Snowden - Bande-annonce VF officielle HD
Ma génération est la dernière pour qui c'est vrai, aux États-Unis et probablement dans le monde entier : nous sommes les derniers dont l'enfance n'a pas été consignée dans le cloud mais conservée dans des formats analogiques comme des journaux intimes écrits à la main, des polaroïds ou des cassettes VHS, bref des objets manufacturés tangibles et imparfaits qui se dégradent avec le temps et risquent d'être irrémédiablement perdus. J'ai fait mes devoirs sur papier, avec crayon et gomme, et non sur tablettes connectées à Internet. Ma croissance était notée par une entaille sur le cadre de la porte de la maison, pas via le smart home...
Je prends conscience aujourd'hui que pour mon gouvernement, j'étais un homme transparent. Le portable qui me permettait de m'orienter et me corrigeait quand je me trompais de direction, qui me traduisait les panneaux indicateurs et me donnait les horaires des bus et des trains, veillait également à ce que mes patrons connaissent mes moindres faits et gestes. Mon téléphone leur indiquait quand je m'étais trouvé à tel ou tel endroit sans même que j'ai eu besoin de le toucher ou de le sortir de ma poche.
Tel est en fin de compte le vice rédhibitoire ou le défaut de conception que l'on introduit délibérément dans tous les systèmes, qu'il s'agisse de politique ou d'informatique : ceux qui définissent les règles n'ont aucune raison d'aller contre leurs intérêts.
De toute façon, la CIA n’a pas grand-chose à apprendre sur internet qu’elle ne sache déjà, car elle dispose de son propre Internet et de son propre Web, même si la plupart des gens ne le savent pas. De même, elle a son propre Facebook, qui permet aux agents de dialoguer, ainsi que son propre Wikipedia, où ces derniers peuvent se renseigner sur les diverses équipes, leurs projets et leurs missions. Enfin, elle possède une version particulière de Google mise au point par le moteur de recherche lui-même, destinée aux agents soucieux d’explorer ce réseau classé secret.
Il n'est tout simplement pas possible de fermer les yeux sur la vie privée. Nos libertés sont solidaires et renoncer à notre vie privée, c'est renoncer à celle de tout le monde. On peut tirer un trait dessus par souci de commodité ou sous prétexte que seuls ceux qui ont quelque chose à se reprocher veulent la protéger leur vie privée. Mais clamer qu'on a pas besoin de vie privée car on a rien à cacher revient à dire que personne ne devrait avoir le droit de cacher quoi que ce soit...
Finalement, prétendre que vous n'accordez aucune importance au concept de vie privée parce que vous n'avez rien à cacher n'est pas très différent que d'affirmer que vous n'avez que faire de la liberté d'expression parce que vous n'avez rien à dire, ou que la liberté de culte vous indiffère puisque vous ne croyez pas en Dieu, ou encore que vous vous moquez éperdument de la liberté de réunion parce que vous êtes agoraphobe, paresseux et anti sociable. Si cette liberté ne représente peut-être pas grand-chose pour vous aujourd'hui, cela ne veut pas dire qu'elle ne représentera toujours rien demain.
Je me sentais utilisé, un membre de la communauté du renseignement qui se rendait compte seulement maintenant que depuis le début, il ne défendait pas son pays mais l'Etat.
Nous vivons désormais dans un pays où il revient moins cher de remplacer une machine défectueuse que de la faire réparer, et moins cher de la faire réparer que de se procurer les pièces détachées et de se débrouiller pour les mettre en place soi-même. Voilà qui suffit à installer la tyrannie de la technologie, qui se perpétue à cause de l’ignorance de ceux qui s’en servent tous les jours sans rien y comprendre. Ne pas vouloir s’informer sur le fonctionnement et la maintenance de base d’un appareil indispensable revient à accepter passivement cette tyrannie et à se plier à ses conditions : quand votre appareil fonctionne, vous fonctionnez aussi, mais quand il tombe en panne, vous craquez. Ce que vous possédez finit par vous posséder.
J'étais assailli de pensées contradictoires qui me tombaient dessus comme des blocs de Tétris et je luttais pour y mettre de l'ordre. Aie pitié de ces pauvres gens, me disais-je, ils sont gentils et innocents - ce sont des victimes surveillées par le pouvoir, tenues à l'oeil par les mêmes écrans qu'elles idolâtrent. Et l'instant d'après, je me ressaisissais : ferme-la, arrête un peu ton cinéma - ils sont heureux, ils s'en fichent et d'ailleurs tu devrais en faire autant. Grandis, bosse et paie tes factures. C'est ça, la vie.
Nous n’avions plus que cinq ans à attendre dans les chambres à coucher des « assistants virtuels » tels qu’Amazon Echo et Google Home, fièrement installés sur les tables de nuit prêts à enregistrer et à transmettre toutes les activités pratiquées à portée, consignant les habitudes et les préférences (sans parler des fétiches et des obsessions) avant qu’elles ne soient converties en algorithmiques publicitaires et transformées en cash.
Étant donné le caractère américain de l’infrastructure des communications mondiales, il était prévisible que le gouvernement se livrerait à la surveillance de masse. Cela aurait dû me sauter aux yeux. Pourtant, ça n’a pas été le cas, principalement parce que les autorités américaines démentaient si catégoriquement se livrer à ce genre de choses, et avec une belle vigueur, dans les médias ou devant les tribunaux que les quelques sceptiques qui leur reprochaient de mentir étaient traités comme des junkies complotistes. Ces soupçons concernant des programmes secrets de la NSA ne semblaient guère différents des délires paranoïaques de ceux qui pensaient que les extraterrestres nous contactaient par radio. Nous - moi, vous, nous tous - étions trop naïfs.