Citations sur Un soir de décembre (172)
J'ai passé dix ans de ma vie à t'attendre. C'est vertigineux. Je sais aujourd'hui que l'attente creuse, mais qu'elle comble aussi. L'attente ouvre une brèche par laquelle les jours viennent s'engouffrer, semblables et tranquilles, par laquelle le temps s'accumule, s'amalgame, et forme peu à peu une boule compacte, sans aspérités, qui remplit l'espace.
Nous avons tous une histoire à raconter. Quelque chose dont il faudrait réussir à se débarrasser, pour avancer.
C'était donc ça être adulte, cet abandon.
Elise vient de se réveiller, cheveux épars, yeux gonflés par le sommeil. Il est onze heures. Depuis combien de temps est-il assis là, à se rejouer l'histoire? Elise le regarde, indécise, ses orteils sur le carrelage, il devine son corps dans la transparence du tissu.
Elise est entrée dans la salle de bain, elle a laissé tombé à ses orteils le peignoir en satin qu'il lui a offert l'année dernière, elle s'est glissée dans la douche sans dire un mot. A travers le rideau, il distingue sa silhouette, la caresse du savon qu'elle fait descendre le long de son corps. Il reste là. Près d'elle.
Pieds nus sur la moquette, il se faufile entre les meubles, contourne les obstacles, cherche un endroit où déposer sa peur. Assis par terre, immobile, recroquevillé sur le silence, il guette la fuite des heures. Plus tard, il retourne dans la chambre et se glisse sous les draps. Il se colle contre Elise, elle soupire dans le sommeil.
C’est l’histoire d’une femme qui traine dans les bars à la recherche d’un homme qu’elle a perdu trop tôt. Ce n’est pas tout à fait lui qu’elle cherche, c’est plutôt le souvenir de lui, le souvenir d’avant lui.
C’est l’histoire d’une femme qui écrit à un homme (…), une femme sans contour, venue de nulle part, qu’il a peut-être oubliée, qui, peu à peu, se dessine, refait surface, cherche de l’air. Un air plus doux, apaisé.
J'entretiens des relations dépourvue de contenu , privées de sens, j'écoute et je n'ai rien d'autre à offrir que l'écho feutré de mon silence.
J'ai cherché d'autres hommes. Je les ai suivis, j'ai mis ma main dans la leur, simplement pour le contact de leur peau. Peu de mots, jamais de confidences. Certains sont restés quelques jours ou quelques nuits. Je n'avais rien à leur dire. Dire, c'eût été demander. Je n'avais rien à demander. Ou bien j'avais tant à demander que tous les mots du dictionnaire n'y auraient pas suffi. A toi non plus je n'ai jamais rien dit reste, reviens, ne pars pas. Nous étions dans un espace clos, sans perspective, un point de chute coupé du monde et régi par la mécanique du vide.
Matthieu reste là, incrédule sous le néon, prenant apui sur le lavabo, incapable de se détacher de sa propre image. Il a besoin d'un peu de temps pour s'habituer. Il a vieilli, bien au-delà de ce qu'il imaginait. Son visage s'est affaissé, les rides ont creusé leur lit, nettes et précises. Il croyait que sa myopie n'opérait qu'au-delà d'une certaine distance. Quand chaque matin il observait son reflet dans la glace, il croyait y trouver son vrai visage.Mais quelques dizaines de centimètres suffisaient à altérer sa vision et pendant toutes ces années, dans le miroir, c'est un autre qu'il a vu.