Après les quelques livres décevants que j'ai lus ces derniers temps, J'ai reçu une gifle monumentale, comme je les aime, avec "
La griffe du chien" de
Don Winslow. Je ne m'y attendais pas du tout, surtout avec la première centaine de pages, foisonnantes de personnages de tout bord, flics et trafiquants, souvent intimement liés, qui demande un effort de concentration pour comprendre la situation.
L'intrigue, elle-même, donne du fil à retordre et c'est ce qui est génial quand on se laisse enfin emporter par l'action en abandonnant l'esprit manichéen habituellement véhiculé par la littérature policière. Il est beaucoup plus confortable de voir des hors-la-loi horribles, face à des flics blancs comme neige. Seulement ici, le regard est différent. La neige ne manque pas, au Mexique, entre la coke, le crack, le Speed et autres substances rapportant des sommes astronomiques aux trafiquants de drogues, sous le regard, faussement innocent, de son voisin, les États-Unis. Entrer dans l'intimité des truands n'est pas sans risques. le lien dérangeant se tissant immanquablement avec le lecteur brouille les cartes.
Don Winslow propose un voyage en immersion, et souvent en apnée, dans le monde des narcotrafiquants, avec guerre des clans, complots pour prendre le pouvoir, flics aussi corrompus que l'administration en place et quelques purs épars, incorruptibles, qui payent souvent le prix fort ! Sans aucune compassion, il traite son roman comme un documentaire au milieu d'un enfer de violence, sur une dizaine d'années (1990-2000), reprenant des grands noms mondialement célèbres comme Pablo Escobar. Effroyablement efficace !
Les 830 pages de ce pavé, hormis les premières dizaines, pour moi, entrent dans ce bain bouillonnant, abordent tous les aspects du marché de la drogue, le racket, les exécutions sommaires, les tortures, les empoisonnements, les embuscades, l'affrontement des bandes rivales pour s'approprier un territoire ou le défendre. Les balles sifflent tous azimuts provenant d'un arsenal varié et précis, lance-roquettes, fusils mitrailleurs M60 et M50, AK-47, M-16, etc. Régulièrement, en cours de lecture, me revenaient en tête des images de films impressionnants comme "Le Parrain" de
Francis Ford Coppola (1972) et "Le Traître" de Marco Bellocchio (2019).
L'auteur n'hésite pas à mettre dans la bouche de ses personnages de fiction, des démonstrations géopolitiques très pertinentes, des dénonciations de
corruption évidente, des rapports de force avec les rivalités entre Mexicains, Irlandais, Italiens et Américains. La simplicité avec laquelle ces thèmes sont abordés permet, aux néophytes comme moi, d'appréhender l'ampleur de la gangrène.
La fiction est vive, percutante, souvent sordide et terrifiante, dont les ramifications tentaculaires s'étendent jusqu'au Vatican.
Don Winslow réalise une réelle prouesse littéraire, quasiment journalistique, avec des séquences terriblement fortes comme le réalisme du tremblement de terre ou le déroulement de l'opération finale, qui interdit l'abandon du récit avant la fin.
Avec cette pépite, je souscris entièrement à l'appréciation de
James Ellroy, en quatrième de couverture : « le plus grand roman sur la drogue jamais écrit. Une vision grandiose de l'Enfer de toutes les folies qui le bordent. »
Après une période de pause, parce que j'ai besoin de reprendre mon souffle, je n'hésiterai pas une seule seconde à continuer l'aventure dans la sphère du crime organisé, aux côtés d'Art Keller et d'Adán Barrera dans "
Cartel" puis "
La Frontière".