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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Lu dans le cadre de la Masse-Critique Babelio.

Un classique que j'ai pris grand plaisir à découvrir. de l'autrice, je n'avais lu qu'Ethan Frome qui m'avait déjà beaucoup plu. J'ai retrouvé ici son style unique, mélange de tendresse et d'une certaine causticité/d'un certain désespoir devant les règles confinant à l'absurde que s'inflige cette belle société New-Yorkaise, dont les membres passent pour la plupart à côté d'une vie qui aurait pu être heureuse s'ils s'étaient autorisés à la rendre plus simple.

Les trois personnages principaux sont admirablement bien écrits, et la fin déchirante - finalement à l'image du reste du texte que je vous encourage à découvrir.

Me reste maintenant à découvrir son adaptation cinématographique !
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Il y a parfois des oeuvres qui nous dépassent, et quand c'est le cas, il est difficile d'en parler et de leur rendre le juste hommage. le temps de l'innocence fait partie de ces oeuvres-là !

Le temps de l'innocence est le roman du raffinement, un roman tout en subtilité, en sous-entendus et en non–dits, loin des sentiments superficiels et ostentatoires que l'on retrouve souvent dans les romans d'amour. Et pour cause, selon moi, il ne s'agit pas d'un roman d'amour mais d'un roman de moeurs, un roman sociologique et psychologique, qui place au coeur de son intrigue un triangle amoureux et nous donne à lire la plus belle histoire d'amour qu'il m'ait jamais été donné de lire.

Ce roman est un bijou d'émotions, de délicatesse et d'élégance. La plume d'Edith Wharton est précise et raffinée, ses personnages sont profonds, attachants, loin de tout manichéisme. L'autrice retranscrit parfaitement le déchirement que vit Newland Archer, tiraillé entre le confort rassurant de ce qu'il a toujours connu, de sa caste, avec May Welland et l'attrait de la liberté et de l'originalité que représente la Comtesse Olenska. Il oscille sans cesse entre ses sentiments grandissants pour l'indépendante Ellen et son respect pour la douce May, se heurtant constamment à son incapacité à sortir de son milieu corseté. La machine sociale pèse sur Newland et semble ne jamais laisser à l'individu la place de s'exprimer : « Chez nous, il n'y a ni personnalité, ni caractère, ni variété. Nous sommes ennuyeux à mourir. »
Newland choisira-t-il le coeur, au risque de devoir renoncer à une brillante carrière et à la bienséance, ou choisira-t-il la prudence et son quotidien familier, au risque de se sentir comme un usurpateur dans une vie rongée par le regret ?

En toile de fond, une fresque impitoyable et ironique de la haute bourgeoisie new-yorkaise du XIXème, son hypocrisie, sa morale étriquée, son conservatisme, qu'Edith Wharton critique, sans non plus en faire un pamphlet vindicatif. Il y a de la nuance dans ce récit, et j'aime la nuance !

Ce roman vaudra à Edith Wharton d'être la première femme à obtenir le Prix Pulitzer en 1921. Un prix amplement mérité qui vient souligner un immense talent que je ne peux que vous encourager à découvrir.
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J'aime beaucoup Edith Wharton et ce dernier ouvrage lu a confirmé mon attrait. L'auteur a un réel talent pour les subtiles touches pour la création de milieux et d'ambiances dans lesquelles elle vous fait pénétrer presque intimement et pour une narration fluide et riche. Et comme en plus, les sentiments et les rapports humains sont décrits avec finesse, la lecture est une "itinérance" agréable.
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Magnifique roman d'Edith Wharton. Newman Archer est le narrateur principal de cette plongée dans le monde des privilégiés de New York des années 1870, monde avec ses codes parfois ridicules, ses travers, son hypocrisie, ses personnages ... et le suivre est un régal. L'auteur maîtrise parfaitement la narration et nous entraîne sans peine dans son sillage en créant une remarquable ambiance qui fait revivre cette époque. Un vrai plaisir de lecture, presque envoûtant... Ouvrage des éditions Les Belles Lettres reçu dans la cadre de la Masse Critique.
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Une découverte. D'abord le langage d'Edith Wharton (que j'ai lu en VO), à la fois précis et envolé. Dans l'édition que je lisais, chaque paragraphe était séparé du précédent par une ligne vide, d'où un effet encore plus marqué d'irréalité. Comme si les choses se suivaient sans jamais se suivre. Comme si le temps était fait de vides. Assez poétique, en somme.

