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EAN : 9782330006198
95 pages
Actes Sud (14/03/2012)
3.55/5   248 notes
Résumé :
Regarde ! Ce sont les puissances d'Europe telles que Dieu les a faites et telles que moi j'ai épousseté leurs os et tendu leur peau toute blanche. Elles faisaient bien ce qu'elles voulaient de leurs domestiques et de leurs nègres, eh bien moi, je dispose de leurs grandes carcasses héroïques ; j'en fais ce qui me plaît. Je les ressuscite et je les montre, là, comme des singes de
cirque, grands singes vainqueurs dans un océan de misère.
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Critiques, Analyses et Avis (44) Voir plus Ajouter une critique
3,55

sur 248 notes
Oui, et non.
Oui, porté par une écriture magnifique, une manière de voir l'histoire comme si c'était hier , vue non pas comme une vieille dame, mais comme un impertinent jeune homme , à qui on la fait pas.
L'Europe s'emmerde et a besoin de distraction, nous dit Eric Vuillard au début de son livre « Congo ».
Ce serait drôle, très drôle, cette impertinence, sauf que l'on comprend vite que le sujet n'est pas drôle du tout, il est tragique.
Il s'agit de l'annexion de terres inconnues, au coeur de l'Afrique, par le roi Léopold II de Belgique, à son propre compte.
Pour cela, il rassemble en 1876 une conférence géographique internationale. Les découvreurs du monde avaient été cotisés et financés par la Société géographique anglaise. Cette fois Léopold, nous dit Vuillard, les achète, ces géographes qui risquent leur vie dans les jungles impraticables et les marécages paludéens.
Puis il participe, comme d'autres nations, celles qui s'emmerdent, à la conférence de Bismarck, au palais de Radziwill, le 15 novembre 1884, pour le partage de l'Afrique dont les Européens connaissaient uniquement les côtes, pour la traite , traitée par d'autres de l'intérieur.
Justement, bien tombé, il s'agit d'en finir avec l'esclavage.
Les temps modernes sont arrivés.
Ils seront pire, si l'on peut.
« On n'avait jamais vu ça. On n'avait jamais vu tant d'Etats essayer de se mettre d'accord sur une mauvaise action. »
La conférence finit par tourner autour de ce centre de l'Afrique, l'affaire du roi des Belges. Marchandage sur le blanc de l'inconnu, que l'on imagine en or. Les copropriétaires, dans l'ignorance où ils sont des montagnes, rivières et forêts, écoutent Henry Morton Stanley, leur parler de son expérience du fleuve Congo, de son expérience, tout court, et il les passionne.
Stanley pense que Léopold II veut construire un chemin de fer sur mille six cent kilomètres dans la jungle, ce qui lui permettrait une vaste entreprise commerciale.
Il se trompait.
Le roi veut tout pour lui.
Il ne veut pas seulement un peu de commerce, il veut être propriétaire à lui tout seul, et, pour cela il maquille sa volonté en une oeuvre de bienfaisance, avec missionnaires pour alliés, il fait signer des soi disant accords de vente à des vieillards qui ne savent ni lire ni écrire, et qui signent, pour trois babioles, la vente de leurs terres.
« Tenez ! Signez ! C'est pour le grand polichinelle !vendez pour trois perles votre terre, et votre force de travail pour cinq rouleaux de calicot ! Et les rois signent, et s'ils ne signent pas, on les zigouillent ».

A la fin de la conférence, en 1885, les négociateurs se mettent d'accord sur la lutte contre la traite. « Applaudissements. On lève son verre. Champagne ! On porte un toast. Et on signe l'acte final. Voilà, c'est fait. L'Afrique possède son acte de notaire. »
Tout est à nous, comme si ce que dont nous avions besoin, au fur et à mesure, nous était livré : Ivoire, pour les pianos, caoutchouc, pour les voitures, sucre, café, tabac, coton.
Tout nous est livré, au prix d'une entrée en matière sanglante : chaque tirailleur a un nombre défini de balles, leur usage doit être entériné par une main droite coupée (en Egypte, Ramsès faisait de même, et trouvant que beaucoup de mains de femmes ne prouvaient pas la victoire sur l'ennemi, avait exigé une preuve virile coupée plus exemplaire)
L'Afrique est mise à sang, elle flambe, il s'agit d'asservir, de brûler, d'anéantir, de posséder, plus que d'envoyer outre mer comme autrefois.

