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Critique de egare


egare
27 février 2020
D'abord dire que j'ai lu deux précédents romans de Flore Vasseur (Une fille à New York, Comment j'ai liquidé le siècle), que son parcours de créatrice de start-up à New York à activiste engagée pour la libre circulation des idées (entre autres) me paraît significatif, rare (hein les traders et tant d'autres du paraître), de la recherche du pouvoir, de l'argent à la recherche du sens, à l'exercice de la liberté et de la responsabilité, que son documentaire Meeting Snowden mérite la diffusion la plus large (Arte a permis sa mise en ligne sur you tube, en lien en bas d'article).
Lire ce road trip en plein mouvement des gilets jaunes n'est pas anodin. Avec ce récit où on croise Tim Berners-Lee, Julian Assange, Larry Lessig, Edward Snowden, Jimmy Wales et où on suit les traces, réalisations-créations, héritages de Aaron Swartz, on est au coeur d'internet, des enjeux de cet outil (internet doit-il être libre, en libre accès, en open source ? internet doit-il être sous contrôle ? internet est-il un instrument au service des pouvoirs politiques, financiers ? un instrument de contrôle des esprits et consciences ? un instrument de profits considérables pour les GAFA et les majors ?), on est au coeur des batailles tantôt feutrées, tantôt frontales qui opposent pouvoirs politiques (USA, Russie, Chine...), grandes firmes (les géant du web et des plateformes : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Netflix, Tesla, Uber, Airbnb, Twitter, Yahoo, Lindekin), les internautes, les citoyens, les activistes et les hackers.
Tout tourne autour du droit d'auteur, du copyright. (Lire mon article sur Internet, un séisme dans la culture de Marc le Glatin, en lien en bas de l'article). Si je mets en ligne sur you tube une vidéo de vacances ou une vidéo créative parce que je maîtrise bien "final cut pro", je cesse d'être propriétaire de ma vidéo. Quiconque peut la regarder, la télécharger, la pirater, la faire passer pour sienne, je ne perçois aucun droit d'auteur ni de you tube ni du lecteur. Pour un livre, le lecteur le paie une fois à l'achat, le lit autant de fois qu'il veut (en général, il ne le finit pas), le passer à ses amies (les femmes lisent plus que les hommes, passer un livre, c'est un beau geste). Aaron Swartz a été un des plus ardents combattants pour l'accès libre à tout ce qui est mis, doit être mis sur internet, en particulier les articles scientifiques des programmes de recherches commandés par les agences gouvernementales et financés par l'argent public (d'où son écriture du Manifeste de la guérilla pour le libre accès, traduit dans 25 langues et aussi le téléchargement qu'il pensait normal de millions d'articles stockés au MIT qui lui valut arrestation et poursuite par le gouvernement d'Obama en la personne de la procureure des États-Unis Carmen Ortiz = 35 ans de prison, 1 million de dollars d'amende). Depuis le suicide de Aaron Swartz, la kazakhe (menacée, poursuivie) Alexandra Elbayan a libéré l'accès à plus de 70 millions de publications scientifiques via la plateforme Sci-Hub.
Ce roman nous fait aussi découvrir certaines universités américaines et grands lycées américains. Stanford, Harvard, le MIT. le moins qu'on puisse dire c'est que ces universités sont les pompes aspirantes des jeunes intelligences créatives, qu'elles savent les formater c'est-à-dire  mettre le pouvoir créateur de cette jeunesse (souvent à fric, études très chères) au service des donateurs, fournisseurs de commandes, GAFA, gouvernement, multinationales (le grand-père d'Aaron, William, a été un des donateurs importants de Pugwash, l'association des scientifiques pour le désarmement nucléaire). Quelques dissidents résistent à ce formatage, deviennent différents. Ce fut le cas de Aaron dont le parcours n'a rien de rectiligne, c'est un parcours fait de ruptures (il quitte Stanford en cours de scolarité...), de grands écarts (de la richesse à la pauvreté choisie, aucun goût de luxe, une grande humilité).