Les personnages, coincés dans leurs moeurs terriblement ennuyeux, sont crédibles et même font battre notre coeur. Il ne se passe rien, et pourtant on espère que Archer va trouver comment vivre une vie qui l'attire. Il n'y parvient pas. Et jusqu'à la dernière page, il devra constater tout ce qu'il abandonne en se résignant à n'être qu'un dinosaure de plus dans un monde qui change. Lui qui s'est cru guépart, autant dire que cela fait mal.

La lecture m'a laissé avec un très profond sentiment de mélancolie, autant dire que j'ai envie de lire tout Wharton maintenat !
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Si Les heureux du monde restera un roman à part car c'est grâce à lui que j'ai découvert Edith Wharton, celui-ci est devenu mon préféré. J'ai tout aimé dans ce roman, que ce soit l'opposition entre les portraits des deux cousines, May la conventionnelle et Ellen la fantasque, l'une mondaine, l'autre moins, mais dont la plus forte n'est pas celle qu'on pense, tout simplement parce que l'une bénéficie de l'appui de la "tribu" du Old New-York et pas l'autre. Une opposition qui se traduit par la description du caractère de ces deux femmes bien sûr, mais aussi par les fleurs auxquelles elles sont associées. C'est une autre variation sur le thème du mariage, centrée sur l'homme cette fois, mais ça n'empêche pas Edith Wharton de dénoncer la condition des femmes et la pression que la société exerce sur eux. Les hommes sont moins abîmés dans ce roman qu'ils ne l'étaient dans Les heureux du monde, à part Beaufort qui, comme Trenor dans Les heureux du monde, vient réclamer son dû, ils sont comme les femmes les victimes de la société. Archer Newland est un personnage complexe et attachant, qui défend l'égalité des sexes mais sait qu'il ne prend pas de risques en le faisant puisque l'évolution ne se fera pas de sitôt. La fin que je ne vous révélerai pas et qui a déçu des lecteurs de l'époque me plait beaucoup et montre que l'auteure avait un peu fait la paix avec la société new-yorkaise, et pour cause, on y sent une vraie évolution dans les moeurs en toute fin de roman. N'oublions pas non plus de parler du style de Wharton, il est superbe. Et je suis vraiment tombée amoureuse d'une partie du chapitre 33 de ce roman, que j'étudierais bien avec des élèves (juste cet extrait car le reste serait trop ardu pour eux).
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Le résumé de l'histoire tient pourtant à peu de choses. Dans les années 1870, Newland Archer un jeune homme de la haute bourgeoisie américaine tombe sous les charmes d'Ellen Olenska, la scandaleuse cousine de sa fiancée. Difficile de ne pas redouter un autre roman à l'eau de rose et, non sans malice, Edith Wharton esquisse dans un premier chapitre le portrait d'une société absolument ennuyeuse. Archer est un personnage trop insipide pour plaire. Il est le produit de l'aristocratie américaine. Son coeur gonflé d'idéaux romantiques s'émeut à l'idée de la jeune et charmante vierge qu'il pourra initier à l'amour. Un héros comme tant d'autres que l'on rencontre à l'opéra, lors d'une représentation de Faust. Peut-on faire plus cliché ? Mais, quelque chose d'autre dérange. A travers le regard de Newman, le lecteur observe d'autres spectateurs, les éminentes personnalités de la haute bourgeoisie américaine. Tout est codifié, tout semble faux et, alors que le ton garde une certaine neutralité, on se sent vite à l'étroit dans cette société lissée à l'excès.
L'arrivée d'Ellen Olenska trouble une assemblée habituée à reproduire la même journée. Il n'est pas décent qu'elle se montre en public. En effet, la jeune femme a laissé un mari qui la trompait en Europe et espère obtenir le divorce en Amérique. Scandale ! Bien que le divorce soit légal outre-Atlantique, la pression sociale est telle qu'il est, en réalité, quasiment impossible de le réclamer.
Mais le vrai coup de théâtre n'est pas encore là. Wharton sait manipuler son lecteur pour le mener là où il faut. le sentiment d'injustice nous gagne, tandis que les personnages s'acharnent à présenter madame Olenska comme la dernière des traînées.
Jusqu'au chapitre 5, l'intrigue progresse très paresseusement quand, soudain, lors d'un repas avec ses futurs beaux-parents, le sage Newland s'élève pour prendre sa défense : « Qui a le droit de refaire sa vie, si ce n'est elle ? Je suis écoeuré de l'hypocrisie qui veut enterrer vivante une jeune femme parce que son mari lui préfère des cocottes. Les femmes devraient être libres, aussi libres que nous le sommes, déclara-t-il, faisant une découverte dont il ne pouvait, dans son irritation, mesurer les redoutables conséquences. » Terrible passage. le revirement du personnage, le tournant tout nouveau que prenait l'histoire sous la plume d'une femme née en 1862 m'a véritablement laissée sous le choc. Il avait osé ! Impossible, après cela, de ne pas tourner la page pour ne pas passer au chapitre suivant, puis, de dévorer finalement tous les autres, car une question obsédante nous tient jusqu'à la fin : Newland pourra-t-il aller jusqu'au bout de sa pensée ?

