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Les conquêtes espagnoles, c'est la faute à Christophe Colomb. Il a fait des émules.

Francisco Pizarro, fils naturel de Gonzalo Pizarro Rodriguez de Aguilar, navigateur averti, ne supporte plus sa condition inférieure et décide de tenter sa chance en Amérique du Sud où il a tôt fait de montrer ses capacités de commandement. Une rigueur extrême et un mépris profond pour les hommes le conduisent à vouloir autre chose que le courage ou l'audace. Analphabète à la tête d'une troupe de rustres, il s'esquinte à découvrir les terres inconnues.

A cheval pour les chefs, à pied pour l'armée, tout ce monde marche, marche, marche dans les forêts denses et humides, dans les montagnes de la cordillère, sous la pluie incessante ou le soleil implacable. Pizarro fait ami-ami avec les autochtones qui très vite, après avoir été pillés et souvent assassinés, servent d'esclaves et de porteurs.

Après deux expéditions au Panama et sur les contreforts andins, accompagné de Diego de Almagro, son fournisseur d'hommes, de provisions et de bateaux, Francisco Pizarro, retourne en Espagne plaider sa cause auprès de Charles-Quint afin qu'il lui confie une nouvelle mission dans l'empire inca. L'or, beaucoup d'or, étant un argument de poids, Pizarro, couvert de privilèges, surtout pour lui et peu pour Almagro, repart pour le Pérou avec armes et bagages, dont ses trois frères.

Huayna Capac, l'Inca, se meurt de la variole apportée par les étrangers. Pas facile de régler pacifiquement la succession quand on a 400 enfants ! Huascar et Atahualpa se partagent cet immense empire. La terreur règne. C'est à ce moment qu'arrivent Francisco Pizarro et Diego de Almagro. « L'empire semblait composé de mille peuples hétérogènes, ne parlant pas les mêmes langues et n'ayant pas les mêmes coutumes. Cela fut un avantage que les conquistadors comprirent aussitôt. Ils pouvaient éveiller les vieilles rancoeurs, rouvrir les anciennes plaies. Selon ce principe, dont les applications sont aussi nombreuses que les noeuds à la barbe des conquistadors, Pizarre ménagea les Huancas, les Soras, les Ancaraes, les Pocras, les Chancas, et bien d'autres. L'empire tombait en miettes, Pizarre souffla dessus ».

Il fut reçu en hôte apprécié par Atahualpa qui lui fit découvrir la civilisation raffinée des Incas et les richesses accumulées au cours de siècles de conquêtes. La fièvre de l'or s'empara des Espagnols. Ils arrachèrent l'or des façades, volèrent les bijoux et les statues, pillèrent les sépultures, amassant des monceaux de métal jaune en piétinant sans cesse dans le sang des Indiens. de coups de force en trahisons, Atahualpa fut fait prisonnier contre rançon : sa vie contre la pièce où il était enfermé remplie d'or. Ce qui fut fait et Pizarro le fait exécuter.

Il construit une ville – la Ciudad de los Reyes – qui reprend son nom quechua quelques années plus tard, Lima. Il en devient gouverneur et Almagro se contente de Cuzco. le combat des chefs se solda par le départ d'Almagro qui veut découvrir le Chili. L'aventure échoue et les voilà revenus à leur inimitié frénétique. le fils d'Almagro complote contre Pizarro et ses frères. le tyran prend un coup d'épée dans le ventre. « le sang flotta autour de lui comme un papillon. Il y eut un silence. le dernier serviteur était mort. La pelote des Parques roula sous un meuble. Les conjurés s'écartèrent. Sur le sol, le gouverneur se tordait lentement, les yeux ouverts ».

Je suis sortie de ce livre épuisée. Par les marches incessantes, par la folie hallucinatoire, par les pillages, les massacres. Par l'odeur écoeurante du sang et de la cupidité. Epuisée par ces conquérants avachis, dépenaillés, obsédés, violents, lamentables. Epuisée parce que ces exactions étaient faites au nom de Dieu et pour l'amour de la lointaine Espagne.

Eric Vuillard a écrit ce livre en 2009. Déjà, il possédait l'art de la formule, la précision du trait, la rapidité de l'expression et l'esprit de synthèse pour ces conquêtes espagnoles qui n'étaient pas encore à leur apogée. Et pourtant, c'est long à lire, presqu'aussi long que ces marches forcées, que ces fourberies, que ces tueries continuelles. le style est fougueux, le rythme approprié à chaque circonstance, la langue parfaite.

