Assise sur le banc près des saules, j'ai mangé mon gâteau au miel en lisant Triton. Il y a des choses affreuses dans le monde, c'est vrai, mais il y a aussi des livres magnifiques. Quand je serai grande, je voudrais écrire quelque chose que quelqu'un pourra lire assis sur un banc par une journée pas trop chaude et qui lui fera complètement oublier le lieu et l'heure. J'aimerais écrire comme Delany, Heinlein ou Le Guin.
C’est la vie et j’ai l’intention de la vivre comme ça.
"Bonsoir ?", ai-je lancé timidement, en gallois. Mais, en Angleterre, les fées parlent peut-être anglais ?
Elles n’avaient pas l’intention de m’humilier totalement en se moquant de ma chaussure et de sa semelle orthopédique. J’ai dû faire un effort pour m’en souvenir, plantée là comme un roc, un demi-sourire peiné sur le visage. Elles auraient voulu me demander quel était le problème avec ma jambe, mais je les ai dévisagées et elles n’ont pas osé. Cela m’a réconfortée. Elles ont cédé pour les chaussures et dit que l’école devrait bien comprendre. « Ce n’est pas comme si mes chaussures étaient rouges et voyantes », ai-je dit.
C’était une erreur, parce qu’elles se sont toutes mises à regarder mes pieds. Ce sont des chaussures d’infirme. J’avais eu le choix entre marron et noir, et j’avais choisi noir. Ma canne est en bois. Elle appartenait à Grampar, qui est encore vivant. Il est à l’hôpital en attendant d’aller mieux. S’il se remet, je pourrai peut-être rentrer chez moi. C’est peu probable, tout bien considéré, mais c’est mon seul espoir. J’ai mon porte-clefs accroché à la fermeture à glissière de mon cardigan. C’est un morceau d’arbre, avec l’écorce, il vient du Pembrokeshire. Je l’ai depuis longtemps. Je l’ai touché, pour toucher du bois, et je les ai vues qui me regardaient. J’ai vu ce qu’elles voyaient, une drôle d’adolescente estropiée, mal lunée, et un vieux morceau de bois. Mais ce qu’elles auraient dû voir c’était deux enfants confiantes qui rayonnaient. Je sais ce qui est arrivé, mais pas elles, et elles ne comprendront jamais.
« Vous êtes très anglaises », ai-je dit.
Elles ont souri. D’où je viens, « Saes » est une insulte, un terrible terme de défi, la pire chose qu’on puisse dire à quelqu’un. Ça veut dire « Anglais ». Mais je suis maintenant en Angleterre.
JEUDI 1ER MAI 1975
L’usine Phurnacite d’Abercwmboi avait tué tous les arbres à des kilomètres à la ronde. Nous avions mesuré avec le compteur de la voiture. On l’aurait dit sortie des profondeurs de l’enfer, sombre et menaçante, avec ses cheminées cracheuses de flammes se reflétant dans une mare noire qui tuait tout animal qui se risquait à y boire. La puanteur était indescriptible. Nous remontions les vitres de la voiture au maximum quand nous devions passer par là et essayions de ne pas respirer, mais Grampar disait que personne ne pouvait retenir sa respiration si longtemps, et il avait raison. Dans cette odeur se mêlaient le soufre, produit de l’enfer, comme chacun sait, et bien pire, des métaux innommables surchauffés et de l’œuf pourri.
Ma sœur et moi appelions cet endroit Mordor, et nous n’y étions encore jamais allées seules. Nous avions dix ans et étions donc de grandes filles, mais dès que nous avons commencé à la regarder, à notre descente du bus, nous nous sommes donné la main.
C’était le soir et, plus nous approchions, plus elle se dressait noire et terrifiante. Six de ses cheminées étaient éclairées ; quatre crachaient une fumée délétère.
« Certainement une ruse de l’Ennemi », ai-je murmuré.
Une ode à la science fiction , la magie et la vie tout court au travers des yeux d'une adolescente jumelle handicapée et attachante. L'envie de lire passe au travers du papier vers nos doigts pour nous envouter, que de citations de livres et d'auteurs. Je regrette de l'avoir terminé.
A ne pas manquer!