Je vous laisse le suspens, dire serait gâcher le plaisir d'une écriture qui sait jouer sur les émotions tout en critiquant vivement l'aristocratie américaine de la Belle Epoque. Edith Wharton n'est pas tendre, son réalisme est mordant, son style ne manque pas de piquant. C'est assez jubilatoire. J'aime sa façon de souligner des énormités sur un air apparemment détaché.
Newland perd ses idéaux romantiques au moment où il les obtient. Sa fiancée, la belle et vertueuse May, n'est rien d'autre qu'une âme préformatée. Comment, se rend-il compte, une jeune fille à qui l'on empêche de vivre jusqu'à son mariage peut-elle avoir assez de maturité pour élever son esprit ? Son regard change, il voit dans les yeux de toutes les épouses de son entourage une expression vide et enfantine de personnes qui n'ont jamais grandi, jamais souffert, jamais vécues par elles-mêmes. Rien à voir avec Madame Olenska qui lui renvoie un quelque chose de douloureux et aiguisé. Edith Wharton dénonce un monde où les femmes sont condamnées à garder une âme puérile ou, comme madame Olenska – et comme elle-même – obligée de se battre pour s'extirper de codes dans lesquels on cherche sans cesse à les emprisonner.
Le portrait de May est assez édifiant. On ne peut s'empêcher de sourire aux sarcasmes froidement réalistes qui l'affligent tout au long du roman. L'épouse idéale ne devient finalement rien de plus qu'un produit de sa société, un genre de robot dont toutes les paroles, réactions et même pensées sont prévisibles. Au désespoir, Newland ne pourra qu'en arriver à ces réflexions : « en somme, elle avait toujours eu le même point de vue : celui du monde qui les entourait » « Pourquoi émanciper une jeune femme qui ne se doutait pas qu'elle fut sous un joug ? ».

Tout en se tenant à l'écart d'une amère rancune, Edith Wharton se contente d'un constat, comme un médecin établirait le diagnostique d'une maladie. Elle nous montre une société « innocente », où homme et femme pensent comme ils le devraient, enfermés dans une prison dorée qui s'acharne à ignorer les sentiments. de la même manière, la fin nous montrera à quel point la société a changé après la première-guerre mondiale, sans que cette génération vieillissante n'en ait rien vu. La voix de Wharton est forte, elle est de ces auteurs féminins forts, qui, sortis de leur condition grâce à leur intelligente, savent en montrer les travers, et savent aussi qu'elles sont des exceptions car, finalement, May n'est peut-être pas stupide, mais son esprit n'a pas la capacité de fonctionner autrement que par mimétisme. le temps de l'innocence pose aussi la question de l'absurdité d'une vie trop protégée avant le mariage, et de la difficulté de s'entendre en amour avec une personne qui n'en connaît rien. C'est aussi un témoin important de son temps, qui a l'intérêt de nous présenter un monde à l'aube d'une mutation sociale. Lorsque, vingt-sept ans plus tard tout a changé, on ne s'étonne pas qu'une société trop fragile à force d'hypocrisie ait succombé.
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Sans le moindre doute, le sommet de l'oeuvre de la grande auteure américaine.

Sous une plume éminemment élégante, classique et moderne à la fois (si, si, c'est possible !), on y trouve tous les thèmes qui lui sont chers.

Edith Wharton y développe le portrait de l'Amérique de la Nouvelle Angleterre, alors en pleine transformation, ainsi qu'une critique acide - mais subtile ! - de l'aristocratie puritaine.

