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Critique de Enderlion


Hetzel a-t-il eu le nez creux en refusant le manuscrit à l'époque ?
Eh bien, pas sûr.

Le 20e siècle a eu droit à deux oeuvres de science-fiction particulièrement visionnaires, à savoir le Meilleur des Mondes de Aldous Huxley et 1984 de George Orwell.
70 ans avant ce dernier, Jules Verne proposait sa propre vision du futur avec une approche là aussi dystopique, certes toutes proportions gardées. C'est que l'époque ne connaissait pas encore certaines des avancées technologies ayant permis les extrapolations pour le coup justes et bienvenues des deux auteurs anglo-saxons. Quoique 1984 reste un peu à part, l'écrivain s'intéressant davantage à l'aspect politique qu'au progrès technique en lui-même.
Aussi le livre de Jules Verne peut-il paraître bien désuet pour ne pas dire dérisoire aux yeux des lecteurs d'aujourd'hui quand les deux autres oeuvres sus-citées peuvent d'emblée pousser à une réflexion intense.
Et pourtant, ce serait une erreur que de croire que le court roman du maître des Voyages extraordinaires tape à côté de la plaque, manque un barreau de l'échelle des prophéties. Tout au contraire, le livre va par moment bien plus loin que ses successeurs, dans l'absurde notamment.

Quand les livres sont proscrits dans 1984 ou bien inexistants dans le Meilleur des Mondes, ils sont littéralement oubliés de manière inconsciente dans le Paris du 20e siècle.
Et si l'individu est obnubilé par la technique et le progrès, il est clairement inculte. Pour preuve, les plus grands penseurs de la littérature française sont sortis des mémoires et Jules Verne d'ailleurs prend un malin plaisir à tourner en dérision la confusion qui règne dans les consciences dès qu'on aborde le thème de la lecture des grands auteurs du 19e siècle. La peinture et la musique sont elles aussi victimes du même rejet. L'art, au sens large du terme, brille par son absence au sein des multiples édifices dédiés à des archives lacunaires et érigés çà et là dans tout Paris.
Le protagoniste Michel, sensible et poète, est déconfit par la bêtise crasse de ces savants idiots au point d'en perdre la raison.

Et c'est autour de cet axe que Jules Verne tisse la trame de son histoire : l'absurde qui découle de cette dichotomie tragique entre science et arts, et qui entraîne toute la société sous la chape de plomb écrasante d'une folie ambiante. Un effet domino pervers, en somme, dont personne ne semble prendre conscience. Et en ce sens, le livre est assez novateur. L'ennui, c'est que le récit se termine au moment où des choses intéressantes commençaient à prendre corps, où on entrait dans le vif du sujet. Tout prend fin à l'instant T, où tout pouvait basculer, soit dans la révolution des idées, soit dans la défaite et donc la folie la plus totale. Je parlais de trame, et pour rester dans l'image, je dirais que malheureusement, le tissu vient très vite à manquer, et que l'auteur finit par perdre le fil de son intrigue. Jules Verne est, à l'époque de la rédaction de ce manuscrit, un jeune tisserand et il se montre très timide, n'allant pas au bout de ses intentions.

Sous ses joyeusetés apparentes, le récit masque un propos d'une noirceur confondante. On baigne en plein cauchemar, bien déprimant, à l'image de la fin que je me contenterais de qualifier d'hystérique pour ne rien en dévoiler.
Quiconque aura découvert Jules Verne avec ses oeuvres de référence sera d'abord fasciné - le livre est remarquablement bien écrit - puis échaudé, sa conclusion laissant le lecteur pantois.
Je faisais allusion au style et, à ce titre, on peut dire que l'écrivain met le paquet. Son écriture est d'une rare élégance, chaque phrase fait mouche et marque les esprits durablement. C'est d'ailleurs la première fois que je tergiverse quant au choix de la citation à poster. Aussi j'ai dû me satisfaire d'une description certes jolie mais des plus communes.

Au final, ce Paris au XXème siècle est une curiosité à découvrir. Et quoiqu'on en dise, Jules Verne demeure un grand écrivain, contrairement à ce que l'intelligentsia de la littérature blanche veut bien nous faire croire depuis des lustres.
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