Berlioz, en tête du dernier volume publié avant sa mort, A travers chants, a
reproduit un article qu'il avait écrit une vingtaine d'années auparavant. Il y définit la musique et cherche à déterminer quels hommes sont en état de la comprendre, «Musique, dit-il, art d'émouvoir par des combinaisons de sons les hommes intelligents et doués d'organes spéciaux et exercés.» Pour sentir la musique, il faut donc remplir trois conditions : il faut être un homme intelligent, ce qui suppose que tous les hommes ne le sont pas , en exceptant même les idiots et les aliénés; il faut ensuite avoir des organes spéciaux, et il faut que ces organes soient exercés, Berlioz exclut même les hommes ayant appris la composition musicale, mais «produisant des oeuvres qui répondent en apparence aux idées qu'on se fait vulgairement de la musique et satisfont l'oreille sans la charmer et sans rien dire au coeur ni à l'imagination.
L'amour -propre joue dans les jugements un rôle beaucoup plus grand qu'on ne le croirait au premier abord. L'instruction insuffisante, l'habitude et l'amour - propre, voilà les trois causes principales d'erreur, en laissant toujours de côté la mauvaise foi, qui, d'ailleurs, repose aussi sur l'amour propre. Du moment où l'on a pris l'habitude d'une certaine musique, on se croit bon juge, et l'on est porté à repousser celle qui en diffère beaucoup. Quand on a jugé, on ne veut pas se rétracter; il y a plus : dire à un homme que ce qu'il adore n'est que du clinquant, ou ne vaut pas ce qui lui déplaît, c'est presque comme si on lui disait qu'il a mauvais goût ou n'entend rien à ce qu'il prétend juger.
Berlioz s'est donné de la peine, en pure perte, pour déterminer quels sont les hommes qui sentent réellement la musique et quels sont ceux qui ne la sentent pas. Il serait bien difficile, sinon impossible, de définir où s'arrête le simple plaisir que la musique donne à « l'oreille » et où commence l'impression faite sur le «cœur».
Une mélodie plaît-elle, il faut la répéter, soit avec un second couplet, soit sans changement de paroles, d'abord parce qu'elle plaît, ensuite parce qu'un trop fréquent changement de motifs fatiguerait l'attention de l'auditeur et le dérouterait; il aime mieux savourer un plat et y revenir, avant de s'en faire servir un nouveau.