Je me souviens que, lorsque j'arrivais à me sentir optimiste, je soupçonnais l'optimisme d'être, lui aussi, une maladie. (page 326)
J'ai pensé aussi au livre sur Gérard de Nerval que j'étais en train de lire et je me suis remémoré une citation émouvante : "Je n'ai jamais vu ma mère. Ses portraits ont été perdus ou volés ; je sais seulement qu'elle ressemblait à une gravure du temps, d'après Prud'hon ou Fragonard, qu'on appelait La Modestie." (page 277, La Modestie)
Je me souviens d'avoir toujours pensé que la vie n'existe pas en soi, parce que si on ne l'a raconte pas, on n'en fait pas le récit, cette vie est simplement quelque chose qui s'écoule, mais rien de plus. Pour la comprendre, il faut la raconter, ne serait-ce qu'à soi-même
Ce qui ne signifie pas que la narration permette une compréhension en bonne et due forme car il reste toujours des vides qu'elle ne comble pas en dépit des sutures ou des reprises qu'elle s'efforce d'appliquer. C'est pourquoi la narration ne restitue la vie que par fragments. (page 263) Souvenirs inventés, 1994.
Je me suis dit qu’en fait cette tension entre littérature et vie avait été dès le départ, à partir de Cervantès, le type de débat développé par le roman. Ce qu’on appelle roman est en fait ce débat.
..... j’ai entendu l’écrivain italien Antonio Tabucchi dire que, dans une certaine mesure, la littérature est comme le message de la bouteille (ou les messages de ce panneau de taverne) car elle aussi dépend d’un récepteur ; en effet, comme nous savons que quelqu’un, une personne indéterminée, lira notre message de naufragé, nous savons que quelqu’un lira notre écrit littéraire, quelqu’un qui, plus que destinataire, sera complice dans la mesure où ce sera forcément cette personne qui conférera un sens à l’écrit. Ce qui permet à chaque message d’avoir toujours des rajouts, de nouvelles significations, de croître, d’entrer en résonance. Et c’est précisément ce que la littérature a d’étrange et de fascinant : ne pas être un organisme statique, mais quelque chose qui, à chaque lecture, est sujet à des mutations, se modifie constamment.
(Souvenirs inventés )
.....c’est ce qui, très souvent, nous arrive aussi quand nous tirons des conclusions : nous cherchons au loin des causes qui sont en général tout près, en nous-mêmes.
En tournant à un autre coin de rue et en me faisant fouetter plus violemment que jamais par le vent, je constatai quelque chose que je soupçonnais depuis longtemps. Nous sommes trop semblables à nous-mêmes, et nous courons le risque de finir par trop nous ressembler. À mesure qu’on avance dans la vie, les mêmes manies, le même personnage insignifiant se figent.
Je ne sais pas très bien ce qui m’attend, mais j’y vais en riant.
Stubb, dans Moby Dick.
On dit souvent que la littérature jouit d'un avantage évident par rapport à ce qu'on vit : on peut revenir en arrière et corriger.
Il existe un but, mais pas de chemin. Ce que nous appelons chemin, ce sont nos hésitations.