Était-elle réveillée ou encore dans son rêve ? Cette petite chaleur sur son pied droit était toujours là, une sensation insolite qui hérissait son corps tout entier et lui révélait qu’elle n’était pas seule dans ce lit.
Drôle d'animal, Serafin. Juan Peineta n'avait jamais réussi à savoir si le chaton l'aimait ou s'il ressentait de l'indifférence à son égard. Peut-être qu'il l'aimait à la manière des chats, c'est-à-dire sans la moindre effusion sentimentale.
Dès qu'elle sentit le type derrière elle dans le bus menant de Surquilo aux Cinq Rues lui coller au train avec de mauvaises intentions, la Riquiqui sortit la grande aiguille qu'elle portait à sa ceinture. Elle la serrait dans sa main en attendant le prochain cahot car c'était dans les cahots que le salaud en profitait pour approcher sa braguette de son postérieur. Ce qu'il fit en effet, et alors et alors elle se retourna pour le regarder de ses immenses yeux fixes - c'était un petit monsieur insignifiant, d'un certain âge, qui détourna le regard sur le champ - et, lui mettant l'aiguille sous le nez, elle l'avertit :
"La prochaine fois que tu te colles à moi, je te plante ça dans l'immonde quéquette que tu dois avoir. je te jure qu'elle est empoisonnée."
Et en même temps, crois-le ou non, j'ai été remplie d'une secrète félicité. j'avais enfin trouvé le véritable assassin de Roland Garro. Il était là devant moi.
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« Qu’importe si sur vingt mille morts il y a quinze mille innocents, pourvu qu’on tue cinq mille terroristes. »
Que les gens le haïssent n’allait pas empêcher Rolando Garro de dormir. Ça lui donnait même une certaine satisfaction : le haïr, c’était le craindre, une forme de reconnaissance. Quelque chose que les Péruviens faisaient très bien : lécher les bottes de qui les piétinait.
Il s’était étendu sur le terrorisme en justifiant sa politique « à poigne » par un exemple qui fit dresser les cheveux sur la tête de plusieurs convives : « Qu’importe si sur vingt mille morts il y a quinze mille innocents, pourvu qu’on tue cinq mille terroristes. »
Il arrache des commissions par des chantages ou en offrant de la publicité aux artistes, scénaristes, animateurs et présentatrices d’émissions. Il se nourrit du scandale. Il a récolté plusieurs procès en diffamation et calomnie mais les associations de journalistes le protègent et, au nom de la liberté de la presse, les juges se prononcent presque toujours pour un non-lieu ou son acquittement. Il court beaucoup de bruits sur lui, on dit même qu’il pourrait être un des journalistes à la solde du Docteur pour traîner dans la boue les contempteurs du gouvernement, en détruisant leur réputation et en leur inventant des scandales.
Tu t’es vendu par cupidité, tu as renoncé à la poésie pour faire le pitre ; avide comme tu l’étais, tu as poignardé l’art. C’est là qu’a commencé ta déchéance.
Il avait un public qui suivait, ravi, les révélations qu’il faisait en traitant de pédés chanteurs et musiciens, ses explorations morbides de l’intimité des personnalités publiques, ses « scoops » qui mettaient en pleine lumière linge sale et turpitudes qu’il exagérait toujours et inventait parfois. Tout ce qu’il entreprenait connaissait le succès. Mais sans jamais trop durer car les scandales, le grand secret de sa popularité – il les découvrait ou les provoquait –, le plongeaient en général dans des embrouilles judiciaires, policières et personnelles où il laissait parfois des plumes. Les directeurs de journaux, radios et chaînes de télé finissaient par le virer en raison des protestations et des menaces qu’ils recevaient et parce que Garro était capable, par son activité frénétique, de les transformer en victimes de ces scandales qu’il promouvait et attisait.