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Critique de Quarto


— La curiosité est un bien beau défaut —

« L'étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance. »

Curieux livre. Tous propos sur les livres d'Antoine Volodine (et de ses avatars) pourraient, devraient débuter par cet avertissement circonspect qui invite à l'étonnement. J'ai eu du mal à entrer dans celui-ci, séquencé en 49 courts chapitres qui le rendent plus digeste — et en ce sens plus accessible — que des oeuvres de plus grande ampleur (Terminus radieux pour ma part), mais aussi moins immersif.

Qui sont les personnages dont nous sont donnés des instantanés, dont les rappels à d'autres chapitres exigent une sacrée mémoire ou de revenir en arrière pour repérer la trace, chercher des liens ?
De quel(s) monde(s) est-il question(s) ? Tantôt l'univers post-exotique cher à Volodine, son ambiance russo-asiate, avec ses patronymes, ses rites chamaniques, la nostalgie des camps, d'un paradigme concentrationnaire popote sous la surveillance bienveillante des miradors… Et tantôt la plongée, l'exploration, l'immersion pour quelques minutes des personnages dans un monde plus proche du nôtre…

On s'y perd, c'est sûr. Puis une présence centrale, une entité, un personnage se dessine dans une position rayonnante et ordonne confusément l'ensemble, rappelle au lecteur le texte ouvrant le roman, précédant les 49 « narrats », 49 instantanés romanesques titrés du nom des anges mineurs qui ont traversé la mémoire du locuteur, locuteur qui peut-être aussi bien l'auteur nommé Volodine que l'entité centrale évoquée, et qui appelle narrat « une séquence poétique à partir de quoi toute rêverie est possible, pour les interprètes de l'action comme pour les lecteurs. »

Confusément, et précisément parce que rien n'est clair, tranché : on erre entre onirisme et réalisme, entre les mondes, ni vivant ni mort ou les deux à la fois. le personnage (l'entité centrale) est vieux de 48 d'existence et de cent milliards d'années de mort.

[A ce sujet, je digresse — un peu ou pas du tout — pour dire mon impression de lecture, proche de celle des Détectives sauvages de Bolano, l'impression d'être en visite, bienvenu dans un monde qui existe indépendamment du livre, qui a commencé bien avant et se finira, s'il se doit finir, bien après ma lecture. Serait-ce cela le post-exotisme, un tourisme étrange dans un ailleurs qui n'est nulle part, si ce n'est où nous mène la prodigalité de l'auteur ?]

« Car il s'agit aussi [les narrats] de minuscules territoires d'exil sur quoi continuent d'exister vaille que vaille ceux dont je me souviens et ceux que j'aime. »

Qui est donc le locuteur ? Il « pétrit » sa prose pour lui-même, pour nous et pour la bande de vieilles révolutionnaires et chamanes tricentenaires, ex-pensionnaires de la maison de retraite du Blé-Moucheté où des « vétérinaires avaient parqué des vieilles femmes qui ne mourraient pas, qui ne se modifiaient pas et qu'on ne pouvait pas manger. »

D'une boule de chiffons et d'incantations elles ont donné vie à un petit-fils pour sauver l'humanité raréfiée et comme en léthargie : Will Scheidmann.
Pas de bol, maladresse, impuissance, il a rétabli le capitalisme, l'exploitation de l'homme par l'homme et ses mafias.
Depuis elles n'ont de cesse de le fusiller, avant de céder au pouvoir émollient de ses narrats.

« Il avait été établi que les narrats étranges qui s'échappaient de la bouche de Scheidmann colmataient les brèches dans les mémoires ; même si, plutôt que des souvenirs concrets, ils remuaient des rêves ou des cauchemars qu'elles avaient faits. »

Le temps entropique mue Will Scheidmann en une boule, une meule de goémon sur laquelle sèche un crâne, sorte de mascotte Cetelem organique dont à défaut de narrat on mordille les lambeaux de chair. Beurk.

Will Scheidmann c'est aussi Yasar Dondog ; Fred Zenfl probablement, le dernier écrivain et ses murmurats dont les livres sont « construits sur ce qui reste quand il ne reste rien. » Fred Zenfl, référence intermédiaire entre Volodine et Scheidmann qui sont plus ou moins, plus et moins l'un l'autre.

Je est un autre — et vice versa. À moi seul bien des personnages ! (je paraphrase un titre de John Irving.)

« J'ai dit ce nom pour qu'on ne pense pas que je parle toujours de moi, et jamais des autres. Mais c'était moi. »
Va-t'en savoir ! « Et toi, dit-il soudain avec violence, de nous deux tu es lequel ? »

Dans une humanité, un monde en voie d'extinction : « On touchait déjà à une époque de l'histoire humaine où non seulement l'espèce s'éteignait, mais où même la signification des mots était en passe de disparaître. »

Qui renaîtra peut-être de « la poche ventrale » de la nièce du dernier mafieux éventré, comme du dernier roi pendu avec les boyaux du dernier curé, « une fille déjà baptisée Rim Scheidmann et qui rétablirait l'ordre, les camps et la fraternité sur terre. »

Pas mieux.De toute façon les masses ne sont jamais au rendez-vous.

En attendant ce jour hypothétique, on lira « le roman de Fred Zenfl que je préfère, il a été écrit pendant qu'une locomotive dépeçait et traînait son corps, c'est un roman assez amusant et varié pour plaire à toutes et à tous, lisez-le, lisez au moins celui-là et aimez-le. »

Publié récemment, Vivre dans le feu est annoncé comme l'avant-dernière pierre de l'édifice post-exotique. Il en comptera in fine 49, comme les narrats de nos Anges mineurs, nous laissant une basilique construite en poupée russe.


P.-S. : Après lecture des excellentes recensions qui m'ont précédé, je découvre notamment grâce à celle de Weirdaholic l'organisation en miroir des 49 chapitres (le régleur de larmes au début et à la fin aurait dû me mettre la puce à l'oreille).
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