Elle y dépeint avec lucidité le poids de l'argent tout puissant, mais aussi la difficulté des femmes de son époque à s'affranchir de siècles de domination masculine.

L'adaptation cinématographique, avec Scorsese à la réalisation, Daniel Day-Lewis et Michel Pfeiffer dans les principaux rôles, est une pure merveille.

Enfin, il est essentiel d'ajouter que ce bijou est un des plus jolis romans d'amour que j'ai eu l'occasion de lire au cours de ma riche vie de lecteur !
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Les années 1870 à New-York. Le jeune Newland Archer précipite l'annonce de ses fiançailles avec la ravissante May Welland pour manifester son soutien à la puissante famille des Mingott qui accueille la comtesse Olenska, revenue aux États-Unis avec la ferme intention de divorcer d'un époux viveur et tyrannique. Bien qu'appartenant à la haute société new-yorkaise par ses origines, Ellen Olenska suscite le scandale en s'affranchissant de la tutelle maritale et en cherchant refuge auprès de sa grand-mère, Mrs. Manson Mingott, après avoir quitté le domicile conjugal.
Newland, élevé dans le temple du conformisme mondain, ne comprend pas tout d'abord l'attirance qu'il éprouve pour la belle comtesse dont la nature sensible, la spontanéité et la vivacité le séduisent. Il va bientôt épouser une jeune femme qu'il a choisie, sa fraîcheur et sa pureté l'enchantent, elle possède toutes les qualités requises pour être une maîtresse de maison accomplie et une future mère, et connaît à la perfection les usages de leur monde. Pourtant, l'approche du mariage lui donne le vertige, car le visage lisse et souriant de May ne semble receler aucune fantaisie, son éducation l'a préparée à rester dans le bon ton et ses gestes ou ses paroles ne s'écarteront jamais de la bienséance et de la politesse qui gouvernent les relations sociales des vieilles familles new-yorkaises. La blonde May incarne l'innocence de la jeune fille parfaite au seuil de sa vie adulte.
Ellen Olenska, orpheline trop tôt, a été élevée par sa tante Medora Manson dont les excentricités sont tolérées par la famille dans la mesure où elles se déroulent hors du sol américain, dans une Europe lointaine que la société puritaine du vieux New-York méprise pour ses moeurs trop libres. Ellen a toujours joui d'une liberté qui lui a été préjudiciable et qui l'a conduite à un mariage désastreux. Ainsi, on se souvient encore de sa robe de bal noire pour ses débuts dans le monde. Ses imprudences dans ses relations sociales (elle fréquente des nouveaux riches comme Julius Beaufort et Mrs. Struthers qui ouvre son salon aux artistes), son allure affranchie, son souhait de vivre seule, tout cela concourt à ternir sa réputation et à discréditer les membres de son clan qui essaient de la réintégrer dans son milieu en dépit de son indocilité. La brune Ellen porte en elle une sorte d'incandescence qui brûle le regard de Newland et l'amène à trouver fade sa fiancée, dans ses réponses convenues, dans son respect absolu des règles du jeu social.
Newland qui travaille dans une étude d'avocats, sera chargé de convaincre Ellen de renoncer à ses projets de divorce, puis d'accepter un arrangement financier avantageux qui la ramènerait auprès du comte Olenski. Alors que rien ne le prédisposait à soutenir Ellen, il la comprend, devine son malheur et sait que la renvoyer en Europe, auprès de son mari, la détruirait. En même temps qu'il prend conscience de son penchant pour elle, il pressent qu'elle serait capable d'apaiser ses doutes, d'aiguiser son appétit pour les arts et la littérature, et de lui ouvrir une voie nouvelle grâce à sa sensibilité. Quand il découvre que son sentiment est partagé, son mariage est hélas précipité par une de ses initiatives, appuyée par Ellen qui ne peut se résoudre à provoquer le malheur et le déshonneur de sa cousine May. Un an plus tard, quand il se sent près à trahir May et peut-être à l'abandonner, l'annonce de sa grossesse l'empêche de mener à bien son projet. Newland restera à jamais englué dans son incapacité à défier son milieu, à contourner les stratégies familiales pour affirmer ses choix, à secouer l'hérédité sociale qui fait son malheur.
May et Newland ne sont pas dupes des pièges qui se dressent sur la voie du mariage. La première, May a senti l'éloignement de son fiancé. Son élan de générosité pour lui rendre sa liberté, au nom d'un attachement plus ancien qu'il aurait contracté, est calculé. Elle sait que les scrupules dont elle s'ouvre à demi-mots auprès de Newland seront balayés par son orgueil de mâle assuré d'avoir choisi une jeune fille à la conduite exemplaire. le mariage est avancé malgré les réticences des Welland car la vieille Catherine Mingott veille au grain mais, auparavant, May a alerté finement sa cousine Ellen de ses craintes et les qualités de coeur de celle-ci l'empêchent de provoquer une catastrophe familiale et sociale. May utilisera la même stratégie un an plus tard. Quand Newland est prêt à basculer dans l'adultère, elle annonce à Ellen une grossesse dont elle n'est pas certaine pour l'obliger à repartir en Europe, toujours avec le concours de grand-mère Mingott qui accorde à Ellen l'indépendance financière dont elle a besoin. le temps de l'innocence a été très bref pour May et, avec un sang-froid étonnant, elle a conservé son couple et sa position sociale. Mrs. Manson Mingott raconte à qui veut l'entendre qu'Ellen est celle qui lui ressemble le plus, en réalité c'est May qui lui ressemble le plus et qu'elle protège des folies de Newland.
