Citations sur Nous sommes l'étincelle (93)
Tu sais, on dit que quitter l'enfance, c'est perdre ses utopies... Devenir raisonnable. Moi, je crois que c'est l'inverse. C'est plutôt les choisir.
L'allumette a laissé une auréole à peine brunie sur la première page.
Est-ce cela qui reste à la fin ? Un souvenir, le souvenir de la lumière ? et une brûlure ?
Depuis que l'être humain nomme "intelligents" des voitures, des téléphones, des villes, il semble que l'intelligence se soit retirée du monde.
Est-ce cela qu’il vont faire ? Se retrancher ?
Se soustraire ? Refuser le combat ? Disparaître ?
Se retirer, alors que cela demande tant d’efforts d’être au monde, simplement ?
Est-ce lâcheté ? Fuite ?
Est-ce que ça demande encore plus de courage ?
Car si la vague échouait contre la digue, que ferions-nous ? Nous résigner ensuite ?
Et si la lame emportait finalement la digue, que ferions-nous ?
Sur vos ruines fumantes, que ferions- nous ? Dans l’ivresse de la tabula rasa ? Une nouvelle digue ? Contre les suivants ?
Ne comptez pas sur nous.
C’était l’UniverCity Stendhal, une des trois villes-campus-pi- lotes créées en 2026, comme une réponse absurde aux désordres suscités par des jeunes gens revendicatifs et pressés d’en découdre.
Ville-containers : des milliers de « caisses d’acier parallélépi- pédiques polyvalentes » avaient échoué ici, vraiment très loin de leur océan, détournées par leurs amateurs de leur fonc- tion initiale. On avait converti les containers autrefois bourrés ras la gueule de produits manu- facturés par l’obsolescence en « logements individuels » inso- norisés, isolés, équipés, on les avait empilés quatre à quatre, et ils constituaient ces perspectives mornes d’immeubles le long des
rues larges, orthogonales, sur quatre mille hectares de pâtures enclavées dans la plaine de M., à cinquante kilomètres au Nord- Ouest de Grenoble.
Elle sait ce qui se trame avant tout le monde. La Houle le lui a dit : Ce soir, on s’en va. Elle sait qu’ils n’ont pas le choix. Partir. Ses parents ont fait ça, plusieurs fois, ils ont franchi des déserts, traversé une mer, un tombeau, sur un esquif fragile, ils sont morts de soif, de faim, plusieurs fois, ont continué – ses frères se sont glissés dans des trains d’atterrissage – ses amis sont partis – pour venir. Ici. Sans savoir. Et c’est son tour. Partir, pour des rêves. Conquérir. Autre chose. Aller décrocher la lune.
Une toute jeune fille pêche au harpon, debout dans la rivière. La lumière du jour pénètre à cet endroit – trouée rare dans la canopée -, descend sur elle et l’illumine. Une cascade de cheveux très blonds, d’une blondeur irréelle même dans ce soleil, coule sur ses épaules nues. Les frondaisons de la forêt, entre elle et le ciel, mouchettent d’ombres légères son dos, un de ses bras et la surface tremblante. La forêt est immense, infinie autour d’elle.
Quand les tensions entre générations deviennent trop fortes, des groupes d’adolescents choisissent de rompre définitivement. Mais créer une société alternative est-il possible ? C’était il y a longtemps. Avant qu’on interdise la Forêt, avant les braconniers, les cannibales, les commandos… En 2025. Antigone et Xavier, puis Paul, Jay, La Houle avaient vingt ans. Ils sont partis dans la Forêt. Ils ont cru à ce rêve, à cette révolution. Comme des milliers d’autres. Et maintenant, trente-six ans plus tard, parmi les arbres, il en reste seulement quelques-uns. Des survivants.Presque des enfants.
Elle a les yeux clairs,
les yeux gris comme ceux de sa grand-mère;
comme les galets sur le lit, au fond de la rivière, que frôlent des truites vives aux ouïes affolées;
comme le plomb fondu dans le creuset, la colère;
comme le ciel juste après l'orage, quand il se lave de la pluie et que le sol fume.