Tous les hommes du roi

Je vis de petites rides sur la peau de son cou, ces minuscules plis laissés jour après jour par l’imperceptible lacet que le temps utilise pour garrotter les plus jolies gorges. Il est si fin qu’il casse à chaque fois, mais pas sans laisser sa marque. Puis, un jour, ce lacet assassin tient bon et c’est fini.

Et maintenant, un verre en main, je le regardais en m’émerveillant du peu qu’il faut pour précipiter la vie d’un homme dans le vide ou dans les cieux.

Alors, regardant le vieil homme les yeux dans les yeux, je répondis à sa question plaintive : « Oh, rien. » Car c’était le cas. Quoi que ça ait pu être, il n’en restait rien aujourd’hui. Ce qui était n’est plus, de même que tout ce qui est ne sera pas ; et l’écume, qui semble si lumineuse quand le vent bouscule les vagues, s’étale sur le sable dur après le reflux et ­ressemble à la mousse souillée par la vaisselle.

Ainsi, l’étudiant qui se prenait déjà pour un homme, qui croyait tout savoir, qui, cette nuit, avait contemplé le petit espace qui le séparait d’une jeune femme, se sentant obligé de le regarder d’une façon étriquée et impersonnelle, comme pour confirmer ce qu’il pensait être, ainsi, cet étudiant n’avait pas osé lui saisir la main et se retrouvait maintenant nu, dans une chambre obscure, devant une fenêtre ouverte, le regard plongé dans la nuit inondée de lune face à une mer brasillante, tandis que, là-bas, dans la haie de myrtes, un oiseau moqueur commentait hystériquement la beauté et la justice absolues du monde.

Je n’avais pas compris alors ce que je pense avoir été amené à comprendre par la suite : qu’on ne peut conserver le passé qu’en ayant un avenir, car ils sont pour toujours liés l’un à l’autre.

En août, elle avait évoqué la date et la préparation de son départ, mais sans plaisir ni déplaisir, comme si ça avait été quelque chose qui ne nous concernait pas, de cette manière qu’ont les jeunes gens de parler de la mort.

Seul compte le mouvement du monde, qui va toujours de l’avant. Et ce n’est que lorsque nous comprenons cela que nous vivons pour de bon, car notre identité même dépend de ce principe.

La chance tourne toujours en faveur de ceux qui n’en ont pas besoin.

Je n’avais rien de parti­culier à leur reprocher. Ils étaient simplement les rebuts ­ordinaires de l’humanité

(…) l’air est si étouffant qu’il te fait aussi mal qu’une plaie dans la bouche après un passage chez le dentiste ou que lorsque ton cœur se serre quand debout au coin d’une rue tu attends que le feu passe au vert et te rappelles comment étaient les choses avant et comment elles pourraient être encore si tout ce qui était à venir n’était pas advenu.