Citations sur Des Anges Mineurs (42)
Les soirs de tristesse, je me replie devant un morceau de fenêtre. Le miroir est imparfait, il me renvoie une image assombrie qu’un peu de saumure trouble encore. Je nettoie la vitre, mes yeux. Je vois ma tête, cette boule approximative, ce masque que la survie a rendu cartonneux, avec une houppe de cheveux qui a survécu, elle aussi, on se demande pourquoi. Je ne supporte plus guère de me regarder en face. Alors je me tourne vers des détails qui se situent dans le noir de la chambre : les meubles, le fauteuil sur quoi j’ai passé l’après-midi à attendre en songeant à toi, la valise qui me sert d’armoire, les sacs qui pendent au mur, les bougies. En été, il arrive que l’obscurité du dehors soit transparente.
Elle se redressa, elle décroquevilla sous la lune sa forme jusque-là blottie dans les touffes de ginseng et de boudargane. Je vis émerger en haut d’un monticule son misérable manteau de marmotte, dont, à contre-obscurité, il n’était guère possible de détailler les nombreux rapiéçages et les enjolivures vermillon et les slogans magiques en ouïgour, et j’aperçus sa tête minuscule, comme lyophilisée par la vieillesse, cette petite masse de cuir granuleux et chauve dont la partie inférieure reflétait les étoiles quand des mots s’en échappaient, car elle était renforcée par un dentier de fer.
Le blizzard gémissait jour et nuit. Sa plainte rendait fou. Les volets claquaient ; ceux qui sortirent de la maison pour les attacher ne revinrent pas.
Inutile de se cacher la vérité. Je ne réagis plus comme avant. Maintenant, je pleure mal. Quelque chose a changé en moi autant qu’ailleurs. Les rues se sont vidées, il n’y a presque plus personne dans les villes, et encore moins dans les campagnes, les forêts. Le ciel s’est éclairci, mais il reste terne. La pestilence des grands charniers a été lavée par plusieurs années de vent ininterrompu. Certains spectacles m’affligent encore. D’autres, non. Certaines morts. D’autres, non. J’ai l’air d’être au bord du sanglot, mais rien ne vient. Il faut que j’aille chez le régleur de larmes.
(incipit)
Au contraire de ce que j’avais un moment imaginé, Robby Malioutine n’était pas cannibale, et, assez rapidement, je pus avoir l’assurance qu’il n’était pas non plus un nouveau riche, ni un partisan des nouveaux riches et du capitalisme. C’était donc un homme fréquentable.
Sur la berge orientale du lac on doit couper à travers une zone en débris, sans végétation, avant d'entrer dans un quartier où vit un chamane qui est connu pour préparer des onguents avec lesquels il réveille les écureuils morts et fait renaître les loutres. Une fois qu'il les a ressuscités, il les mange.
Méfiant quant à la nature du réel qu’on l’obligeait à parcourir, il défendait l’intégrité de ses espaces oniriques en y plaçant des pièges destinés aux indésirables, des glus métaphysiques, des nasses.
Avec force je rejetterai comme sans fondement l'hypothèse de la mort.
Les humains étaient à présent des particules raréfiées qui ne se heurtaient guère. Ils tâtonnaient sans conviction dans leur crépuscule, incapables de faire le tri entre leur propre malheur individuel et le naufrage de la collectivité, comme moi ne voyant plus la différence entre réel et imaginaire, confondant les maux dus aux séquelles de l'antique système capitaliste et les dérives causées par le non-fonctionnement du système non capitaliste
Sept heures du matin venaient de sonner. Dans la cuisine persistait la sérénité des heures nocturnes, quand il ne se passe rien, que les vivants sommeillent, que les choses se dégradent et rancissent loin de toute lumière, dans un silence que seuls troublent le moteur du vieux frigo et ses pénibles extinctions bringuebaleuses.