Mais pourquoi Pizarro l'analphabète, chevauchant sans cesse, a-t-il autant d'états d'âme, autant de retours sur son enfance bâtarde ? Cela ne cadre pas vraiment avec le personnage. Sans doute réunit-il toutes les questions qu'il est bon de se poser sur la colonisation, sur les défaites et les victoires, sur le droit de déposséder les uns pour assouvir le pouvoir des autres. Lecture très instructive pour ceux qui aiment les pages sanglantes de la grande Histoire et celle moins connue de cette partie du monde.
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Pendant des années, les conquistadors ont évoqué ce film vu il y a fort longtemps : Capitaine de Castille où le héros, qui n'est autre que Tyrone Power, fuit l'inquisition, part pour les Amériques et meurt victime d'un sacrifice inca. Mais là, il n'en est rien.
Des hommes avides de pouvoir et d'argent, la soif de l'or qui s'empare de tous, avilit les hommes et les rabaisse à leurs instincts les plus bas.
La froideur du métal convoité, la froideur et l'inhumanité des conquistadors, une époque où l'homme à moins de valeur que la marchandise. La matérialité est au zénith. Et nous voici partis pour une longue traversée de l'Amérique du Sud où tout n'est que souffrance, peur, mort et chaos pour la population.
Une vision bien négative de l'humanité si on ose l'appeler ainsi dans de telles circonstances. L'homme en a-t-il tiré une leçon, a-t-il éprouvé des remords ? Pas vraiment puisque quelques siècles plus tard, il s'attaquera aux Amérindiens d'Amérique du Nord pour leur prendre des terres dont ils ne revendiquaient même pas la propriété mais c'est une autre histoire.
En dépit de cette noirceur, Eric Vuillard m'a entraîné à la suite de ces conquistadors et je ne sais par quel artifice, je me suis retrouvée dans un film plutôt que dans un livre, et j'aime son style très visuel.
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Bon sang que cette lecture a été dure !

Il n'est pas question pour moi d'exprimer que l'auteur est mauvais ou ne sait pas écrire. En fait il écrit peut-être trop bien, mais ce qui s'est déversé en moi à travers cette plume est une potion ignoble au goût et à l'âme. On dirait qu'Éric Vuillard m'a fait boire l'immonde potion que l'on vous force à prendre avant une coloscopie, histoire de vous purger le système digestif.
Son écriture vous purge de tout atome de romantisme que vous pourriez abriter à l'idée de lire des aventures exotiques. Et du romantisme dans les récits historiques, j'en ai des tonneaux. Vuillard a délavé tout ça à l'acide comme on fabrique des jeans pour jeuns, ne laissant qu'un ruisseau boueux de haine, de cruauté et de sauvagerie.

J'étais ravi à l'idée de lire un roman historique sur la conquête du Pérou par les conquistadors, comme je le suis quand je lis des trucs sur les grandes batailles. Depuis mon canapé, c'est un savoir emprunt d'un romantisme bien écrit que je recherche. Vuillard me dit tout net « niet ! » ; cette histoire est un traumatisme à la hauteur de la solution finale des nazis ; on ne peut pas l'écrire à la légère. Il s'est documenté précisément et j'ai appris (ou réappris) énormément de choses. Des choses qui laissent pantois comme cette quelque centaine d'Espagnols qui massacrent des milliers d'Indiens à Caxamarca et s'emparent de l'Inca Atahualpa, ou ces tractations notariées sans fin entre Pizarro et Almagro avant que l'on jette ces milliers de pages à la flotte et que l'on s'entretue.
L'auteur entre dans la tête des personnages, essaie de nous faire sentir par une prose poétique et sombre leurs sentiments et leurs pensées. C'est particulièrement écoeurant la plupart du temps. Je n'y ai vu que des bêtes sauvages motorisées par des désirs primaires : la convoitise, la volonté de grandeur, une cruauté qui ne se reconnaît pas elle-même tellement elle se trouve anodine en se contemplant dans le miroir. Mais aussi une résilience – mot à la mode – en acier de Tolède face aux difficultés que la nature met en face des conquérants dans leur quête de l'or et du pouvoir ; la traversée de la jungle d'Équateur aussi bien que les sommets glacés des Andes épuisent jusqu'aux lecteurs, mais eux résistent, se désespèrent, reprennent espoir.