Chacun d'entre nous doit se demander à quoi il joue quand il recherche via Google, quand il se raconte sur FB, quand il tweete des commentaires (Donald Trump est le roi du tweet provocateur, du buzz avec boules puantes). Ces outils ne sont pas innocents, ils nous tracent, ils servent à la fabrication des algorithmes qui nous cernent pour fabriquer des messages appropriés à nos "attentes" (les sites de rencontres qui fonctionnent très bien, de manière visible donnent une idée de comment fonctionnent les marketeurs, fabricants de "tendances" à partir des données qu'ils récupèrent. Donc, par exemple, travailler sous creative commons (une invention de Aaron), c'est "maîtriser" ses droits sur ses oeuvres (1,4 milliard d'oeuvres sont aujourd'hui répertoriés en creative commons). Choisir Linux, un logiciel libre, c'est pas être choisi par Apple. Choisir FB ou framasphère ? gmail.com ou tutanota.com ? dailymotion ou vimeo ?  Choisir Lilo, Qwant, Ecosia ? Comment protéger nos données, sécuriser nos boîtes mails, empêcher la traçabilité de nos recherches ? C'est le cas maintenant des recherches qu'on fait sur Wikipédia de Jimmy Wales. Elles ne sont plus traçables. Pour les oeuvres entrées dans le domaine public, la BNF avec l'Europe a lancé sa propre numérisation "contre" la bibliothèque numérique de Google books. Wikisource recueille les oeuvres libres de droits. Tim Berners-Lee, l'inventeur du web a lancé le 1° octobre 2018, Solid, nouveau web dans lequel l'internaute garde la propriété et le contrôle de ses données personnelles.

Mes usages d'internet sont pensés. Je ne me livre pas sur FB, j'en retire "mes" posts tous les 3 jours, ce sont des posts en lien avec le monde, peu de like, peu de commentaires, une voix dans le désert. Mes 3 blogs sont des lieux de partage et de réflexion, articles, notes de lecture. Là aussi, écho limité. Je ne fais guère d'efforts pour augmenter l'audience, un peu moins voix dans le désert. le Journal d'un égaré a été construit à partir de 45 articles de blog, ce qui signifie que ce sont des articles pouvant tenir un peu dans le temps.

Je pense que notre culture en ce qui concerne internet est trop, très rudimentaire. Se rend-on compte qu'Obama gagne la présidentielle américaine grâce à une armée de followers qui ont harcelé de messages les électeurs des états clefs. Trump a fait de même. Là, survient l'épisode des trolls russes qui piratent les adresses de millions d'électeurs sur FB (qui a dévissé en Bourse) pour les fourguer à Donald Trump. On a vu chez nous, les trolls de la manifestation pour tous de la Frigide Barjot faire remonter en tête des revendications des GJ, l'abrogation de la loi sur le mariage pour tous. Je ne parle pas des cyber-attaques venues d'états, d'activistes, de hackers genre anonymous ou wikileaks. Les lanceurs d'alerte paient le prix fort, Julian Assange, Bradley Manning, Edgard Snowden, Denis Robert, Stéphanie Gibaud...
Je choisis de donner des exemples pour inciter à faire un usage citoyen, responsable de ce roman. Il se lit comme un thriller, écriture sèche, des fois deux mots pour une phrase, des formules qui claquent. Très documenté, accompagné de rencontres avec les parents, les frères, les professeurs, les génies du droit constitutionnel ou d'internet, traversant des paysages contrastés (des quartiers chics de Highland Park au métro new yorkais = sacré voyage au pays soi-disant de la liberté, de l'american way of life que moi je vois comme l'american way of death, la mal-bouffe notamment, les shoots aux amphétamines fabriqués en masse par Big pharma ou le syndrome VICA), par des moyens variés, l'avion, le greyhound puant, la marche, avec des apartés où Flore Vasseur s'évoque, ce roman est comme un roman initiatique. Difficile, impossible de saisir Aaron dans sa complexité, avec ses angoisses, ses peurs, ses diarrhées, ses coups de génie, ses inventions, son assurance, ses valeurs, ses choix éthiques et politiques.
Mais les désillusions qui jalonnent son parcours de météore peuvent nous permettre de voir où nos efforts doivent porter. La bataille qu'il mène contre la loi de censure d'internet, Sopa, loi qui veut criminaliser les téléchargeurs soi-disant illégaux d'oeuvres que se sont appropriés les majors d'Hollywood, voulue par Obama, en créant un outil d'appels et d'e-mails automatiques (3 millions d'e-mails et 14 millions d'appels au Congrès, asphyxié, pétition de 7 millions de signatures sur le bureau du Prez) montre la puissance des internautes mobilisés. Wikipédia et d'autres sites font écran noir quand on fait une recherche. Obama annule le vote de la loi. Je me suis mis à rêver d'écrans devenant noirs les soirs de débats à la télé grâce à des anonymous bien intentionnés.