Non, car le propos d'Eric Vuillard change cependant, se perdant dans les récits des différents acteurs assassins, dont les noms devraient à mon sens être oubliés, pauvres assassins capables d'exterminer un village, dix villages, cent villages, pour quatre poules, au lieu de parler des propres habitants comme l'a fait David van Reybrouck dans son livre Congo, une histoire.
Il répète plusieurs fois que cet ensemble de terres qui s'est trouvé former le Congo n'avait ni administration, ni écoles, ni hôpitaux.
On ne peut pas effectivement penser une administration d'un ensemble de villages qui ne se connaissent pas. le fait d'avoir formé ce pays a entrainé la Belgique à construire hôpitaux, écoles et une administration centrale.
Oui, pour l'écriture magnifique, la comédie persiflante, le propos bien utile quant à l'achat sans frais de terres à découvrir, puis Non car déviation sur les châteaux et héritiers des familles de ces malfaisants conquérants.

LC Thématique septembre : état des lieux
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Il était roi. Il avait un royaume. Cela ne lui suffisait pas. Il rêvait peut être d'un empire. Il devint un des maîtres des Enfers. Pour l'Histoire il est : Leopold II, roi des Belges.
Congo, l'histoire d'un « holocauste » oublié. Dix millions de morts en vingt ans. A coup de baïonnettes, de machettes, de fouet, de cordes, de torches. Il a exterminé, soumis, torturés des peuples. Pour l'ivoire, mais surtout pour le latex. Il n'y a pas que lorsqu'il brûle que le caoutchouc pue.
Alors ce roi fou a acheté des terres, des montagnes, la foret, le fleuve. Il s'est approprié la vie des hommes. Faisant signer des actes bidons à tour de bras à des chefs de village qui n'y comprenaient rien. Livrant discours humaniste au reste du monde. Mais le reste de monde était comme lui. Un monde où les mines, l'or, le bois, le latex, l'ivoire, tout ce qui avait un prix, tout ce qui pouvait se vendre, s'acheter, écrasait l'humanité pour pouvoir prospérer.
Nous sommes en 1876. 1885, à Berlin les grandes nations se réunissent. Elles se partagent un continent. Comme un jeu, comme une tarte. Ils sont riches, ils ont des titres, ils tracent des lignes, ils se mettent d'accord pour se partager les richesses du nouveau monde. Les dieux des colonies ont trouver leur empire. Ils complotent. Les carnets de commande se remplissent. Il faut des routes, il faut des trains, des navires, des comptoirs. A la veille de la grande guerre, ils ont tous leurs cartes en mains. Les usines à obus vont se mettre à tourner. le décor est planté.
Congo, Afrique centrale, pays des mains coupées.
Les cerbères de Leopold coupent les mains droites. Les scalpes du roi fou. Des mains que l'on coupe, que l'on jette dans des paniers. Que l'on fume pour pouvoir les conserver. Des trophées. Des millions. Les mots de veulent rien dire.
Quand on de demande comment les choses ont pu arriver, comment le monde laisse faire certaine chose, il faut ouvrir les livres d'histoire, et quand l'histoire est oubliée, demander aux journalistes, aux écrivains de nous la rappeler. 14-18 : une boucherie. 39-45 : un massacre. Les mots sont ridicules parfois. Et puis Hiroshima, et puis Pol Pot, et puis le Rwanda et puis le Kosovo, et puis et puis... tant d'autres. Mais il faut quand même les écrire les mots même et surtout quand ils ne suffisent plus. Il faut bien se dirent que si les guerres ne rapportaient pas d'argent, aucun pays n'irait la faire. Ça coûte une guerre, alors avant de la faire il faut remplir les coffres forts quite à vider les greniers.
Léopold II n'était pas le seul fou de son époque, les français les allemands les britanniques, tous les pays qui ont refermé leurs serres sur des terres qui ne leur appartenaient pas, ont tous construit leur empire sur des fosses communes. Communes à l'humanité. Des crimes contre notre humanité commune. Quatorze nations en 1885.
Certains noms sont oubliés, certains pans de l'histoire effacés, mais on retrouve des noms, des noms de grandes familles, qui sont encore aujourd'hui les maîtres du jeu. Les dieux sont toujours prêt à jouer.
Les forets brûlent, les frontières réinventées, les peuples déportés, l' Amazonie sacrifiée, l'Afrique continuellement tourmentée.
Le livre d'Eric Vuillard n'est pas un essai, ni même un roman. Pas un récit. Un témoignage peut être. Un écrivain du 21e siècle témoigne. Parce que tout n'a pas été dit. Parce que décidément nous ne connaissons pas notre Histoire. L'apprendre est inutile si nous ne la comprenons pas.