Malgré cela, je n'ai jamais pu accrocher au style de l'auteur. Des phrases longues parfois de plusieurs pages, peut-être deux pages de dialogue dans tout le roman. Éric Vuillard est plus narrateur de l'histoire que romancier, un narrateur qui donne avant tout son avis sur tout, multipliant les critiques sur le système capitaliste ou tous les empires de l'Histoire, stakhanoviste des analogies avec des récits bibliques, avec la chute Troie, avec Rome, avec tout ce que l'on peut dénigrer. Il ne s'arrête jamais sur le positif, celui-ci n'existe pas si une tache noire existe sur la toile. Et quelle civilisation peut prétendre être dépourvue de la moindre tache ?
Finalement, j'ai l'impression que l'auteur veut moins nous dire que les Conquistadors étaient répugnants, que nous dire que l'Humanité l'est, et surtout notre société occidentale.

Vuillard a bien fait passer son message amer. Mais je préfère rester un minimum optimiste. Je ne pense pas lire d'autres textes de cet auteur, sauf si un lecteur de ce billet me convainc qu'il y met un peu plus de soleil et d'espérance.
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1531: la conquête des Andes par Pizarre, un conquistador menant ses hommes à travers la jungle, les forêts, les rivières et les océans à la recherche de trésors.
Dans cette histoire, l'or se confond avec le soleil et le feu mais surtout avec le sang.
Les soldats espagnols découvrent de nouvelles terres et une nature belle, luxuriante, difficile, dangereuse et mystérieuse. Ils sont les pionniers: les Conquistadors. Ils avancent vers l'inconnu avec la peur, la fatigue, la faim, la mort, la souffrance, la fièvre et les maladies.
Éric VUILLARD déroute par son style : des phrases coupées à la serpe, des chapitres entremêlés et l'histoire se perd dans un fouillis de mots mais une fois rentrée dans le vif de l'aventure, les personnages deviennent si réels qu'il suffit de fermer les yeux pour visualiser les champs de batailles et les montagnes enneigées. La solitude et le doute ne quittent pas les soldats. Leurs conquêtees sont semées de têtes fauchées et de cadavres mutilés. La route vers l'or est tracée par la mort. Leurs victoires viennent des massacres de tout un peuple et toute une civilisation effacée par cupidité.
Un grand moment de lecture. Alors vivez l'aventure et lisez Conquistadors.
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Peut-on s'ennuyer à la lecture de Conquistadors ? Certainement. Sur ce passons, chacun verra. Conquistadors échappe aux tentatives de le circonscrire à un genre. Épopée, roman, poème ? Oui, à la fois et sûrement davantage encore. Un roman historique ? Non, sûrement pas ; et doublement pas, car pas d'Histoire ni d'histoire, rien qui ne file en ligne droite.

Conquistadors est un livre impressionnant, dans son ambition et par la trace qu'il imprime, un livre à l'écriture habitée, presque hallucinée, un livre exténué, aussi, comme ses personnages, épuisant parfois, mais à la litanie prise de vie par des ivresses soudaines, des élans dans sa lenteur, des échappées dans sa circularité.

Éric Vuillard époussette les cuirasses et au bout d'une phrase inaugurale longue comme un inventaire accouche d'un « avançait » qui ébranle depuis l'été 1532 le cortège de Pizarre, des Pizarre et des autres qu'il m'est souvent arrivé de confondre – mais d'une meute, qu'importe de savoir à qui sont tous les crocs ? le cortège s'ébranle, difficilement. Conquistadors n'est pas un livre difficile mais son souffle (intérieur) n'emporte pas le lecteur ; il n'est pas difficile, il est immobile. Si c'est une épopée, elle ne va nulle part.
Nous sommes à ce point, nous tournons autour, embourbés avant la fulgurante mondialisation de l'or et de la syphilis. Dans un temps circulaire – contre un temps historique – un temps qui nous est coalescent. Dans un tableau du Titien où « tout [serait] soudain pris dans tout, comme si la double comptabilité, l'eau bénite et la porcelaine formaient une seule lave vivante, dont les éléments disparates seraient tenus ensemble par le sang ».

