Un bref instant de splendeur

I miss you more than I remember you.

Je repense à la liberté, et que le moment où le veau est le plus libre est celui où la cage s'ouvre, et où on le conduit au camion pour l'abattre. Toute liberté est relative - tu le sais trop bien - et parfois ce n'est pas de la liberté du tout, mais simplement la cage qui s'élargit et s'éloigne de toi, les barreaux rendus abstraits pas la distance mais toujours présents, comme quand on "libère" des animaux sauvages dans des réserves naturelles juste pour les confiner une fois de plus derrière des frontières plus vastes.

Tu es une femme. Une mère, et ton fils est couché sous les pins tandis que tu es attablée dans une cuisine à l'autre bout de la ville, attendant une fois de plus. Tu viens de réchauffer, pour la troisième fois, la casserole de nouilles frites et de ciboules. Ton souffle fait de la buée sur le verre tandis que tu regardes fixement par la fenêtre, guettant l'apparition fugace du sweat orange des New York Knicks du garçon, puisqu'il doit être en train de courir, vu qu'il est si tard.
Mais ton fils gît immobile sous les arbres, aux côtés du garçon que tu ne rencontreras jamais.

"Est-ce que c'est ça, l'art ? Etre touché en croyant que ce que l'on ressent nous appartient, alors qu'en fin de compte, c'est quelqu'un d'autre, qui par son désir, nous atteint ?" (page 222)

Ils disent que l'addiction peut avoir un lien avec les troubles bipolaires. C'est à cause des substances chimiques dans notre cerveau, selon eux. Je n'ai pas les bonnes substances chimiques, Maman. Ou plutôt, je n'ai pas assez de l'une ou de l'autre. Ils ont une pilule pour ça. Ils ont une industrie. Ils gagnent des millions.
Tu savais que des gens s'enrichissent sur le chagrin? J'ai envie de rencontrer le millionnaire du chagrin américain. J'ai envie de le regarder dans les yeux, de lui serrer la main et de lui dire : "Ca été un honneur de servir mon pays" (p. 213)

Ce qu'il y a, c'est que je refuse qu'on aliène mon chagrin, tout comme je refuse qu'on m'aliène mon bonheur. Les deux m'appartiennent. C'est moi qui les ai créés, merde. Et si l'euphorie que je ressens n'était pas un "épisode bipolaire" de plus, mais une chose pour laquelle je me suis durement battu ? peut-être que je saute dans tous les sens et t'embrasse trop fort dans le cou quand j'apprends, en rentrant à la maison, que c'est soirée pizza, parce que parfois une soirée pizza c'est plus que suffisant, c'est mon phare le plus fidèle et le plus insignifiant. Et si je courais dehors parce que la lune ce soir est aussi grosse que dans un livre pour enfants, complètement dingue au-dessus de la rangée de pins, et qu'en la contemplant je voyais dans sa drôle de sphère un remède ? (p. 213)

Ce soir-là je me suis promis que les mots ne me manqueraient plus jamais quand tu aurais besoin que je parle pour toi. C'est ainsi qu'a commencé ma carrière d'interprète officiel de la famille. A compter de ce jour, à chaque fois que je le pourrais, je comblerais nos blancs, nos silences, nos bégaiements. Je me suis reprogrammé. J'ai retiré notre langue et arboré mon anglais comme un masque, afin que les autres voient mon visage, et par conséquent , le tien. (p. 47)

Maman, s'exprimer dans notre langue maternelle, c'est parler seulement partiellement en vietnamien, mais entièrement en guerre.

Sometimes, when I’m careless, I think survival is easy: you just keep moving forward with what you have, or what’s left of what you were given, until something changes – or you realize, at last, that you can change without disappearing, that all you had to do was wait until the storm passes you over and you find that – yes – your name is still attached to a living thing.

Des singes, des élans, des vaches, des chiens, des papillons, des bisons. Que ne donnerions-nous pour que la vie massacrée des animaux raconte une histoire humaine - alors que nos vies sont en soi des histoires d'animaux.