Attention aux spoilers
Dans son ensemble, j'ai trouvé le livre bien écrit. Il m'a fait danser sur plusieurs théories, en me poussant parfois vers l'une avant de brusquement repasser vers une autre, mais sans jamais mettre un coup d'arrêt total à aucune d'elle.
Je pense que la post face est la partie la plus révélatrice de tout cela. Il faut absolument la lire. L'autrice voulait d'abord écrire une histoire sur un tueur, sa fille et son chat avant de basculer vers cette idée de troubles dissociatifs de l'identité. Est-ce que le début du livre était déjà écrit au moment de cette reconversion scénaristique ? Je ne pense pas. Il devait déjà y avoir des brides, les premiers actes, les mouvements et interconnexions des personnages étant déjà écrits dans une version qui ne sera finalement pas utilisée. Car la séparation du livres en chapitres reprenant les différents personnages/identités, les détails distillés subtilement (le tapis orange qui a semblé, pendant un instant, être bleu est un bon exemple), l'utilisation du magnétophone, les poupées russes… font entrer, dès le début, dans un univers où tout a sa place, où tout est à sa place.
Lors de cette première lecture, l'aspect qui semble être le moins remarquable, c'est l'histoire en elle-même. Les 90 premières pages, tout semble un peu fouillis. On part dans plusieurs directions, même si des théories afflues déjà afin de remettre un peu de cohérence dans tout cela. On ne sait pas pourquoi le chat parle, pourquoi certaines parties sont écrites en police normale et d'autres en italique (un chat qui utilise un magnétophone semble bizarre), pourquoi Lauren vient et repart sans qu'une mère vienne la chercher et la déposer (garde partagée ?). On sait qu'il y a cette histoire de tueur d'oiseau et de disparition de la petite fille à la glace. C'est l'arrivée de Dee qui a mis plus de dynamique à l'histoire. Avant cela, on pose un cadre qui nous perd lors de cette première lecture. J'ai hâte de le relire afin de voir l'agencement de tous ces éléments avec en tête la connaissance de tout ce que l'on apprend par la suite. Un peu comme revoir un film comme Fight Club ou Shutter Island. J'ai pris plus de temps à rentrer dans l'histoire et lire ces 90 premières pages qu'à lire les 310 autres. Je crois que je les ai dévorés quasi d'une traite. Ce livre mérite une seconde lecture afin de redonner une autre vision à ces premières pages. Ainsi qu'au reste du livre.
La théorie d'un TDI est l'une des premières qui me soient venues. Plusieurs fois elle m'a effleuré, touché, interpellé. Mais je crois que le moment où elle est devenue la théorie principale était celle où Ted et Lauren était au centre commercial. Les ricanements d'une des vendeuses pour l'essayage de certains collants n'étaient pas logique dans l'optique où une petite fille aimerait en trouver pour elle. Alors que si la demande vient d'un homme grand et barbu, cela porte à confusion. Et si une petite fille notait dans un vêtement une phrase telle que « à l'aide, je suis kidnappée… », aucune vendeuse, aucune personne saine d'esprit n'irait voir l'homme qui est avec la gamine en question pour lui dire que cette « farce » n'a rien d'amusant. Il me paraissait clair alors qu'il ne devait y avoir qu'un seul personnage entre Lauren et Ted. (je n'avais pas encore mis Olivia dedans).
Et cela, jusqu'au moment où justement, tout s'inverse et où il apparait qu'Olivia et Lauren sont justement la même entité. Qu'il s'agit d'une petite fille enlevée et kidnappée par Ted, celui-là même que sa mère dit être infecté par « un mal » qui le pousserait à être violent et sadique et qu'on pense donc alors capable du pire. Les explications de Lauren à Olivia semblent coller. Et cela colle avec le fait que l'on sait depuis le début qu'une petite fille aie été enlevée, séquestrée ou tuée. La théorie d'un Ted « méchant » n'a jamais été mise à l'écart, elle est toujours restée en suspens dans tout le déroulé du roman. Tout semble alors s'accorder. (Je note que j'utilise beaucoup le verbe « sembler », et je pense que c'est justement l'un des forces du roman, nous faire danser sur ce qui a l'air d'être, sans jamais nous dire ce qui est).
Au final, on se rend compte que tout n'est qu'une poupée russe, que la mère est la véritable « méchante » du livre et que c'est justement le fait qu'on ne la soupçonne jamais qui en fait une antagoniste particulièrement machiavélique au final. Et que Ted est la vraie victime. Que la petite fille à la glace a souffert d'avoir une coupe à la garçonne mais que son rôle dans l'histoire n'est au final que secondaire.