Nous en sommes là, un lieu, un temps : le moment ; l'événement, après lequel « il n'y aurait plus de terre promise », « de royaume rêvé », « d'Éden sauvage », mais l'unité du monde, notre monde, d'où le roman s'écrit, quand les idoles ont été fondues dans les coffres en minuscules lingots, qu'une cabine se loue 1,50 dollar aux thermes de Pulcamarca. Là-maintenant où, depuis, l'avenir serait écrit, et le passé aussi « car nous ne saurons jamais ce que les événements ont enfouis sous eux. Ils se labourent seuls, sans cesse. » Et encore : « Les événements brûlent leurs racines. C'est de ça qu'ils se chauffent. »
Devant ce labour, à ce foyer, nous sommes tenus pendant qu'il est trop tard : nous avons le temps. le temps, matière du livre. Dans le sang, la boue, la neige. Et l'or « qui allait les décevoir. » L'or en sa quintessence et non sa quête – au sens d'une progression. Pas de sens : « Les événements appartenaient à la même fourrure dont le monde se couvrait le corps (...) Mais le sens ne voulait pas être approfondi. Rien ne voulait être compris. La vie circule et danse. »

Plus que des hommes de leur temps, les conquistadors sont des hommes du moment, ce moment dont ils ont la chair et l'étoffe. Ils ne sont pas des colonisateurs qui inscrivent leur projet dans le temps, mais des conquérants engagés par une geste abominable à laquelle seul le mirage de l'or donne un mirage de sens.
Nous sommes à un point aveugle, littéralement sidérant, qu'un des Pizarre ressent aussi confusément, constatant que plus une règle ne vaut, à tel point qu'un nègre peut trôner en litière sur un royaume vaincu. « Les mots restaient là, comme des pierres. Il y avait quelque chose d'inexistant dans les mots. Une fente secrète où il ne pouvait glisser son haleine et sa rage. »

Nous sommes à ce moment qui travaille en nous, dans sa succession et dans sa permanence, à « l'envahissement du Nouveau Monde » que Levi-Strauss oppose à sa « découverte ». « La destruction de ses peuples et de ses valeurs » qui, dit celui-ci, appelle encore « un acte de contrition et de pitié », quand, écrit Éric Vuillard « les Indiens, les péons, les nègres durent pour la suite des temps demander pardon du péché commis au détriment de leurs races. » (En épigraphe, en épitaphe : « Gloria victis ! »)

La sidération est pour le lecteur un moment d'envoûtement. J'ai lu Conquistadors comme dans un rêve ; j'ai rêvé avec Vuillard. Éric Vuillard a rêvé la conquête et les conquistadors se lèvent de son rêve. « Au matin, tels des cadavres les hommes surgissaient lentement de la terre. » Et comme dans un rêve, il ne soutient pas la réalité en entier, se passe de grandes descriptions, de contexte, de chronologie, se concentre sur des impressions, des sensations, esquissant les nuages d'un ciel changeant.
Les conquistadors ont leurs raisons pour avoir quitté l'Espagne. Petites raisons : une mule, un cochon, un couteau. Mais de fait ils sont appelés : un destin doit se réaliser. Pas question bien sûr de nécessité historique, ils sont appelés a posteriori, par le rêve de Vuillard dont ils sont en quelque sorte possédés. D'où leurs exploits insensés : « Pendant que Pantagruel construisait le pont du Gard et les arènes de Nîmes en moins de trois heures, Pizarre faisait crouler un empire en moins de deux. » Une bande de coupe-jarrets défait une armée ; ils le peuvent parce qu'ils le doivent, c'est leur destin. « Après vingt-cinq ans passés à le pourchasser [Pizarre] faisait enfin face à l'adversaire qu'il s'était créé. »

