LE GRAND LIVRE/DOOMSDAY BOOK
Connie Willis
J'ai Lu - 1992/1994 (fr) - 703 pages
Cette incursion dans le Temps va nous faire vivre une véritable apocalypse, une fin du monde des plus abominables que l'on puisse imaginer sauf que celle-ci s'est bel et bien passée ! La peste noire a décimé plus de 500 000 personnes en Europe au XIVème siècle. L'auteur nous y plonge, en plein cauchemar et sans aucune concession.
Partie pour l'an 1320, une historienne du XXIè siècle nommée Kirvin va être victime d'une erreur d'aiguillage temporel et se retrouver en 1348, en Angleterre, année où la peste, venue d'Asie, s'y propage irrémédiablement. Inconsciente ou presque, elle est recueillie par un prêtre et accueillie dans une famille noble. Elle ne peut alors plus retrouver le « point de transfert » où une porte doit la ramener à son époque, dans un délai imparti. Reprenant conscience peu à peu, elle va gagner la confiance des deux plus jeunes enfants dont elle va s'occuper comme s'il s'agissait des siens,… avant de connaître l'enfer.
Connie Willis, une fois de plus, ne ménage pas son lecteur. Aucun détail ne nous est épargné et nous assistons, impuissants, aux ravages de cette terrible et mortelle maladie qui, à cette époque, ne pouvait être soignée faute de médicaments adéquats. On ne connaissait pas le terme bactérie ou microbe. On ne pratiquait que la saignée et les cataplasmes d'herbes malodorantes, appliqués dans des conditions d'hygiène que je vous laisse deviner. La peste elle-même était pour eux une punition divine.
Kivrin secondera du mieux qu'elle le peut, le Père Roche –d'un dévouement sans limite- pour tenter de sauver cette famille à laquelle elle s'est attachée. Mais que peut-elle faire sans les ressources du XXIè siècle, même si elle est considérée par le Père Roche comme une envoyée du Ciel ?
Willis, une fois de plus, soigne le détail, tant pour le côté Historique que pour le domaine SF. Les petits gadgets emportés du futur se révèlent utiles, comme ce traducteur qui lui permet de comprendre (non sans difficultés) et de communiquer dans le langage de l'époque. Il y a aussi ce petit enregistreur, greffé dans son poignet, qui lui permettra de tenir un journal qu'elle appelle « grand livre » si par malheur elle ne pouvait rejoindre son époque. Kivrin découvrira combien les historiens ont pu se tromper sur pas mal de points tant dans le comportement des gens que dans l'évolution de la maladie. Les idées préconçues vont en prendre un sacré coup !
Un malheur ne venant jamais seul, une épidémie sévit également après son départ au XXIè siècle, ce qui ne va pas arranger les choses en retardant du même coup les recherches concernant l'erreur d'aiguillage temporel. Les antagonismes entre deux responsables du projet, la maladie ainsi que la déconnexion du module de transfert complètent ce sombre tableau.
Connie Willis ajoute un côté métaphysique au scénario et se permet même des comparaisons osées. L'équipe du XXIè siècle a perdu la trace de Kirvin. Elle ne peut donc pas lui venir en aide. Et si Dieu lui-même avait été dans le même cas et avait perdu la trace de son fils Jésus ou… notre trace à nous, ses créatures ? Et de reconsidérer la question du « pourquoi ne nous aide-t-il pas ? ». Mais comment Dieu peut-il perdre la trace de quoi que ce soit puisqu'il est sensé être partout ? Et si…. ?
Je me refuse à donner plus de détails sur ce roman poignant dont le tragique va grandissant au fil des pages.
le Grand Livre prend aux tripes et émeut profondément. Les derniers chapitres sont d'une intensité dramatique comme j'en ai rarement connue. C'est pour moi LA découverte de cette année 2016. Je n'ai jamais rien lu d'aussi prenant et d'aussi beau ! Loin au-dessus de tout roman qui traite du voyage dans le temps. Si «
Sans parler du Chien » du même auteur avait une touche humoristique en plus, ne cherchez pas trop de quoi rire dans celui-ci et préparez plutôt quelques mouchoirs en papier.
Grandiose ! Un roman qui mérite pleinement les prix qui lui ont été attribués : prix Hugo en 1993, meilleur roman ; prix Nebula en 1992, meilleur roman et prix Locus en 1993, meilleur roman également. S'il ne vous faut lire qu'un
Connie Willis, c'est bien celui-ci. Jamais, je pense, un roman n'a autant mérité son titre (la traduction en français, veux-je dire).
El Jice