Citations sur Conquistadors (68)
Mais peut-il y avoir trop d’or ? [...]
Il se passa alors quelque chose de formidable et qui est sans exemple dans le passé. Tant il y avait d’or autour d’eux, sur la table que fouettaient les cartes, sur le sol, derrière eux, entassé, ou encore dans leur poche, à leur chemise, partout, qu’ils éprouvèrent une sorte d’écoeurement. Il y eut une épidémie de dégoût. Un soldat misa un soleil d’or arraché au temple, pièce unique, d’une valeur inestimable, contre deux bouteilles de vin. Il perdit. Le soleil échut à quelqu’un d’autre et le soldat n’en montra nul dépit. L’or s’avilissait.
pp. 246-47
Pourtant les ancêtres de ce cheval faisaient à peine la taille d'un chien. Ils roulaient leur ventre dans l'herbe et vivaient sur toute la surface du globe. C'est seulement par une terrible malchance que le dernier venu de cette famille - celui-là même qui porte Moguer sur son dos -, adapté à la course, à l'attelage, à la fois rapide, robuste, capable de transporter de lourdes charges, proliférera en Asie mais disparaîtra d'Amérique. Il sera chassé dans les vallées de la Dordogne, domestiqué en Ukraine, dressé à Sumer. Et il parcourra le monde, traçant ses chemins dans la boue, portant l'homme très loin, telle une autre partie du corps qui aurait quatre jambes et serait haute et belle. Mais le plus souvent, ce n'est ni la paix ni l'amour qu'il annonce, c'est la guerre ! (p. 121)
Les conquistadors descendaient vers le sud et suivaient la route inverse des trois Créateurs qui avaient fait sortir de terre les ancêtres des peuples; eux, les Créateurs, ils avaient fait surgir les peuples des sources, des grottes et des rochers. Ils dirent aux ronces de verdir et elles verdirent, aux nids de tiédir et les plumes devinrent tièdes ; et ils nommèrent les arbres et les plantes, leur apprenant à fleurir et à avoir des fruits. Puis une fois parvenus à l'océan, ils marchèrent sur les eaux, comme le Christ à Tibériade, et disparurent à l'horizon (p. 55)
La terre avait été partagée entre les fils de Noé. L'un avait eu l'Europe, l'autre l'Asie, l'autre l'Afrique. La tiare triangulaire des papes symbolisait ceci : le partage antique du monde. L'Amérique ajouta une quatrième part, gratuite, si l'on peut dire. Qu'allait-on en faire ?
[...] Ils avaient dit : Portugal et Espagne, mais personne d'autre ! Alors la France, l'Angleterre, n'ayant pas bénéficié de la bulle Aeterni regis, ni de l'amendement qui accorda à l'Espagne toutes les terres situées à l'ouest d'un méridien passant par le 38è de longitude ouest, ni encore de celui qui reporta cette ligne imaginaire au 46 è degré 37 ouest, et qui permit au Portugal de revendiquer le Brésil, eh bien la France et l'Angleterre mirent un anneau à l'oreille de certains marins et leur dirent : Allez sur l'océan pêcher non plus la sardine mais les navires d'Espagne mais les navires d'Espagne dont le ventre est plein d'or ; et puis revenez m'en donner une part et je vous tiendrai pour innocent de vos crimes. (p. 196)
[...] et Pizarre parlait encore. Mais qu'il parle de lui, de sa traversée de l'océan ou des traditions de l'Espagne, à un moment donné de la discussion, tout ou presque se rapportait mystérieusement à l'or ou à la guerre. Tout y revenait, tout ce qu'il pouvait dire y retournait à un moment ou à un autre. Le premier jour , Dieu avait séparé la lumière des ténèbres et il avait nommé la lumière or et les ténèbres fer. Il n'y avait pas eu de second jour. (p. 131)
Alors les métaux précieux afflueront en Espagne, fontaine d'or et d'argent . Ils ne stimuleront pas l'économie, mais ils financeront la guerre.
P. 15
Tout valait à présent six fois, dix fois, cent fois son prix. Seul l'or avait perdait de la valeur. On continuait à ne cueillir que lui, à ne ramasser que ses grappes, et le fait même d'en prendre davantage lui ôtait encore de son prix. C'était l'un des cercles modernes de l'enfer. Plus il y a d'une chose, moins elle vaut. L'abondance est une forme de pénurie. A un vertige de posséder succède un vertige de perdre.
Il se passa alors quelque chose de formidable et qui est sans exemple dans le passé. Tant il y avait d'or autour d'eux, sur les tables que fouettaient les cartes, sur le sol, derrière eux, entassé, ou encore dans leur poche, à leur chemise, partout, qu'ils éprouvèrent une sorte d'écoeurement. Il y eut une épidémie de dégoût. (p. 246)
Mais le réveil s'était produit. L'inca était mort, les Espagnols l'avaient tué. Ils ne tenaient aucune de leurs promesses. Le goût de l'or était celui du sang. Exactement le même. Il n'y avait rien à espérer, il était impossible de les émouvoir ou de les corrompre. (p; 202-203 )
Se sentant isolés au coeur de l'empire, et désormais en possession d'un riche trésor, les Espagnols avaient le cauchemar de tout perdre. Il fallait veiller, se méfier. (p. 143)
NDL : la vieille histoire des voleurs volés mais là certains diront qu'il s'agit d'un trésor de guerre.
Pendant tout l'après-midi, le cortège traversa la lieue et demie qui séparait les bains de Caxamarca. On eût dit que l'Inca allait pénétrer la ville aussi naturellement qu'un fleuve s'écoule et venir s'y faire adorer. La troupe chantait et dansait ; les Espagnols seraient les premiers et les derniers spectateurs d'Europe assistant à ce déploiement de grâce et de puissance. Nul après eux ne pourrait revoir ce culte qu'amoindri, mimé, détruit.