Dans le moment, s'infiltre le souvenir d'un baiser, la saveur d'un fromage. D'un ailleurs plutôt que d'un passé. N'ont-ils pas toujours été où les Indiens les attendaient ? A peine subie, Atahualpa se souvient de sa défaite. Vague souvenir, comme un songe : « Elle semblait réaliser un désir, obéir à une révélation très ancienne qu'on lui avait dite, mais dont il ne se souvenait plus ». Les Espagnols conquièrent sans découvrir, dans un « déjà vu ». Leurs futurs exploits ont déjà été chantés « dans une cour d'auberge à Caceres ou à Burgos ». Ils sont déjà venus, ils ont déjà vécu. Éric Vuillard les rappelle, les ranime.
Le moment convoqué les réveille ; ils sont à jamais de ce moment, c'est le leur, ce moment sur lequel ils règnent comme des dieux. « Pizarre nommait les rivières, les collines, il donnait aux lieux les noms de l'avenir. » Dieux gibbeux : Roi-chèvre, dieu de corne, scorpion des collines, petits génies des foins dans ce « désordre des temps ». Petits dieux jaloux dont les états d'âmes flétrissent dans l'ombre tutélaire du « Dieu sévère de Moïse », celui « des retables et de la lumière qui recueillerait des pluies d'or ». Petits dieux et leur terrain de jeux, comme des enfants dans la toute-puissance. « Ils bramaient leurs déclarations au nez de peuples qui ne les entendaient pas ; ils s'adressaient aux mouches, aux tarentules, aux perroquets. »

Pour quel dessein ? « Étaient-ils venus de si loin pour réaliser en tous points les prophéties d'un peuple ? » Ils ne sont là que pour eux. Rien d'entièrement humain ne les meut. Qu'ils soient de notre espace-temps ne nous les rend pas plus proches. Bien « qu'un immense plateau dénudé nous sépare de ce qu'ils pensaient, craignaient, complotaient », les Indiens nous sont moins étrangers qui, comme nous, sont spectateurs de ces Espagnols caracolant, cavaliers de leur apocalypse. Les Indiens : « Mais qu'ont-ils vu au juste ? Ils ont vu ce que l'on rêve de voir. La fin. » Car : « Je ne verrai jamais un monde qui s'écroule, pense chacun de nous. Mais au fond, c'est notre grand désir : pieuse et brutale fin des temps. Et voilà qu'un peuple l'a vue. Il faisait beau. le ciel était clair et l'air frais, lorsque défilèrent les armes rutilantes. »

Les conquistadors sont à la fin. Pour vivre ces nuits quand « la crainte et le désir du lendemain ramènent à nous les pensées enfouies. (...) Peut-être ne devient-on conquistador que pour ça. » Et à la fin du monde, ces types font froid dans le dos. Dans l'entropie de l'événement, ils se déchirent. Pour les Indiens « assis sur les gradins naturels de cette arène de collines », le match est disputé « et la tête d'Orgoñez passe de mains en mains comme un ballon de cuir. »

Le plus humain des cavaliers d'Apocalypse, c'est Almagro, l'homme à contretemps qui, arrivé plus tard, arrivé trop tard, n'est lui pas tout à fait du moment, mais de sa répétition (perte de l'innocence, nous dit Freud), rêvant qu'il aurait pu le partager dans une fraternité enfantine. « Peut-être ne reste-t-il des choses accomplies que les rêves tristes », se demande-t-il. Dans le regret du monde, de prolonger sa fin, proroger l'événement de la fin, il implore « un moment, juste un petit moment ».
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Dans une langue puissante et pleine de poésie, Eric Vuillard retrace la conquête du Pérou par Francisco Pizarre.
Pour traduire l'ampleur de la dévastation semée par les conquistadors et leur soif inextinguible de richesses qui les conduit à toute les folies, l'auteur manie les mots comme un chirurgien son scalpel pour plonger dans l'âme humaine et en extraire toutes les motivations secrètes, les désirs inavoués et les frustrations. de cette abîme en l'homme que même les richesses les plus convoitées une fois acquises ne peuvent combler surgit la question ultime du mal et de son mystère insondable.
A la fin du récit, Pizarre vieillissant se promène dans son jardin planté d'orangers, aspirant à la tranquillité. Assassiné par d'anciens rivaux, il finit jeté dans une sépulture creusée en toute hâte sous les dalles d'une chapelle. «D'en bas, Pizarre devine la route qui va au ciel, mais il est trop tard ».
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N°1629 - Mars 2022

ConquistadorsEric Vuillard – Éditions Leo Scheer.