La veille de son suicide, il parle de son projet Victory Kit, une boîte à outils pour créer en quelques clics, de façon totalement sécurisée, encryptée, l'arsenal numérique d'une mobilisation citoyenne. Mais lui, le partageur, ce soir-là, ne donne pas à Taren Stinebrickner-Kauffman (la créatrice de la star-up SumofUs, SommedesNous, la chercheuse de l'algorithme éthique permettant de retrouver l'intérêt général), la clé sur laquelle se trouve le code de ce projet. Pensons aux grands sites pétitionnaires Aavaz, Change. Ils sont peut-être dans l'esprit du Victory Kit d'Aaron.
De quoi est-il revenu ? Lui qui a été millionnaire en dollars à 19 ans avec la vente du site qu'il a construit, Reddit, il en est revenu de l'illusion d'une constitution soucieuse d'éthique, (la loi n'est pas l'éthique, celle-ci est affaire de responsabilité personnelle, non inscrite, obligée par la loi; l'application de la loi par la bureaucratie d'état est inhumaine - lire Kafka, la bureaucratie a aujourd'hui un nom: la médiocratie), il en est revenu de l'illusion d'un usage libre d'internet favorisant la diffusion des connaissances; les géants du web en font et en favorisent des usages cyniques et de profits (la pornographie, la pédophilie sont des créneaux rentables, sex-tape, revenge-porns). Dans les deux cas, constitution, pouvoir constituant des citoyens, internet libre, c'est le rapport de forces qui tranchera, entre les gens d'en bas et les riches.
Lui qui voulait changer le monde nous a prévenus, a fabriqué des outils. En France, on n'a pas encore cette culture de la mobilisation citoyenne de masse via internet (il y a eu tout de même la bataille pour le NON au référendum de 2005 avec déjà Etienne Chouard en figure de proue mais on a vu comment Sarkozy a méprisé ce NON vainqueur; bien sûr, les pétitions marchent, celle de l'affaire du siècle sur le climat par exemple). Avec le mouvement des GJ, il me semble que ça vient. Cette jacquerie selon certains, cette guérilla asymétrique comme le furent la révolte des quartiers en octobre 2005 ou la révolte des bonnets rouges bretons en octobre 2013 (bien voir les différences, les quartiers n'ont pas rejoint les GJ), ce mouvement a mis au coeur de ses revendications le pouvoir constituant de chacun et du peuple via le RIC. FB est l'outil des rassemblements. le portable, l'outil des témoignages contre les merdias manipulateurs. Des médias alternatifs voient le jour. Une grande maturité se dégage; se peut-il que souterrainement cheminent des prises de conscience ?
Dernier point que je veux aborder, le syndrome VICA ou VUCA (en anglais). Il semble que ce soit la nouvelle théorie du Tout des gourous de la Silicon Valley. V pour volatil, I pour incertain, C pour complexe, A pour ambigu ou ambivalent. Tout serait vica-vuca. Vous voulez du solide, tout est volatile, vous voulez des certitudes, tout est incertain, vous voulez des évidences simples, tout est complexe, vous voulez du sens, tout est ambigu, et-et, ni-ni. Dans un tel monde, vous ne saurez jamais si vous êtes sur le bon chemin.
Et les thérapeutes, guérisseurs, gourous (un sacré business) soignent les bobos et les maux de l'âme pendant que l'humanité et la planète s'effondrent. Sauvez-vous, changez-vous, pas le monde, ce n'est pas à votre portée. Une théorie d'impuissance. Les idéalistes activistes des années 2000 pour un internet libre et une vraie démocratie méritent notre respect. La démocratie est devenue un marché aux électeurs, aux voix, affaire de statistiques, de cibles, aux mains de lessiviers, de spins doctors, de communicants fabriquant slogans, campagnes publicitaires pour appâter les gogos que nous sommes devenus (la farce pestilentielle de la présidentielle 2017 en est une illustration).
Mais Flore Vasseur malgré elle aussi ses désillusions, continue à faire sa part; surtout elle voit monter au front une certaine jeunesse, elle fait un très beau portrait de Emma Gonzalez, une des rescapées de la tuerie de Parkland en Floride. Je mets en ligne son message de 6'20, "le temps qu'il a fallu au tueur, (un adolescent de 17 ans) pour tirer 100 balles avec un AR-15 et tuer à bout portant 19 de mes camarades puis se mêler aux survivants paniqués pour sortir du lycée". Je donne pour exemple de cette mobilisation de la jeunesse, le discours de  la jeune Greta Thunberg, une Suédoise de 15 ans déjà très active dans la défense de la planète à la COP 24 à Katowice. (Texte de grand bémol  après la vidéo du discours de Greta).
Lien : http://les4saisons.over-blog..
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