On voit que cette histoire est la confrontation de tempéraments féminins, même si le récit est vu au travers du regard de Newland. C'est un homme prit en tenailles. Il a été élevé dans une société où l'homme décide, commande, exige. Il tyrannise parfois sa mère qui se plie volontiers à ses caprices. Il a pitié de sa soeur Janey qui vieillit en perdant peu à peu tout espoir de se marier, mais ne fait rien pour l'enlever au tête-à-tête étouffant avec sa mère. Il ne rêve pas d'offrir à May une émancipation intellectuelle, il la juge incapable de sortir de son éducation trop traditionnelle. Il voit jusqu'à l'écoeurement les manies d'hypocondriaque de Mr. Welland mais n'encourage pas sa fille à les rejeter. Son éducation en fait un homme conventionnel sur le plan des devoirs respectifs qui attendent chacun des époux à l'intérieur du couple. À May, la décoration de la maison, l'organisation domestique, l'éducation des enfants, à lui le travail et l'aménagement de son bureau. Mais, quand il pressent ce qu'une femme sensible, cultivée comme Ellen peut lui apporter, il se veut progressiste et réclame l'égalité des sexes. Sa condescendance à l'égard des femmes ne s'arrête qu'à Ellen et à la vieille Mrs. Manson Mingott à qui rien n'échappe, et surtout pas l'attachement d'Archer pour sa petite-fille. le conformisme qu'il reproche à May est le même que le sien qu'il ne parvient à secouer que brièvement, quand il veut se rapprocher de ce qu'Ellen apprécie (les conversations avec des hommes cultivés même d'origine modeste, un intérieur fait de bric et de broc, un déjeuner improvisé dans une auberge...). Dans ces circonstances, Newland ne peut que renoncer à Ellen, étouffer en lui l'élan libérateur et, encore, un quart de siècle plus tard, fuir devant une rencontre par peur de n'apparaître que comme un homme sclérosé par une vie terne.
Faut-il choisir Ellen contre May ? Faut-il élire la vertu domestique et rejeter la liberté de choix revendiquée ? Edith Wharton se garde bien de répondre à cette question. May n'est pas une oie blanche comme Gertrude Lefferts qui ignore tout des aventures de son mari. L'auteur la dépeint à plusieurs reprises comme une Diane chasseresse, au tir à l'arc ou au bal, elle rayonne avec assurance. C'est une sportive, dotée d'une remarquable endurance et capable de mener à bien une entreprise avec intelligence et ruse. Ellen est originale, sensuelle, intellectuelle, mais exposée très tôt au malheur, elle manque de la force de caractère de May. Elle se sent vulnérable, elle est sans cesse en recherche de conseils et d'attentions, ses décisions fluctuent en fonction des faiblesses qu'elle essaie de contrarier chez elle. Aurait-elle été la compagne idéale pour un homme comme Newland Archer dont les certitudes vacillent au gré des circonstances ? Nous n'aurons pas la réponse, mais Edith Wharton nous touche profondément avec une héroïne dont le beauté troublante est aussi blessée que sa noblesse de coeur.
Le style d'Edith Wharton est chatoyant, fait de touches délicates, extrêmement précises, qui se juxtaposent jusqu'à former un tableau saisissant, à restituer une scène avec sa lumière, ses parfums, le grain d'une peau, la texture d'une étoffe. L'expression des sentiments prend toute sa place quand le décor est planté, l'atmosphère exactement restituée. Ainsi, May porte toujours des toilettes blanches ou claires, des tons pastel, du cygne, respire un bouquet de muguet, et se fraie ainsi un chemin jusqu'à nos yeux dans cet appareil quasi virginal qui est sa « note ». À Ellen, le noir, le bleu corbeau, le rouge, les parfums capiteux et les roses jaunes ou les orchidées, une dramatisation de son apparence qui renvoie à la passion, mais aussi à la fatalité qui pèse sur son existence. Cette charte visuelle, au lieu de nous fournir une approche stéréotypée des personnages comme on pourrait le craindre, nous les restitue à chaque scène avec une profondeur de champ immédiate. le même souci du détail préside à la description d'une soirée à l'opéra, du cérémonial d'une réception ou d'une partie de tir à l'arc. le décor posé, les protagonistes de la scène se détachent sur le fond avec la netteté d'une image restituée sous nos yeux par une patiente construction de leur identité plastique.
Cependant, la peinture sociale reste féroce. Certaines remarques d'Archer, notamment sur ses aventures amoureuses passées sont odieuses. le milieu comporte aussi ses commères attitrées et l'une des plus redoutables est le vieux Sillerton Jackson. La sécheresse de coeur, l'hypocrisie, la médisance apparaissent en filigrane sous les remarques les plus aimables et cette société confinée érige pour se protéger des distinctions sociales impitoyables.
Ce livre est une oeuvre très forte où l'on sent à chaque instant poindre une nostalgie très profonde pour une époque révolue en même temps qu'une dénonciation de la vanité d'un milieu social confit dans ses traditions.
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Oh, mais qu'il est bon ce bouquin ! Bien loin d'être une simple romance, sa force tient dans une galerie de personnages hyper représentatifs de leur époque et un contexte flirtant avec les prémices du féminisme, plus que dans son intrigue somme toute banale.

