Compte rendu critique
ANIMAL BLUES - éditions La Pt'ite Hélène, auteure
Chantal VIDIL.
Un recueil de nouvelles consacré aux bêtes. Il fallait oser. Que l'ouvrage, d'une qualité littéraire affirmée, ait trouvé un éditeur, est le signe d'un frémissement. Quelque chose bouge au pays de Colette. On connaissait les essais sur la question animale publiés ces toutes dernières années, et leurs échos médiatiques portés sur la place publique, interpellant le lecteur, peu habitué à une réflexion dérangeante dans ce domaine. Les débats font rage, les vegans et autres végétariens oscillent sur le baromètre entre la récup « tendance » et le rejet vitriolé de tous ceux qui n'entendent pas changer leurs manières de voir et de penser.
Et pourtant, « Rien ne peut arrêter une idée quand son heure est venue ». On prête ce propos à
Victor Hugo. Tiens, le recueil s'ouvre justement sur une citation du grand homme, évoquant l'enfer des bêtes. On y est donc. La première nouvelle « Trop mignon », règle son compte à la prétendue innocence de l'enfance, sur un arrière-fond d'ennui et d'instabilité familiale . À hauteur du petit d'homme, il ne fait pas bon être un poisson ou un insecte, fût-il papillon. C'est le règne de son bon plaisir, et personne autour de lui n'y trouve à redire. La seconde nouvelle, « Bovine Miserere » est une plongée horrifique dans l'univers des abattoirs et du transport du bétail, à hauteur d'animal cette fois. La violence des images portée par une écriture tendue est un électrochoc, un poing à l'estomac. On frissonne de dégoût et de terreur en suivant la Blonde d'Aquitaine jusqu'au bout de l'enfer. On entend la colère de l'auteure dans son exhortation à écouter « la nuit, aux heures d'épouvante » les clameurs des bêtes suppliciées. La troisième nouvelle « Transgression », s'ouvre sur un moment de grâce, celle de la rencontre entre un tigre et une jeune indienne. Les pages évocatrices de leurs échanges « leur contemplation muette, leur double présence réverbérée », ont la délicatesse et la flamboyance des instants arrachés au temps. Mais tout cela finit mal, à rebours des contes de fées. Puisqu'on parle de conte, « La nuit aux yeux de chat » ne déparerait pas dans un conte de Grimm, avec la méchante sorcière surgie au creux de la nuit. Malgré son infirmité (elle est cul-de-jatte), elle n'inspire aucune compassion tant son handicap génère en elle de haine et de cruauté. Traquer et faucher plus petit qu'elle constitue un exutoire à la mesure de son désespoir. Au vrai, quelque chose me dit que ce récit tordu relève d'une histoire vécue. « La pie volée » pourrait bien relever aussi d'un souvenir d'enfance, au coeur d'un village bourguignon qui voyait passer les bêtes, le soir, après la pâture. Une pie apprivoisée, joyeuse et trop confiante, connaîtra un sort tragique qui hante encore celle qui en est l'auteur involontaire. L'occasion d'évoquer de façon saisissante la vie d'un village d'une époque pas si lointaine. Avec « Les gazelles de Frison », nous voici plongés en plein coeur du Sahara à la recherche d'horizons infinis, de nuits peuplées d'étoiles, mais où la chasse à la gazelle va s'inviter de manière brutale et transgressive. Un récit mouvementé et poétique, avec, au passage, une fine analyse de la situation précaire des derniers nomades. Riche en surprises, cette histoire, pour une fois, finit bien. « Vertigo », c'est le retour à la vie parisienne, dans l'univers d'un couple de « bobos » qui se disputent, au moment de solder leurs comptes, la possession d'une petite femelle Gibbon, ramenée de Thaïlande. Kali, c'est son nom, fera les frais de cette séparation, mais à la fin, ce n'est pas elle qui paiera le tribut le plus lourd… La dernière nouvelle, « de sang et de fureur » s'inscrit dans un registre très différent, on entre dans l'univers du fantastique. Impossible de raconter l'histoire sans déflorer un suspens qui met à mal une enquête policière chargée de résoudre des meurtres incompréhensibles. Cette dernière nouvelle sonne comme un avertissement aux prédateurs que nous sommes.
L'écriture de l'auteure colle étroitement à chaque type de récit, et se déploie dans des registres très divers, sans que jamais elle ne perde en intensité.
Un recueil de nouvelles fortes où la cause animale est défendue avec un élan et une conviction qui devraient trouveront un écho parmi les lecteurs.