Quand on se souvient de sa jeunesse, on est toujours très indulgent, répliqua-t-elle. On la falsifie inconsciemment, et tout nous semble beau, y compris les choses mesquines. C'est un besoin consolateur. Ça nous porte à croire qu'une partie de notre vie a été vécue intensément.
- Les gens, c'est comme le brouillard, décréta le barbier, tu ne vois rien à travers et puis tout à coup... Et c'est souvent trop tard.
La ville dans le brouillard. Sans aucune dimension certaine,au coeur sinué des ruelles, là où un voile d'eau déforme les distances comme un verre mal poli et les transforme en perspectives trompeuses. Là où les pas qui résonnent semblent attirés par un gouffre tout proche .Et où les hommes seuls se sentent encore plus seuls.
Les gens, c'est comme le brouillard décréta le barbier, tu ne vois rien à travers et puis tout à coup...Et c'est souvent trop tard.
Les villes sont comme les enfants, elles changent d'année en année et si tu restes un moment sans les voir, tu ne les reconnais plus. Mais au fond , ce sont toujours les mêmes .
Même les enquêtes ont du mal à reconstruire la mécanique des faits. Qui n'est pas grand chose, en réalité. Découvrir celui qui a empoigné le couteau pour le planter dans le coeur de Ghitta, la nature de la blessure, sa profondeur et le genre d'hemorragie, ça n'est jamais que decrire la surface d'un fait. Mais le noyau des motivations, la valse des fantômes qui a généré la colère, on ne les connaitra jamais. On a beau en avoir l'intuition, ça reste une entreprise désespérée. On ne peut pas dominer la réalité dans la mesure où chaque résultat est incomplet.
Tout le monde connaissait l’endroit. Comparé à ces nouveaux hôtels avec drapeaux, portes coulissantes et faux tapis persans, ce vieux logement avait l’air d’un site archéologique. Que Soneri devrait désormais fouiller minutieusement.
Il vit les tripes ajoutées en bas, au crayon. Il y tremperait la moitié d'une miquette. Puis il commanda une bouteille de bonarda. Il ne comprenait jamais aussi bien les buveurs qui avaient besoin d'au moins deux verres pour affronter le monde et se donner l'illusion de le dominer, qu'à des moments comme celui-là.
Cet appartement le troublait, superposant un passé plein d’espoir et un présent de mort. Il avait du mal à croire que le même décor puisse renfermer des scénarios aussi différents. Mais toutes ces années avaient modifié ce qui, au début, paraissait intact. Et aujourd’hui, son métier le ramenait sur un lieu de sa jeunesse. Il savait qu’il ne fallait jamais revenir là où l’on avait été heureux.
Beaucoup sont morts parce que les pauvres meurent jeunes. Les autres se sont enrichis et se sont fait construire un pavillon à l'extérieur de la ville. Ils ne reviennent plus ici parce que ça leur rappelle quand ils se baladaient le cul tout rapiécé. Ils détestent tous leur passé, ils croient qu'ils sont devenus des gens respectables, alors ils votent à droite. Et ils méprisent les pauvres pour la même raison, parce que ça leur rappelle qui ils étaient.