Avec un luxe de détails et un style poétique et érudit, Eric Vuillard renoue avec le roman épique historique en racontant l'histoire de la conquête du Pérou par Francisco Pizarro, enfant naturel et pauvre d'un noble espagnol qui décide de tenter sa chance dans le nouveau monde. Après deux expéditions désastreuses, il retourne au Pérou où il trouve l'or tant convoité au prix de trahisons et de la destruction de l'empire inca, un génocide perpétré avec la complicité et la bénédiction de l'Église catholique.
Chef d'une petite armée en guenille qui massacre, pille et viole, il ne fait que répandre la mort autour de lui et, un temps, jouant sur les oppositions entre les peuplades, la chance lui sourit, il est reconnu comme gouverneur du Pérou mais la violence qu'il a lui-même semée se retournera contre lui. Devant tant de richesses, de pouvoir et d'arrogance, ces conquistadors, notamment Almagro, qui n'étaient rien en Espagne que des analphabètes pauvres et souvent des batards, fomentent des luttes fratricides qui se se solderont par la mort de Pizarro.
C'est un roman dur, un peu long à lire mais qui est l'image d'une facette de la nature humaine dans ce qu'elle a de pire, fascinée par le pouvoir et l'argent et capable de tout pour les obtenir.
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Le livre d'Eric Vuillard décrit la conquête du Pérou, au XVIe s., par Francisco Pizarre et sa petite troupe d'hommes et de chevaux, puis la guerre civile qui opposa les conquistadors entre eux. Moins qu'un roman historique, le livre est « une épopée glorieuse et vulgaire » (E. Vuillard, 4e de couverture), celle de ces hommes déclassés et illettrés qui conquirent le nouveau monde pour le compte de l'Espagne et de Charles Quint. E. Vuillard suit les aléas de cette conquête et la longue marche des troupes de Pizarre dans les montagnes et les forêts, dans le froid et l'humidité, et il décrit cette soif d'or et de sang qui mena ces hommes loin de tout. Car l'or est le principal moteur de ces pérégrinations tragiques dans la Cordillère des Andes, et il est accumulé en masse, jusqu'au dégoût, avant d'être expédié sur le vieux continent : « Tant il y avait d'or autour d'eux, sur les tables que fouettaient les cartes, sur le sol, derrière eux, entassé, ou encore dans leur poche, à leur chemise, partout, qu'ils éprouvèrent une sorte d'écoeurement . Il y eut une épidémie de dégoût. (…) de chose inouïe, l'or devint bouillie jaune, plaque molle, fiente » (p. 275-276). Et le succès rapide de la conquête laisse les conquérants comme désoeuvrés et vains : « Tenaces, ils furent victorieux. Les dépouilles de tout un peuple leur étaient déchues. Ils avaient tendu les mains dans le vide et saisi quelque chose. Alors la plénitude défigura les noms de l'abondance et du succès, ils devinrent dégoûtants, morbides. Une telle abondance avait chassé le désir. Que pouvait-on encore souhaiter ? Nul n'aurait su le dire. (…) Après avoir tendu la main et récolté une pluie d'or, pourraient-ils encore vivre comme des humains ? Il ne leur restait qu'une chose à faire, sans doute. Une fois les richesses pillées et le pays tenu dès le premier geste sous le joug, il ne leur restait qu'un acte à accomplir. Il leur restait à s'entretuer. » (p. 293-293).
E. Vuillard n'idéalise pas l'indigène inca, pas plus qu'il ne méprise le conquérant, mais il est plus sensible aux bassesses de l'expédition, à ses motivations dérisoires qu'à l'héroïsme des vainqueurs. On connaissait la cruauté de la conquête du nouveau monde, ses méthodes cruelles et sanguinaires. E. Vuillard nous offre quelque chose de neuf, qui se situe entre la reconstitution historique, la rêverie et la méditation sur le destin humain. Et il le fait avec une réelle puissance d'évocation, un souffle épique trop rare dans la littérature contemporaine et porté par un style travaillé et riche. Certes quelques facilités d'écriture m'ont parfois un peu agacé, comme des infractions volontaires à la syntaxe (p. 250 « Il avait passé une mauvaise nuit ; l'aube le réconcilia » ; p. 265 « voué à n'atteindre la dignité qu'en se renonçant »), ou des formulations un peu apprêtées. Mais ce ne sont là que détails négligeables dans un ensemble souvent splendide, qui offre une belle expérience de lecture.