L'innocence de ce temps n'est qu'un attribut de façade, incontournable chez les jeunes gens mais vite réduit en poussière au profit de sentiments contenus. Finalement la vraie innocence n'est pas là où on l'attendrait. Entre May, l'ingénue oie blanche, et Ellen, la femme de tête indépendante, la plus naïve est loin d'être celle que l'on croit. L'épouse en effet est clairvoyante derrière sa réserve, téméraire sous son masque de perfection, quand l'autre à force de franchise se trouve souvent à manquer de discernement. le personnage de Newland lui est plus passif. Il a des convictions assez avant-gardistes, notamment en ce qui concerne les femmes, mais il n'a pas l'audace de les défendre et s'endort finalement dans la douce torpeur des conventions.

Edith Wharton fait admirablement ressortir toute la superficialité des convenances, et toute la profondeur des convictions qui se cachent derrière. Elle dresse le portrait d'une société où l'apparence est reine, engoncée dans ses principes, qui n'a finalement pas tant évolué qu'on voudrait nous le faire croire. Aujourd'hui, on se persuade d'être libre, libre de tout faire, de tout avoir, mais finalement, n'est-on pas tout aussi aliéné par d'autres conventions ?

Personnellement, je me sens complètement dans mon élément dans ce siècle aux codes redoutables et à la bienséance toute relative. A tel point que j'ai parfois la sensation de m'être trompée d'époque ! Cela peut sembler étrange en 2016, mais je trouve ce carcan presque rassurant. Nous vivons aujourd'hui dans un monde toujours plus rapide, où le moment présent prime sur le long terme. Mais à l'inverse, au XIXe siècle, l'endurance dominait le sprint. La raison dure plus longtemps que la passion, et si abandonner un amour scandaleux au profit d'une vie simple et sans heurts peut aujourd'hui sembler un grand sacrifice, à l'époque le ressenti était tout autre.

J'ai savouré « le temps de l'innocence » comme un bonbon acidulé, qui pique un peu la langue malgré le réconfort qu'il apporte. Lucides et sans rancoeur, les mots d'Edith Wharton m'ont touchée au coeur, comme ont pu le faire Zola et Flaubert dans mon jeune temps. Une vraie bouffée de nostalgie.
Lien : http://www.labiblidekoko.clu..
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