Astrid Shriqui Garain
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Troisième Vuillard en...trois jours.

Je frise l'overdose? Je suis en pleine accoutumance? mais non, mais non, pas encore...

Encore une belle lecture? Oui, oui, quoique...

Petit bémol, ce coup-ci, (ça va faire plaisir à Archie qui me trouve par trop dithyrambique sur L'Ordre du jour), j'ai cette fois été effleurée par un léger agacement à voir ce (vaste) sujet traité -brillamment, comme toujours- mais vraiment en trois coups de cuiller à pot!

D'abord une conférence,- qui m'a fait penser en moins bien à celle du Berghof dans l'ODJ,- puis un petit couplet vachard et bien envoyé sur les Chodron de Courcel, famille de notre Bernadette Chirac nationale, chacun sait ça, puis un petit tour du propriétaire -je veux parler de Léopold II, roi des Belges, littéralement propriétaire personnel du Congo- , un vrai mystère, cet homme-là, on ne s'attarde pas, voyons les sous-fifres: ses "intendants" successifs- d'abord Stanley, celui- de"Mister -Lingstone-I-Presume?", oui, celui-là, Stanley ou de l'art d'utiliser un explorateur pour arpenter le terrain sur lequel on va faire main basse - puis quelques ombres sinistres tirées des géhennes de la mémoire : Lemaire, Fievez et les jumeaux Goffinet, les hommes des basses oeuvres. Ce qui nous vaut quelques aperçus des exactions immondes commises au nom de la rentabilité due à une propriété royale..Le panier de mains coupées, les larmes des petits enfants noirs, la folie qui rode avec les remords...

Et c'est fini!

C'est trop ...ou pas assez.

J'aurais voulu que tout le livre soit à la hauteur de son début, qu'il déroule un réquisitoire glacial contre les grands pays occidentaux complices, contre la morgue cynique et cupide d'un roi atteint de folie des grandeurs, (comme Vuillard le fait dans l'ODJ contre les industriels allemands, les démocraties complices, contre les "fake news" et contre un Adolf fou furieux que personne ne démasque).

Ou alors j'aurais aimé qu'il décoiffe, qu'il s'emporte dans l'indignation et le scandale (comme il le fait dans l'empathie et l'enthousiasme pour son magnifique 14 JUILLET), mais à faire un peu l'un et un peu l'autre, on ne sait plus sur quel pied danser: réquisitoire? sombre drame?

Je vais attendre un peu avant de me jeter sur Conquistadors.. Congo m'a laissée un peu sur ma faim.

Oui, finalement, un petit sevrage sera nécessaire...
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Le "Congo" de Eric Vuillard est l'une de ces lectures revigorantes que l'on fait de temps en temps. Une de ces lectures qui vous surprend sur votre chemin, qui vous fait trébucher et font hurler votre orteil. de douleur.
Douleur face à ce récit qui revient sur la conférence de Berlin, en février 1884, qui a vu 26 pays occidentaux (Turquie incluse) se repaître des territoires africains. Ils l'ont joué comme au casino, à pile ou face, au black-jack, à la roulette Russe aux balles en caoutchouc.
Le caoutchouc Congolais que Léopold, roi des Belges, a revendiqué comme propriété personnel.
Personnel, comme le ton de ce récit qui nous fait rentrer en plein dans l'histoire par les chemins tortueux d'une ironie pince-sans-rire douloureuse, par des sentiers fait de digression historique pour une mise en abîme du contexte général de l'époque.
Le contexte, excuse pavlovien de l'Europe d'aujourd'hui face aux crasses d'hier de systèmes étatiques aux objectifs monstrueux, qui épousent les destins singuliers de pions et des maîtres qui ont (de)fait l'histoire du Congo.

"On avait jamais vu ça. On avait jamais vu autant d'Etat essayer de se mettre d'accord sur une mauvaise action. Il avait fallu bien de la puissance de l'Allemagne et bien de l'habileté de Bismarck pour faire venir tout ce beau monde et ordonner cette conférence. A coup sûr, c'était un acte politique d'envergure".

