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Critique de Pasoa


Pasoa
23 septembre 2018
"D'où vient ta passion pour la disparition ?". C'est en se promenant dans l'Allée du bout du monde, tout près du château de Montaigne que l'auteur reçoit de son accompagnateur (ou bien n'est-ce pas plutôt de sa conscience?) cette question maladroite et inattendue.
C'est que dans beaucoup de ses articles et de ses interviews, le thème de la disparition chez Enrique Vila-Matas est récurrent. Hésitant, il esquisse un début de réponse: "Eh bien, je ne sais pas, ai-je fini par répondre (…). Je soupçonne, cette passion de la disparition, toutes ces tentatives, appelons-les suicidaires, d'être paradoxalement des essais d'affirmation de moi."

"Fortis imaginato generat casum"* soit: une forte imagination engendre l'événement.
Voici ce qu'il advint :

Le narrateur (Enrique Vila-Matas lui-même) a imaginé qu'il montait dans un train à la gare d'Atocha de Madrid, qu'il se rendait en Andalousie y retrouver son ami écrivain Bernardo Atxaga pour y assister à un colloque à la Chartreuse de Séville. Mais c'est dans le 7ème arrondissement de Paris, dans un hôtel de la Rue Vaneau qu'il se retrouve.
C'est avec vue sur les jardins de l'Hôtel Matignon, retranché dans sa chambre, sortant très peu, ne donnant aucun signe de vie, c'est avec la vue sur les jardins de l'Hôtel Matignon qu'il organise sa disparition. Celle-ci n'aura aucun retentissement auprès de ses proches (il est divorcé et a perdu tragiquement sa fille unique), auprès du milieu littéraire et médiatique. En somme, personne ne pense à lui.
Par dépit ou poursuivant le chemin de sa pensée, il imagine et élabore ce que sera sa nouvelle identité. Il deviendra Andrés Pasavento, docteur en psychiatrie.

Personnage sans passé et sans histoire, créé dans les plis de la conscience et de l'imaginaire, ce personnage pourtant bien réel puisqu'il se fera désormais appelé ainsi, voyage, part à la rencontre de quelques-uns de ses éminents confrères devenant pour son besoin encore Docteur Ingravallo ou Docteur Pynchon.

Mais le vrai second personnage de ce roman se nomme Robert Walser.
Romancier et poète suisse (1878-1956), auteur d'une oeuvre remarquable dont "L'Institut Benjamenta", il fut interné durant les trente dernières années de sa vie à la clinique psychiatrique de la Waldau à Berne puis à celle d'Herisau (près de Saint-Gall). Il influença toute une génération d'écrivains (Franz Kafka, Robert Musil,...).
C'est sur sa mémoire que va se déployer le roman.

Le Docteur Pasavento (Enrique Vila-Matas) voue pour l'écrivain suisse une grande admiration : "J'aime chez Walser son ironie secrète et son intuition prématurée (…), la situation d'impuissance absolue de l'individu face à la machine dévastatrice du pouvoir. J'aime, par ailleurs, chez Walser, son héroïque désir de se libérer de la conscience, de Dieu, de la pensée, de lui-même".

Cette fascination va devenir pour le narrateur l'objet d'une quête, d'une enquête, un essai romancé sur la pensée, sur la vie de l'auteur perdu. Robert Walser est comme l'objet, comme le reflet dans un miroir où aime se retrouver le Docteur Pasavento (Enrique Vila-Matas).


Dans Docteur Pasavento Enrique Vila-Matas décrit une des "pathologies" de l'écriture (pas la moindre), celle du refuge dans la fiction, dans ses pouvoirs, face à la difficulté d'exister par et pour soi-même dans la réalité. Avec ironie et humour, avec une certaine gravité aussi et une belle érudition (je pense aux nombreux passages sur Emmanuel Bove, Franz Kafka, etc.), l'écrivain fait se confondre sa réalité, l'acte d'écrire et le mouvement de l'imaginaire.

Une écriture fascinante, troublante qui a tout à voir avec le plaisir de la lecture.

(*) MontaigneLes Essais - Livre 1- Chapitre 21 de la force de l'imagination

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