Car dès le début on pense à Lulu, on pense à Dee qui la cherche désespérément et que l'on voit s'enfoncer dans ses certitudes concernant Ted. Certitudes qui nous emmène avec elle. Son personnage aussi devient, selon moi, secondaire dans cette histoire. (je parle uniquement du narratif pour l'instant). Elle sert à nous amener avec elle sur de fausses pistes, à mettre du rythme, à nous faire penser que l'histoire principale est celle de la disparition de Lulu, que c'est cette petite fille et sa soeur qui sont les victimes et que Ted est probablement celui qui est à l'origine de tout. Quant à son rôle dans la disparition de Lulu, le fait qu'elle l'aie entrainé à l'écart et qu'elle aie décidé par la suite de se couvrir et de laisser sa soeur pour morte, je ne sais pas comment la juger. Elle n'a que 17 ans à l'époque. On est tous un peu con à cet âge. Juger son action/inaction et la peur qui lui embrume le cerveau, alors que je n'ai – heureusement – jamais eu à vivre pareil évènement à son âge me parait fortement subjectif et complexe. Je ne me laisserai pas aller à pareille condamnation d'un point de vue éthique. Je noterai juste que la vie qu'elle a vécu, son esprit qui semble avoir transformé et dissimulé au plus profond d'elle-même le véritable déroulé de cette terrible journée tendent à montrer qu'elle a souffert toute sa vie d'un accident dont elle n'est pas vraiment responsable (il s'agit avant tout d'un accident au moment où Dee, ado, oublie de surveiller sa soeur durant son premier baiser) et d'un instant de lâcheté. Est-ce que Lulu aurait survécu si elle n'avait pas été ensuite kidnappée par la mère de Ted ? On ne le saura jamais.
Le seul personnage dont je n'ai pas réussi à voir l'utilité, ou hormis être un prétexte pour voir Ted sortir de chez lui et Dee venir fouiller la maison, c'est l'homme scarabée. Ted aurait il été autrement s'il avait eu un suivi psychiatrique digne de ce nom, avec les médicaments efficaces ? Lulu, elle, était déjà morte à ce moment l, car Ted n'aurait pu avoir un véritable suivi qu'après la mort de sa mère.
Je pense que le point le plus intéressant du livre, c'est le regard que l'on porte sur les personnages, sur Ted en particulier. Dans un certain sens, j'ai pensé à
Lolita de
Nabokov. On est ici sur un personnage qu'on identifie comme étant un tueur/kidnappeur d'enfants. Mais pourtant, on dresse le portrait d'un personnage dont on perçoit un esprit simple, un père attentionné qui fait de son mieux, un homme aimant les animaux, une victime d'un lynchage de la part des autres citoyens de la ville suite à la simple publication d'une photo de lui comme suspect. On à toujours en tête qu'il est peut-être le véritable coupable. Mais on rentre dans son psyché, ses peurs et ses fragilités. On se rend compte à la fin que celles-ci sont le résultats des abus de sa mère, mais durant la majorité du roman, on a toujours cette épée de Damoclès qui est suspendue et dont on attend la chute du couperet confirmant ce que l'on pense : que Ted est coupable.
Et pourtant, on en arrive à prendre Ted en compassion, en pitié. On comprend ce qui se passe derrière l'image dépeinte de lui. On n'est pas au point de non-retour comme dans
Lolita dont on connait les penchants et les actions réelles du personnage. Ici, on a toujours le doute, et comme on tend à apprécier Ted, on espère qu'il ne soit pas coupable. On est un peu comme Olivia, qui à la fin, se faisant manipuler par Lauren, en vient à détester Ted, à détester qu'elle ai aimé Ted mais a avoir difficile à croire qu'il est coupable de tant d'horreurs et à avoir difficile à passer à l'acte.
Cela amène à un second point de réflexion : la manipulation. Ted a le profil d'un tueur. Dee le mentionne. Il a la gueule qui va avec. Il est « anormal ». Il est reclus. Il est bizarre. On suit la vision de Dee, de Lauren et de la société car justement, il a tout ce qu'il faut pour être le coupable idéal. Combien de personnes ont été ainsi jugées et détruites par un battage médiatique sur le fait qu'il coche toutes les cases pour sembler être un meurtrier, un voleur, un coupable. Dans notre vie quotidienne, nous sommes tous les jours confrontés à nos préjugés, même ceux dont on se dit qu'ils n'en sont pas et qu'ils sont vérités. Ce sont ceux-là d'ailleurs dont il faut le plus se méfier. Dans notre monde, combien de Ted sont des victimes accusées d'être coupable sur des faux-semblants. Combien de gens sont mis de côté car différents ?
Derrière l'histoire, les réflexions affluent. Est-ce les réflexions voulues par l'autrice ou juste les miennes ? N'est-ce pas le propre d'un bon roman, le fait de permettre plusieurs lectures en une seule ?