Un Drame en Livonie : mais qu'est-ce que la Livonie à la fin du XIX siècle ?
C'est un ensemble qui n'a pas cessé d'évoluer mais qui au XIX siècle regroupe, autour de la Baltique, une partie de l'Estonie, de la Lettonie et le duché de Courlande. le pays a été germanisé et les Germains tiennent le haut du pavé, nobles, bourgeois richissimes et influents. Les Lettons et les Estoniens , sous leur domination, n'occupent que des postes subalternes. Riga en est la capitale.
L'écrivain place l'action en 1876 sous le règne du tsar Alexandre II. Aussi quand ce dernier décide de « slaviser » ces régions, si l'on en croit
Jules Verne, les slaves livoniens vont être de tout coeur avec les slaves russes, contre la domination germaine. Dans ce roman, d'ailleurs, les allemands sont tous antipathiques et les russes tout le contraire ! Et si vous vous demandez pourquoi, sachez que
Jules Verne publie
Un Drame en Livonie en 1905 mais l'écrit en 1894, peu après la signature du pacte Franco-Russe (de 1892 à 1917) qui unit la Russie et la France autour d'une promesse d'assistance mutuelle en cas d'agression de l'Empire allemand et austro-hongrois. Voilà pour les méchants allemands !
Un drame en Livonie commence comme un grand roman d'aventure où le héros enveloppé de mystère traverse des pays enneigés, des lacs gelés, brave des tempêtes, s'arrache aux crocs des loups affamés, se cache des soldats qui le poursuivent le jour et l'obligent à marcher de nuit. Il franchit la frontière de Livonie, son pays, mais il ne pourra y trouver aucun refuge. On sait qu'il s'est échappé des mines de Sibérie et qu'il veut gagner la Baltique pour pouvoir fuir en bateau à Revel ou à Pernau.
D'un autre côté, à Riga, chez les Nicolef, une famille modeste, une jeune fille, Ilka, attend son fiancé, Vladimir Yanof, depuis des années. Celui-ci a été déporté en Sibérie par le tsar pour des raisons politiques. Ils ont promis de s'attendre. Son père Dimitri est professeur. Elle a un frère, Jean, qui fait des études à l'université de Dorpat. Un jour, son père part en voyage en secret. Pendant ce temps, un horrible crime a lieu dans une auberge sordide, nommée le kabak de la Croix-rompue. Un employé de banque est assassiné et l'argent qu'il transportait disparaît. On accuse un voyageur mystérieux dont la chambre jouxte la sienne. Une enquête a lieu. L'on découvre qu'il s'agit de Dimitri Nicolef et que celui-ci ne semble pas vouloir ou pouvoir se défendre. Ainsi, il refuse de dire quelle était sa destination. Mais ses enfants et ses amis ont foi en son innocence.
Ici, la trame policière prend une tournure très sombre car le roman est aussi politique. Il se trouve que Dimitri Nicolef, Livonien d'origine russe, devait se présenter aux élections contre le banquier Johausen qui est Livonien allemand. Si bien que la population prend fait et cause pour ou contre Dimitri selon qu'elle est allemande ou slave, et non dans un esprit de justice.
Le récit est très plaisant et agréable en suivre, l'intrigue policière fait frémir, et le kabak de la Croix-rompue n'a rien à envier à l'auberge rouge, avec un petit côté désuet que j'aime beaucoup même si le lecteur actuel anticipe et éprouve moins de surprise, je suppose, que le lecteur de l'époque ! Encore que… ! L'action est rondement menée !
Mais le ton se fait de plus en plus grave et la narration n'est pas exempte de drames et de souffrances. S'agit-il d'une horrible erreur judiciaire ou Dimitri est-il coupable ? A Riga, la maison des Nicolef est prise d'assaut par la foule qui veut le lyncher. Les affrontements entre allemands et russes entretiennent une tension énorme partout et dans l'université de Jean Nicolef, la violence entre étudiants des deux camps est toujours prête à éclater.
Jules Verne en profite pour égratigner, malgré ses prises de position pro-russes, la justice du Tsar qui supprime la peine de mort pour les criminels mais pas pour les opposants politiques. de plus, Il condamne les pratiques barbares de ce pays qui soumet les condamnés à la torture. Il analyse la société de la Livonie en soulignant les inégalités sociales, tout en passant un peu la brosse à reluire en faveur de l'administration russe qui remédiera, suggère-t-il, à ces injustices ! Bref ! il attaque et ménage en même temps le pouvoir du tsar. Il est prudent, ce qui ne l'empêche pas de s'insurger contre la misère des paysans dans un plaidoyer pour ces malheureux.
J'ai aimé aussi découvrir la Livonie, ses paysages (oui, je sais dès qu'on parle neige, lac gelé, embâcle, loups, je m'y crois ! ) et ses villes Riga, Dorpat, Revel, sous la plume de
Jules Verne. J'irai bien me balader par là-bas… mais pas au kabak de la Croix-rompue !
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