Citations sur Les métamorphoses du gras : Histoire de l'obésité du Moyen .. (43)
Deux grosseurs existeraient ainsi dans les repères anciens : l’une, pourvoyeuse de formes, de forces, faite de chairs denses, sinon de vivacité ; l’autre extrême, mais non chiffrée, étouffant la « chaleur vitale » par ses irrémédiables excès. La première serait signe d’opulence, la seconde de débilité. […]
Des ambiguïtés demeurent toutefois, nombreuses, où coexistent avec la densité apparente du gros, des volumes plus mous, plus inconsistants, mêlant des liquides improbables aux airs et aux eaux. L’archéologie du gros est aussi celle de ces volumes opaques. Une double équivoque se profile alors, qui accompagnera pour longtemps la vision moderne du gros : la définition confuse des substances, la définition confuse des seuils.
Le « gros » s’impose d’emblée dans l’intuition ancienne. Il impressionne. Il séduit. Il suggère aussi : incarnant l’abondance, désignant la richesse, symbolisant la santé. Signes décisifs dans un univers où règne la faim, sinon la précarité. Ce que montre l’horizon des premiers fabliaux : celui des « gorges gloutes », des ripailles « à grant mesure », des festins à « foison », des plaisirs à « farcir son ventre », des « manger et boire à volonté ».
Il faudra du temps pour que la balance et son appareillage individuel pénètrent, au XXe siècle, les espaces privés : une exigence nouvelle envers l’entretien de soi transforme en évidence la vérification du poids. Cette présence de la balance est devenue aujourd’hui quotidienne, quasi « naturelle », si spontanée, même, qu’elle peut faire oublier combien l’appréciation des lourdeurs a pu se développer et s’affiner en dehors du chiffre et du constat. Or c’est cet affinement –faut-il le dire ?-, sa diversification, son individualisation qui sont au cœur d’une histoire du gros.