Smoke

- On peut être invisible et laisser des empreintes digitales?

"- Et si quelque chose foire, vous avez l'antidote, pas vrai?
- Rien ne va foirer, assura Peter.
- Aucun risque, renchérit David.
- Mais vous avez l'antidote, n'est-ce pas?"
Les deux toubibs échangèrent un regard. "Si c'est nécessaire, répondit David en jonglant avec les menottes, mais ce ne sera absolument pas nécessaire, mais juste au cas où cela s'avérerait nécessaire, nous aurions un antidote, oui."

Et c’était beaucoup plus avantageux, pour un gentil B&B tel que celui de Mme Krutchfield, d’être équipé d’un fantôme. Un aimable fantôme avec des manières de gentilhomme, comme Rex Harrison sur l’écran, mais en moins entreprenant. Et jusqu’à ce jour, il en avait été ainsi.

Jusqu’à ce soir, précisément.

Voilà pourquoi, lorsqu'il se retrouva à l'air libre deux ans plus tard, âgé de vingt-sept ans, Freddie Noon ne rempila pas avec la drogue. Il resta sain, vif de réflexes et d'esprit, nerveux et beau dans un genre renard sauvage. Il rencontra une dénommée Peg Briscoe, qui travaillait sporadiquement comme assistante de dentiste, laissant tomber chaque fois qu'elle en avait marre d'explorer les bouches sales des gens, et elle aussi apprécia ce nouveau Freddie Noon, si bien qu'ils se mirent en ménage. Et Freddie reprit ses activités de voleur. Seulement, à partir de ce moment-là, il le fit pour une autre raison, une troisième raison. Maintenant il était voleur parce qu'il aimait ça.

C’est Peg qui avait eu l’idée d’essayer un dîner aux chandelles à la maison, avec seulement deux bougies. Ce n’était pas très pratique pour trouver sa nourriture mais Freddie portait une chemise polo à manches courtes et un pantalon, ni gants ni tête, et dans la pénombre la vision de la fourchette entrant et sortant du champ lumineux de la bougie ne la dérangeait pas trop, pas plus que l’absence de visage au-dessus du col souple de la chemisette. Ils burent du vin pendant le repas, après quoi Peg trouva carrément impossible de partir, et d’ailleurs l’épisode de la piscine, le dîner romantique et la solitude protégée de leur retraite suggéraient un autre dénouement pour cette soirée, qu’ils s’empressèrent de concrétiser.

Peg n’avait pas vu le temps passer parce qu’elle faisait des plans. Elle avait pris une décision, et maintenant il fallait s’organiser, prévoir exactement quoi faire et quoi dire, et quand le faire et le dire.

Elle aimait vraiment Freddie, et elle aimait être avec lui, mais seulement quand elle était avec lui. Être avec sa voix, quelques vêtements, des masques de latex et des gants en caoutchouc, ce n’était pas la même chose. Savoir qu’on n’osait pas allumer une lampe la nuit, une fois au lit, gâchait un peu le plaisir d’avoir du plaisir. Être tendue en permanence n’était pas bon pour le teint, la digestion et le maintien d’une jeune personne.

Le résultat des courses, c’était qu’avoir un petit ami invisible n’était pas du tout drôle. On ne s’habituait simplement pas à côtoyer ce genre de personne, à entendre sa voix jaillir de là-bas alors qu’on le croyait ici, à voir la télécommande du téléviseur flotter dans les airs pendant que Freddie zappait, à constater des creux et des gonflements soudains dans les coussins, et autres signes des mouvements de Freddie, de ses présences et absences.

Comparé à l’ensemble des fourgues, Jersey Josh Kuskiosko n’était pas plus crade que la moyenne. En tant qu’être humain, évidemment, Jersey Josh était à peu près au niveau de la lie, tout au fond avec la boue, la merde et la fétide puanteur où les pensées surgissent naturellement d’un avortement rétroactif. Mais en tant que fourgue, il n’était pas trop mal.