Éric Vuillard nous traine, avec son verbe acerbe, direct et son propos fouillé dans sa ballade sous les dorures du palais de Radziwill, là où tout se fit. Il nous traine dans les coursives du capitalisme à face (in)humaine qui a souillé les pays qu'il représentait ; Alphonse Chodron de Courcel, Sir Edward Mallet, Anne Turgot, Smtih, Bildt, Penafiel, van der Hoeven… tous ces politiques aux masques de charognes qui ont envoyé aux quatre coins du monde leurs "découvreurs" à qui ils donnèrent la mission céleste de civiliser les africains.
Le coeur du capitalisme qui bat depuis des siècles aux rythmes des campagnes révolutionnaires et du service à l'humanité a, pour cette fois encore, pris pour bras armé la mission civilisatrice, avec l'arme nucléaire des missionnaires religieux. Les peuples d'occidents, aveugles furent repu des belles et aventureuses conquêtes de Stanley, Lemaire, Fiévez ; hérauts létaux de ce roi Léopold qui se rêvait en bourgeois propriétaire terrien d'un espace grand comme quatre vint fois son royaume.

"Ainsi, on sait bien, déjà, que la femme d'un de nos vieux cornacs, je veux parler d'un de nos présidents de la république, est une vraie Chodron de Courcel ; mais l'on sait moins que Georges Chodron de Courcel, notre contemporain et son parent, sans doute un brave monsieur, était à vingt-huit ans, en mille neuf cent soixante-dix-huit, responsable des études auprès de la direction financière de la BNP. Il est aujourd'hui, aux dernières nouvelles, membre du conseil d'administration de Bouygues, président de la Compagnie d'Investissement de Paris, de la Financière BNP Paribas, vice-président (on ne peut pas toujours être en tête) de Fortis Banksa/NV (Belgique), de Scor Holding (Suisse), et j'en passe, membre du conseil de surveillance de Lagardère SCA, censeur d'Exane, on y comprend plus rien, on ne sait ne sait même pas ce que sont toutes ces choses, acronymes étranges, et l'homme semble avoir tellement de fonctions, et la chose si hermétique, qu'on en reste muet."

Stanley, Lemaire, Fiévez… trois noms qui sonnent en canon dégringolant comme s'enfonçant de plus en plus dans l'horrible. L'horrible pour les peuples du Congo mis derechef au service de Léopold. Au service du caoutchouc qui voyage, par tonnes, vers les cieux pneumatisés – et autre – de l'industrie européenne. A coup de villages décimés, à coup de tueries par centaine, à coup de bras coupés, à coup de genitals arrachés, les quantités de sève blanche requises par le dieu capital seront atteintes. Au prix de tous les sacrifices noirs.

« Car bientôt la conférence ne tourne plus qu'autour de ça, le Congo. L'affaire du roi des Belges. On fait de la géographie, on regarde des cartes, on trace des lignes imaginaires dans des paysages de papier. Les copropriétaires discutent de millièmes d'encre, des centimètres de carte qui représentent des territoires inouïs et inconnus. »

Individualisation des actes vils et revendication de la grandeur, la devise à la mode dans les villes européennes. Les corps noirs des congolais offert en sacrifice au roi Léopold, et au capitalisme occidental, ne saurait être tût par la grâce de la sacro-sainte "re-contextualisation" chère à l'Europe d'aujourd'hui dès qu'il s'agit de rappeler les forfaits dont elle s'est rendu coupable. Avec ce court récit (96 pages), écrit de façon magistral et densifié par un vrai souci de pertinence historique, Éric Vuillard nous rappelle que l'on ne saurait fermer les yeux sur les méfaits d'hier. Parce que ceux qui en furent les instigateurs – les États – jamais ne firent de mea culpa. Parce que ceux qui en furent les bénéficiaires – la bourgeoisie – se repaissent encore du fruit sanguinolent de ces forfaits. Parce que le système – capitalisme – qui engendra ces actes innommables est toujours en place et porté aux nues par ses apôtres 2.0. Parce que ce livre nous rappelle que, il y a deux cent ans comme aujourd'hui, le vrai combat est, et a toujours été, celui des riches contre les pauvres. Que les premiers revêtent les oripeaux des religions ou qu'ils poussent les seconds vers les fausses pistes du racisme et de la xénophobie, il n'en reste pas moins que l'objectif est le même : plus de richesse pour les mêmes.
Et nous, les congolais ainsi défini par nos bourreaux, les africains au patriotisme hérité du palais de Radziwill, nous continuons à guerroyer pour des histoires de frontières ou de dégradé de mélanine pendant que, les mêmes à travers les âges, se goinfrent sur notre aveuglement.
Le "Congo" d'Éric Vuillard est une oeuvre de salubrité historique. A lire sans perdre une seconde.
Lien : http://www.loumeto.com/spip...
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Du grotesque à l'effroi, le sixième livre d'Eric Vuillard (Actes Sud, 2012) raconte, dans une langue poétique qui avance en se chargeant d'émotion, le partage de l'Afrique par les nations européennes, avec la deuxième «vague» de colonisation à la fin du XIXe siècle amorcée par la conférence de Berlin, qui démarrât en novembre 1884 sous la houlette du chancelier Bismarck, où les représentants de quatorze nations européennes vont dépecer un continent, et où le Congo va devenir la propriété privée du roi Leopold II de Belgique.

