Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé
La grâce, c'est ce qui caractérise l'écriture d'
Angélique Villeneuve. Une nouvelle fois, elle enveloppe ses lecteurs de ses mots à la poésie ténue qui a la légèreté des fils d'une toile d'araignée tissée avec savoir et patience.
C'est ainsi que nous sommes à hauteur de cette petite fille, Henni.
« Henni et la peur de rien. Ça n'est pas un mensonge mais pas une vérité non plus. »
L'incipit cloue le lecteur sur place, par la violence insidieuse de l'indicible, une petite fille fuit et elle a charge « d'âmes ».
Dans cette fuite éperdue, Henni convoque tout ce qui a fait son quotidien avant la déflagration de l'inhumanité.
Tous ces fragments de vie sont autant d'éclats d'obus qui déchirent notre chair.
Le biais par lequel nous découvrons cette jeune vie fait penser aux contes, ceux qui nous faisaient peur et pleurer.
Henni est une petite fille sage et laborieuse au sein d'une famille qui vit en dehors du village, on sait d'instinct qu'ils sont parqués là, à l'écart.
Comme tout enfant que la vie malmène Henni est adulte avant l'âge, elle apprend vite tout ce qui peut améliorer la vie de sa famille, pas un instant d'innocence, d'insouciance.
Tout est menace.
« Elle apprécie plus que tout l'heure où dans la maison les choses se rencoquillent dans le ronron du silence. »
Après l'intrusion, Henni reconstitue par fragments tout le précieux de sa jeune vie, sa famille.
Avec elle, nous respirons cet air dense, nous entendons ces chuchotements qui n'annoncent rien de bon, nous enregistrons les regards sombres, les mines angoissées des adultes, la tension qui règne sur la communauté dont elle fait partie, cette chappe de plomb qui dit que l'horreur resurgit. L'Histoire, celle que les hommes font, n'apprend rien du passé.
Un livre au coeur de l'actualité qui montre l'urgence à réagir. Il n'y a aucune justification aux actes de barbarie, aucune.
Pas de lieu précis, de date, juste quelque part dans le vaste monde. Chaque jour nous voyons que la bête immonde est là.
Certains mots ne sont pas prononcés cette absence fait sonner clair les noms des pourchassés, témoins de vie.
Penser au ressenti de cette petite fille symbole de l'indicible :
« On n'est plus qu'une fille qui s'appelle Henni et on ne sait pas exactement ce que ça veut dire, comment on va s'en sortir avec ça puisqu'on n'a rien d'autre.
Il y a le voile à l'intérieur du crâne qui empêche de penser, et qui gêne, et qui pèse. »
Ne pas s'habituer à la barbarie et se sentir tous concernés, un voeu pieu ?
Merci Masse Critique Babelio et les éditions le Passage pour ce privilège de lecture.
©Chantal Lafon