Bruno Sachs, le héros de
la Maladie de Sachs, raconte son parcours d'étudiant en médecine dans les années soixante-dix. Il y parle de sa rencontre avec les Zouaves, trois médecins plutôt non- conformistes,(André, Basile et Christophe) de ses amours avec la belle Charlotte Pryce, assistante de la femme du doyen, Professeur brillant et émérite de la faculté de médecine.
le roman est très vaste et possède un intérêt documentaire indéniable car, au cours de ces années, on voit apparaître de nouvelles libertés, notamment pour les femmes, que ce soit la pilule ou l'IVG. Bruno, avec ses amis dénoncent tour à tour les conservatismes de tout poil, allant du mandarin jaloux de ses prérogatives, aux luttes de pouvoir dans le système hospitalier, incarné par la sulfureuse Mathilde Hoffmann, bien souvent au détriment des malades. En ce sens, Sachs remet le médecin à sa place. Il le nomme volontiers soignant car comme il le précise dans le flot de pensées qui l'inonde précédant son discours à la faculté, en ce mois de mars 2003, où au début du roman tout le monde l'attend et chacun raconte ses souvenirs, faire de la médecine, pour lui, c'est aller vers l'autre et toucher son corps, un peu comme on fait l'amour. C'est aussi l'occasion pour le médecin de repenser sa propre mort et sa propre peur. Ce n'est pas par hasard que l'on devient soignant :
"Ce qui m'a fait choisir la médecine générale, la médecine de premier et de dernier recours, le soin qu'on dispense avec les moyens du bord à tous ceux qui se présentent, du pétant de santé qui a peur de mourir, au douloureux chronique qui en a marre de vivre, c'est ma peur de mourir et ma douleur de vivre ... et la certitude, alors, que je ne les soignerais jamais mieux qu'en choisissant de vivre ou de mourir avec ceux que j'aimais."(429)
Martin Winckler- le titre laisse peu d'ambiguïté - a choisi de raconter
D Artagnan chez les médecins et les carabins. Sachs est
D Artagnan et appartient aux Merdes, groupe d'étudiants qui se retrouvent autour du Professeur Vargas, anti-conformiste et partisan de l'IVG et d'une nouvelle médecine plus proche des malades. A ceux-ci s'opposent les Perses, autre groupe d'étudiants proches du professeur LeRiche, mandarin arrogant et sûr de son pouvoir, briguant la place du doyen. La panoplie de personnages ainsi que les situations évoquent le roman de Dumas. le roi est bien sûr le doyen Fiessinger, le rôle de la reine appartient à Sonia Fiessinger, sa femme; LeRiche, Richelieu, évidemment et Mathilde, Milady. Quant à Charlotte, on lui retrouve la grâce de Constance Bonacieux. Les Zouaves sont les Trois Mousquetaires est-il utile de le préciser? Certaines scènes sont des parallèles assez bienvenus du livre original; ainsi la rencontre de Bruno et des Zouaves en première année rappelle les trois rendez-vous de d'Artagnan pour un duel avec chacun des mousquetaires, tout comme l'affaire des férets,avec voyage éclair en Angleterre et restitution d'un stylo unique est un autre clin d'oeil truculent.
du point de vue de la structure, ce roman, truffé de retours en arrière et narré à voix multiples, suit, dans ses diverses parties, les années de médecine depuis la PCEM1 (Premier cycle d'études médicales 1°année) jusqu'à la thèse. Des inserts tels que des documents authentiques de revues médicales ou de manuels d'étudiant viennent illustrer le propos du narrateur dont la voix principale est tenue par un certain Monsieur Nestor qui reste un mystère jusqu'au dernier mot du roman.
le style est enlevé, le lyrisme de bon aloi, notamment sur un jeu d'accumulations répétitives qui n'est pas sans évoquer Perec. Dans la même veine, cette façon de numéroter certains personnages récurrents rappelle un peu La vie, mode d'emploi. Car le propos de Winckler est de parler ici de la vie et de la souffrance des autres en dénonçant certains systèmes.
Or, je trouve -malgré la caution de Dumas - que l'ensemble est d'un manichéisme affligeant. Les Zouaves se doivent d'être éminemment sympathiques mais, en dépit des tragédies que Bruno subit, ils sont quasiment des idéaux d'hommes et réussissent tout ce qu'ils entreprennent ou presque. Ce sont forcément eux que les patients préfèrent, ce sont eux qui se posent les bonnes questions, qui ne font jamais d'erreurs et qui réussissent brillamment leurs examens. Les autres, ce sont les conservateurs frileux ou les ambitieux calculateurs et jaloux. le hic, c'est qu'on est habitués, à plus de gris dans le monde, y compris dans la fiction. Aucune nuance dans certains personnages comme Mathilde qui refuse l'aide à son frère homosexuel et séropositif. Les faibles sont toujours innocents et les puissants ont toujours tort. On attendait plus de subtilité et moins de démagogie chez ce Sachs qui fait la morale à tout le monde sans jamais vouloir la faire. Je dois avouer que, parfois ces personnages "parfaits" m'ont irrité. J'aurais voulu qu'ils fussent parfois un peu méchants, fatigués, arrogants. Ce qui passait chez Dumas qui situait son action loin de son époque et prenait de larges libertés avec
L Histoire, bref cherchait surtout à divertir et à rembourser ses dettes, coince, à mon sens dans un roman contemporain et c'est un peu dommage.