Dans le décor dégoulinant de petites monstruosités de plâtre du palais de Radziwill, les marchandages de ces représentants pathétiques de pays qu'on dit puissants, «hommes en costume assis sur leur cul de singe» se retrouvant pour se partager l'Afrique car ils «s'emmerdent» tellement, membres de dynasties dont on croise toujours les descendants dans les allées du pouvoir cent trente ans plus tard, ces marchandages seraient presque comiques, si l'assouvissement de leur soif de puissance, si l'ambition personnelle et démesurée du roi de la petite Belgique qui se démène pour devenir pharaon, ne débouchait sur les atrocités hallucinantes de la colonisation.

Avec Charles Lemaire ou Léon Fiévez, sous-traitants du pillage, exécuteurs des basses oeuvres de Leopold II au Congo, Eric Vuillard nous plonge au coeur des ténèbres, l'horreur des villages incendiés, des meurtres et des mutilations de masse, tout cela pour l'accaparement des richesses, et en particulier de l'ivoire et du caoutchouc, par un roi hideux.

«En 1884, le palais Radziwill vient d'être rénové. La conférence de Berlin sera sa crémaillère. le palais est un vaste ensemble rococo, style fleuri et ludique, où la décoration enveloppe la vie comme si la coquille ou la peau étaient l'expression de l'âme elle-même. Tout y est raffiné, fantaisiste. Et c'est entre les anges joufflus et les courbes de "shell", dans cette superficialité étouffante, parmi une prolifération de stucs, lianes de plâtre, flammes de verre, au milieu de cette prospérité monstrueusement légère, de cette inexpression foisonnante, de ce désir inouï de ne rien dire mais de ruminer, de racasser, de remuer sa paille dans son verre, avec toute cette sexualité qui s'ignore et s'expose ingénument, vases chinois, mandarines, fouillis de branches et de griffes, rondes de satyres, espiègleries hideuses de petits monstres, qu'on va se pencher sérieusement sur le destin du monde et chuchoter d'énormes calculs.»
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critiques presse (4)
Telerama
20 juin 2012
Vuillard écrit comme Goya peignait la guerre ; il est aussi juste dans la compassion que dans l'anathème et parvient à sortir de l'oubli à la fois les crimes commis et leurs pauvres victimes.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lhumanite
28 mai 2012
Encore faut-il lire cette histoire incroyable qui devient sous la plume de l’auteur une épopée sanglante et dérisoire, jusqu’à ce que s’efface la « petite phrase écrite pour nous par le professeur de réalité ». Commencée dans le ricanement, l’histoire finit par tordre d’émotion le lecteur. Comment fait Éric Vuillard ?
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Lexpress
02 mai 2012
Le Congo, "ça n'existe pas", nous dit Eric Vuillard avec un mélange savamment dosé d'ironie mordante et de rage contenue, ce n'est "rien qu'un fleuve".
Lire la critique sur le site : Lexpress
LeMonde
23 mars 2012
Inspirés, mordants, les textes d'Eric Vuillard font entendre une langue très travaillée (voire ornée) et pourtant claquante comme un roulement de cymbale.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (48) Voir plus Ajouter une citation
Et tout cela vient d’un Chodron fait, en 1867, baron de Courcel, de Port-Courcel sur la Seine, à Vigneux. Mais je me trompe peut-être, et ça m’est égal. Tout ce que je crois savoir, c’est qu’avant un certain Jules ou Jules-Louis – mais c’est peut-être un autre –, on ne trouve plus vraiment la trace des Chodron, ils rentrent dans le lot indiscernable des petites volontés, ils se font minuscules, anonymes, leur joli nom retombe auprès de la grosse marmite d’où il est sorti – baquet à boyaux.
Bien sûr, les Chodron de Courcel d’aujourd’hui s’indigneront et protesteront qu’ils ne sont pas de ces Chodron-là, de ces petits Chodron de rien du tout, qu’ils viennent d’un autre Chodron, qu’on le trouve quelque part dans Les Métamorphoses d’Ovide, quittant l’Apulie en compagnie de Vénulus ; mais nous, on s’en fiche pas mal de l’Apulie et de Vénulus.
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Le monde était un être ténébreux derrière un masque de lumière. Le mal apparaissait sous la forme des divinités sanguinaires, des morts voraces, des bêtes, mais il n’allait jamais seul, il était toujours accompagné d’autre chose dans sa courbe déclive et fuyante.
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Lemaire parcourt la forêt. Il surgit brusquement avec sa petite troupe armée, exige des hommes, de la nourriture. On palabre. Lemaire menace. Parfois, on se prosterne et on livre son tribut d'hommes et de chèvres. D'autres fois, des flèches pleuvent, les hommes se retirent dans la forêt ; et Lemaire fait mettre la feu aux huttes. Il regarde brûler tout ça avec un fond de tristesse bizarre. Car Lemaire est triste, jeune et triste, il a peut-être été jeté dans tout ça sans comprendre et voici qu'il y trouve à la fois  plaisir et horreur, comme il le dira lui-même plus tard, l'horreur est remontée lentement en lui, en secret, mais il a continué à brûler, à tuer, il a pendant quatre ans traversé la brousse et la forêt en tout sens, il a continué à récolter des vivres pour ses troupes, brutal, aveugle. Il a fait son devoir, son affreux petit devoir, il l'a fait avec ses yeux pleins de scrupules et de tristesse, et brusquement, au bout de quatre ans de crimes, sous sa pergola de feuillages, voici qu'un beau matin, au moment où le soleil passe au-dessus des arbres, le petit chef relit un passage de ses carnets, un passage au hasard, il cherche un renseignement sur un village, une note ancienne, et voici qu'il tombe nez à nez avec autre chose, voici qu'il tombe sur une longue suite d'incendies, de pillages, de meurtres, voici qu'il tombe sur une ribambelle de petits cauchemars. " On refuse de me vendre la moindre chose - relit-il - et je ne dispose plus de vivres pour nourrir mes hommes. Aussi menacé-je les indigènes que s'ils continuent de refuser les tissus et les perles que je leur présente, ce seront les armes qui parleront. Je vise un groupe de Noirs et j'abats à 300 mètres un homme. Tous disparaissent. Nous contrôlons cinq pêcheries et nous y trouvons quatre poules, un peu de manioc et quelques bananes."

