De schaduwjaren

+++++++ LES ANNÉES DE L'OMBRE +++++++

Avoir un grand-père qui était un "Noir" et donc dans l'erreur pendant la dernière guerre mondiale, n'est sûrement pas une joie, mais apprendre 70 ans après les faits, qu'il y a eu un deuxième grand-père tout aussi Noir et collabo, cela doit être carrément ahurissant, et c'est pourtant ce qui est arrivé à l'auteur de cet ouvrage autobiographique de Francis Weyns, né à Gand en 1965. le comble c'est que l'auteur est un historien diplômé de l'université de Gand.

En fait, c'était lorsque sa mère, Monique, atteinte par la maladie d'Alzheimer a lâché un beau jour tout à coup le morceau, en 2009, que l'auteur a su que son grand-père, Gaston Delbeke, fut fusillé pour collaboration avec l'ennemi nazi, le 29 mai 1948, à l'âge de 35 ans.

L'ouvrage sort officiellement aujourd'hui, le 10 mai 2019, en librairie et les chances qu'il soit traduit en Français sont minimes, puisqu'il s'agit essentiellement de l'histoire d'une famille. Comme, toutefois, il a été écrit avec toute la rigueur qui sied à un historien et que Weyns n'est sûrement pas le seul Flamand à avoir eu un collabo dans la famille sur lequel un silence de plomb a régné pendant des décennies, j'ai pensé que cela valait la peine de présenter un petit résumé.

D'autant plus que l'auteur, pendant ses recherches historiques dans les archives, est tombé sur un autre grand-père scandaleusement collabo, Jan van Ceulebroeck (1924-2014), qui lui a écopé 20 années de taule pour sa contribution au succès du troisième Reich d'Adolf Hitler.

Contrairement à l'extraordinaire témoignage de Géraldine Schwarz "Les amnésiques" qui relate l'histoire de sa famille comme simples "Mitläufer", étant des personnes qui marchent avec le courant, sans prendre la moindre initiative de résistance (voire ma critique du 14-10-2017), dans la famille de Francis Weyns c'était plutôt la collaboration à outrance.

Ce n'est pas moi qui invente ou exagère légèrement, mais l'auteur qui a eu le courage de ne pas édulcorer les méfaits notoires de ses "papies". Papi Gaston il n'a bien sûr pas connu, puisqu'il a été exécuté 17 ans avant sa naissance. En revanche, Papi Jan a essayé de jouer au bon grand-père en lui offrant des bandes dessinées et des figurines de Tintin.

Gaston et Jan ont été respectivement le premier et le troisième époux de son étonnante grand-mère Rachel Verhaegen (1918-1984), une femme qui a même couché avec des officiers nazis, mais qui n'a jamais été sérieusement inquiété après la guerre puisqu'il lui arrivait aussi de coucher avec des résistants à qui elle passait allègrement des informations de son Gaston qui la battait de temps en temps.

Les 2 grands-pères ont ceci de commun qu'ils se sont portés tous les 2 volontaires, très jeunes, pour des services nazis et qu'ils ont fait preuve d'excès de zèle sur le plan de la méchanceté, de la violence et de la torture.

Gaston a rejoint à 18 ans la police nazie à Gand (la SIPO-SD, la police et service de sécurité) et s'est surtout rendu craint pour sa brutalité lors des interrogatoires de ses compatriotes. Lors de son arrestation et procès, il a toujours minimalisé cette brutalité. Les tortures n'étaient selon lui que de simples baffes lorsque l'interrogé se comportait mal. Alcoolique et toujours à court d'argent, il s'est également fait une sacrée réputation comme voleur des biens de ses victimes ! Bref, un personnage "affreux, sale et méchant" (pour citer Ettore Scola). Son exécution n'était que justice.

Jan a opté, comme jeune volontaire, pour l'organisation Todt, qui au départ était un groupe de génie civil et militaire (responsable de la base sous-marine de Saint-Nazaire et la fameuse Ligne Siegfried), mais qui s'occupait plus tard également de camps de prisonniers en Europe orientale. C'est ainsi que Jan est devenu garde du camp de Stutthof, près de Gdańsk (Dantzick), où il a été considéré comme étant le gardien le plus implacable et furieux.

Ensemble avec d'autres gardiens il a accompagné un convoi d'essentiellement femmes juives de Königsberg (l'actuelle Kaliningrad russe) à Palmnicken (l'actuelle Iantarni russe), une cinquantaine de kilomètres plus loin, dans une marche de la mort infernale : des à-peu-près 7000 victimes au départ, seulement 11 ont survécu. Il a fallu le témoignage de Martin Bergau "Der Junge von der Bernsteinküste" (= le garçon de la côte d'ambre de la mer Baltique), publié seulement en 1994, avant que le monde n'apprenne cette page d'horreur. !

Il y a assez de témoignages pour confirmer la cruauté de ce Jan. Lors de cette inhumaine marche funèbre, Il est même allé aussi loin que de tuer des Juives sur le bord de route, soi-disant pour les libérer de leur souffrance !
Condamné à mort en juin 1947, sa peine de mort fut commuée en prison à vie en 1951 et en 1979 il a été même restauré en son honneur. Incroyable, mais malheureusement vrai.

L'auteur admet que, confronté à un monde si atroce, il s'est senti obligé d'instaurer diverses pauses dans ce dur labeur de reconstruction d'un passé douloureux.

Les 2 grands-pères de Francis Weyns eux avaient une autre "qualité" en commun : ni Gaston, ni Jan n'ont jamais montré de véritables regrets (page 225).