine colle à l'image de son pays. A bien des égards, il a perdu toute humanité : il déteste son épouse, envisage de faire exécuter son futur gendre, s'est autrefois servi de l'embryon de son fils pour survivre, a tué ou fait tuer ses amis, ses compagnes ... Khvatkine a également procédé à l'arrestation de son futur beau-père avant de violer régulièrement sa fille : la liste des atrocités est bien trop longue, et un seul de ces actes suffit à le disqualifier. Et pourtant, Khvatkine est bien un homme, humain en apparence, bon camarade avec Rioumine ou le concierge de son immeuble, amant infatigable, grand buveur de vodka et même sauveur de sa propte fille, arraché des griffes d'un orphelinat aux allures de mouroir. Khvatkine est l'homme d'une époque, le pion utile, le bourreau muet et indifférent. Son parcours, cependant, questionne la responsabilité individuelle et pose une question majeure : pourquoi ?

Sans doute, d'abord, parce que les hommes de ce système pouvaient agir ainsi. le système stalinien fonctionne en circuit fermé, comme la Loubianka comme le décrit Khvatkine : depuis l'arrestation jusqu'à l'application de la peine en passant par l'interrogatoire et le jugement, inutile de sortir de ce vaste bâtiment, bâti autrefois pour des assurances et qui, au début des années 1950, garantit la peur à l'ensemble des peuples soviétiques. L'autre métaphore utilisée est celle des échecs : seul Staline joue, maniant les blancs et les noirs, Malenkov et Béria, contre un peuple tout entier. Ce système est bâti sur des hommes absolument différents par leur physique, leur apparence, leur caractère. L'élégance toute anglaise de Kroutovanov jure avec l'embonpoint du bon vivant Abakoumov. Tous sont jeunes, et ne pensent jamais à la mort, goûtent au pouvoir suprême de décider qui vit et qui meurt, condamnés pourtant, eux aussi, à nourrir un jour le feu infernal. Ce qui anime ces hommes porte des noms divers : la peur, la haine (de Lioutostanki pour les juifs), l'opportunisme (Djedjevala qui abreuve Béria de jolies femmes), l'excitation du pouvoir (Rioumine) et, profondément, le désir de survivre, la conscience d'une époque qui avale les hommes comme la baleine avale le krill, sans distinction. Ces hommes sont des bourreaux, au sens légal du terme. Khvatkine l'explique à Mangouste : le bourreau est un tueur légal, qui n'agit pas par passion ou dégénérescence mentale, mais sur ordres. Pas de crime, pas de criminel ni de responsabilité individuelle. La potentialité de l'irresponsabilité matérialise l'irresponsabilité, sur le moment seulement, car c'est une idée fausse de croire que l'on ne sera jamais responsable de rien. Mangouste est là pour le rappeler à Khvatkine, pour demander des comptes sur les assassinats et les tortures perpétrés. Car les hommes sont bien responsables de ce qu'ils font, et le système n'est que la convergence de volontés puissantes. L'enlèvement et l'exécution de Béria, quasi premier personnage de l'État après la mort de Staline, en dehors de tout procès, le prouve assez : il n'y a que des volontés individuelles. Devant l'évidence, Khvatkine a pourtant un argument : on ne peut juger les hommes selon les valeurs contemporaines. Khvatkine justifie ses actes par sa volonté de survivre. Tout tend vers cela, y compris son idée de tuer Mangouste, pour que son nom de rejaillisse jamais des archives sombres de la machine infernale. Ce faisant, Khvatkine enterre le système politique dans lequel il a évolué, mettant sur un piédestal la logique de survie individuelle plutôt que le grand projet collectif. N'en demeure pas moins que les hommes, s'ils survivent grâce à des logiques individuelles, ne peuvent rejeter sur le système collectif leurs conduites horrifiques.

L'Évangile du bourreau est un réquisitoire, mais pas seulement. le roman révèle l'horreur d'un système politique basé sur l'idéal d'un progrès social. Tout n'y est que paradoxe, contradictions, entre vérité et mensonge, symbolisé par des personnages à la fois prisonniers et acteurs. Ainsi Maïka, la fille de Khvatkine, fruit du viol et d'un risque démesuré pris par son père pour la sauver. Ainsi Lioutostanki, gavé de haine et capable des plus belles arabesques calligraphiques sur ses documents officiels. Ainsi, évidemment, Khvatkine, terriblement isolé dans cette société communiste. le roman est aussi un témoignage, dont les contours ressemblent à ceux de la vérité. Peut-être est-ce parce que les frères Vaïnner y font mention d'un film dont ils furent les scénaristes. Peut-être est-ce parce qu'en articulant le propos autour du thème de la responsabilité individuelle, les auteurs décrivent l'horreur à hauteur d'homme : glaçante dans son apparente normalité.
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Le roman s'ouvre par une scène d'orgie qui traîne vraiment en longueur, et peut décourager certains ; mais cela vaut la peine de persévérer, car ensuite, on est vraiment complètement plongé dans la vie de cet ancien instructeur tueur des services de sécurité stalinien qui, dans ce qui est peut-être une confession, mais peut-être aussi autre chose, nous livre des témoignages brûlants de ce qu'était la vie sous Staline et son absence totale de poids aux yeux des autorités, mais surtout ce qu'étaient les stratégies de survie des bourreaux pour éviter de devenir, à leur tour, des victimes selon un enchaînement pratiquement inévitable, mais que le héros du roman a su, jusque là, éviter.
Les (nombreuses) autres scènes de beuverie passent beaucoup mieux que la première, car le lecteur a, entre temps, parfaitement perçu qu'elles apportent, à chaque fois, une ouverture nouvelle sur le passé du personnage.
Un roman époustouflant, avec une fin d'anthologie, tant le lecteur est livré sans clef de déchiffrage à de multiples interprétations possibles.
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Un roman d'une noirceur terrible. Un personnage, Pavel Egorovitch Khvatkine, que je ne pourrai jamais oublier. Un livre que je relierai sans aucun doute et que je conseille vivement.
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Livre qui marquera tout lecteur quoique parfois un peu difficile à lire.
Une descente dans la machine du stalinisme., dans un style déjanté et captivant
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Un incroyable policier soviétique! incroyable par son intensité, par son sujet, par la date à laquelle il a été écrit... A lire absolument pour ces raisons...
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