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Vous le savez, Eric Vuillard a obtenu le prix Goncourt 2017 pour « l'Ordre du jour« . En attendant de lire ce dernier, j'ai replongé dans mes souvenirs de lecture pour vous offrir ce coup de coeur dans la bibliographie de l'auteur. Sorti en août 2009, l'ouvrage « Conquistadors » d'Éric Vuillard est édité en poche dans la collection BABEL. Attiré par l'illustration de la couverture qui est issue d'une peinture espagnole anonyme sur bois du XVIème siècle, j'ai découvert ce livre au gré de mes recherches dans une librairie, une rencontre qui s'est faite un peu par hasard, comme souvent pour moi. Il faut noter tout d'abord le style qui est plein d'érudition. Vuillard est aussi cinéaste et cela se ressent dans la façon très fine qu'il a de décrire des situations extrêmes puisqu'il s'agit ici de la conquête par Francisco Pizarro et ses hommes du Pérou provoquant la chute de l'Empire inca empêtré dans des conflits internes virant à la guerre civile. Ce livre est un cri d'une violence inouï, celui répercuté par les crimes commis au nom de dieu, ce dernier s'étant matérialisé non plus en Judée sous les traits de Jésus Christ, mais bien plus sûrement incarné dans un métal aux pouvoirs fascinants sur l'homme : l'or. Au nom de ce dieu là, les conquistadors auront tout donné à commencer par leurs âmes, celles d'hommes n'ayant plus aucun avenir en Espagne, leur terre natale, des hommes qui poursuivront un rêve, celui de devenir riches au delà de tout ce que l'on peux imaginer en conquérant des territoires jusqu'alors inexplorés. C'est ainsi que ces derniers débarquent en 1532 sur ces terres, s'emparant en quelques mois de tout un Empire déjà à demi inconscient du fait de dissensions internes, portant le coup fatal à une civilisation brillante qui n'aura malheureusement pour elle par perçu à temps le danger provoqué par l'irruption de ces hommes venus de l'autre monde. La ciguë, les indiens vont la boire jusqu'à la lie. La description des tragédies et des crimes perpétrés par ces conquistadors est une longue suite de litanies qui ne manque pas d'images édifiantes, de légendes noires et de faits qui sont pour la plupart avérés. L'or, la possession, l'idée qu'ils se faisaient d'eux mêmes et de leurs pouvoirs, le mépris de l'autre quel qu'il soit, la soif inextinguible de richesses, de terres, de sang, de meurtres, de viols et autre crimes dont ils ne se repentiront jamais réellement, tout ceci va les mener dans un abîme de vacuité, de suffisance, de haine qui les verront s'entredéchirer dans d'interminables querelles ! Il y a un côté indéniablement pathétique tant la conduite de ces hommes est contraire à toutes les règles édifiées en un siècle, le XVIème qui verra l'Espagne connaître son siècle d'or, celui d'un Charles Quint maître d'une bonne partie de l'Europe, en état de guerre perpétuelle avec un insatiable besoin d'or, de métaux précieux provenant des Amériques. Ces richesses feront pour un temps la gloire et la richesse de l'Espagne avant de provoquer sa perte. Éric Vuillard signe ici une fresque saisissante où tout les ingrédients sont réunis pour provoquer en nous émotion et réflexion. Un grand roman !
Lien : https://thedude524.com/2017/..
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« Un désespoir fut sans doute à la base de nombreuses vocations. Semer la mort. Assujettir. Piller. D'autres peuples avaient déjà ouvert ce chemin incertain et cuisant. Mais celui qui marchait au pas en direction d'un noir silence était peut-être l'un des plus déterminés, l'un des plus isolés, l'un des plus excessif que L Histoire eût connus. » Et c'est sur Francisco Pizarro, conquistador espagnol, incarnation suprême de cette folie de conquête, de puissance et de gloire sur lequel s'est penché Éric Vuillard, dans un souci de reconstitution romanesque très bien documentée. L'écriture est grandiose comme le parcours de cet homme de naissance humble mais d'une pugnacité intense. À la tête d'une armée de soldats aventureux, avides de découvertes promettant la richesse, Pizarro s'enfoncera dans le territoire sauvage et inconnu du Pérou, matant les tribus amérindiennes et jetant à bas les idoles et les rois incas. Trahisons, volte-faces, mensonges, tout et son contraire serviront à assouvir une faim insatiable d'or et d'argent. La grande qualité de cet ouvrage repose sur le pouvoir de l'imagination et sur la solidité de la recherche menée par l'auteur.
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