   Et Lemaire, après quatre ans passés dans la moiteur, après quatre ans de luttes, relisant  ce matin-là son journal, sent tout à coup les quatre poules lui remonter à la gorge. Je ne sais pas comment on s'aveugle, ou plutôt si, je le sais un peu, mais je ne sais pas si le crime possède ses propres rideaux de brume et s'il se dissimule comme le reste de nos malheurs.
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Les copropriétaires discutent de millièmes qu’ils ne possèdent pas encore, des millièmes d’encre, des centimètres de carte qui représente des territoires inouïs et inconnus. Et déjà ils pinaillent sur les réparations de la cage d’escalier, sur la façade qu’il faudra refaire, sur l’entretien des boites aux lettres.
On hoche la tête. Chacun y va de sa petite réclamation frontalière, de sa servitude de passage. On parcourt en tous sens l’Afrique à la loupe. Alors, l’oeil s’écarquille. Que c’est grand ! Que c’est beau ! C’est une avalanche de formes réelles, de côtes, de forêts, de rivières, de lacs.
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Désormais, le télégraphe et la vapeur allaient être les instruments du succès. C’est eux qui, tels des demi-dieux, parcourraient le monde, non plus à la recherche des épices et de l’or, mais afin que s’accomplisse la promesse en l’ultime transmutation des hommes et de la terre en cette manière ductile et infiniment exploitable que nous connaissons. Le monde entier devint soudain une ressource. Ce fut le dernier émerveillement, l’assouvissement de toutes nos soifs.
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Grand écrivain du XXe siècle, Louis Guilloux est passé entre les mailles de l'histoire littéraire. Ingrate postérité à laquelle Olivia Gesbert remédie avec ses invités, l'écrivain Eric Vuillard et le journaliste Grégoire Leménager, tous deux emportés par la plume de l'auteur du très moderne "Le sang noir" (1935).
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